L’ANALYSE DU TRP APRÈS L’ÉVALUATION DES REQUÊTES DE FINANCEMENT SOUMISES EN MARS DÉPLORE UN MANQUE D’AMBITION ET D’INVESTISSEMENTS STRATÉGIQUES
Author:
Equipe Aidspan
Article Type:Article Number: 3
En dépit d’enveloppes en nette progression dans 78% des pays, les requêtes de financement dénotent encore trop de difficultés à investir dans les priorités et faire la différence pour éliminer les 3 m
RÉSUMÉ Le TRP vient de publier un rapport qui donne un éclairage technique sur les 45 premières demandes de financement soumises à la fenêtre de mars 2020. Le TRP se félicite des progrès réalisés dans le domaine du SRPS et des droits humains, mais exprime des réserves quant à par l'insuffisance d’orientations stratégiques et le manque de vision à long terme pour assurer la pérennité des investissements du FLM. Le TRP demande que les subventions visent des résultats plus ambitieux à la lumière de l'augmentation des allocations. Cet article analyse les recommandations du TRP et les met en perspective avec les défis rencontrés sur le terrain lors du processus d'élaboration des demandes de financement.
Introduction
Le TRP a publié le 9 juin son analyse du contenu des 45 premières requêtes de financement qu’il a évaluées au cours des 2 derniers mois, sur la base de trois critères : l’orientation stratégique, la solidité technique et le potentiel d’impact. Ses conclusions ressemblent étrangement à celles déjà énoncées par le TRP antérieur, qui avaient été consignées dans un rapport qu’Aidspan avait analysé au mois de décembre 2019.
Si le TRP reconnaît des progrès dans certains domaines, en particulier dans ceux du RSS et des droits humains, il relève encore de nombreuses insuffisances semblables à celles du cycle actuel. Mais ces dernières sont d’autant plus préoccupantes que l’augmentation de la majorité des enveloppes, qui va de 4 à 140% par rapport au cycle actuel, donne aux pays l’opportunité d’être ambitieux, de mettre leurs interventions à l’échelle, et de se fixer des cibles qui concourent à éliminer les 3 maladies.
Cet article concentre son analyse sur les critiques exprimées par le TRP, et cherche à les mettre en perspective avec les expériences des pays dans l’élaboration des requêtes de financement, et les nombreuses contraintes qui pèsent au moment du dialogue pays afin de déterminer des priorités qui reflètent une stratégie claire.
L’orientation stratégique
Le TRP déplore un manque de vision stratégique de nombreuses notes conceptuelles qui ne reflètent pas, selon les experts, de vrais choix en matière de stratégie d’intervention, de priorités à court et moyens terme, ni de véritable vision pérenne.
Et ce alors qu’en ce qui concerne les composantes maladies, 98% des requêtes sont alignées sur les plans stratégiques nationaux, et qu’en matière de RSS, les outils du Fonds mondial (cadre modulaire et notes techniques) guident fortement les choix et fournit les arguments pour arbitrer les priorités. Le TRP regrette que les discussions visant à expliquer comment les arbitrages ont été effectués, et des argumentaires solides concernant les scenarii retenus soient absents des notes. Les projets sont toujours court-termistes (le temps de la subvention), la manière dont les investissements effectués seront pérennisés n’est pas décrite, en particulier pour le financement du personnel de santé mais également pour les approches « pilote » développées en dehors du système de santé. En ce qui concerne le renforcement du système de santé, le TRP souligne que l’absence de feuille de route SRPS nationale empêche une vision consolidée des priorités que le pays s’est fixées, et occulte la manière les investissements du Fonds mondial s’articulent dans l’écosystème des bailleurs en santé. Par ailleurs, le TRP regrette que les investissements visant à renforcer le système soient répartis entre les différentes requêtes, présentées à des fenêtres successives, ce qui rend l’analyse globale difficile.
La solidité technique
Au-delà des aspects stratégiques, le TRP souligne l’absence d’éléments contribuant à la solidité technique des notes : l’absence de scenarii d’investissement, qui mettent en perspective le coût-efficacité d’une approche et sa pérennité à long terme. Il regrette également que le RSS continue de privilégier des investissements opportunistes, qui visent à soutenir les interventions plutôt qu’à renforcer durablement le système.
L’analyse des besoins à chaque niveau de la cascade pour le VIH et la TB, ainsi qu’une programmation différentiée en fonction des efforts à fournir sur chaque 90 sont toujours absentes de nombreuses notes. La mise à l’échelle des interventions, nécessaires pour se rapprocher le plus possible de l’élimination des 3 maladies, manque également à l’appel. Ces insuffisances techniques questionnent bien entendu l’ensemble des parties prenantes engagées élaborées dans la note : ces discussions techniques ont-elles lieu ? les notes techniques et les guides de l’OMS et de l’Onusida sont-ils consultés et orientent-ils le travail ? Certains CCM admettent s’en remettre totalement aux consultants et aux partenaires techniques pour garantir la qualité technique des notes ; certains acteurs avec lesquels Aidspan s’est entretenu signalent des agendas parfois contradictoires, qui compliquent les discussions et ne permettent pas d’effectuer des choix rationnels. Enfin, de l’avis de certains consultants, le temps et l’espace manquent pour ces discussions techniques : cela est visible dans l’encart « leçons apprises du cycle actuel », compris différemment selon les pays et généralement mal rempli : certains identifient des leçons très générales qui ne sont pas assez précises, d’autres expliquent déjà ce qui sera mis en œuvre dans le prochain cycle, d’autres encore présentent les résultats et non pas les leçons apprises.
Le potentiel d’impact
Le TRP se félicite de l’apparition dans le formulaire d’un encart consacré à l’analyse coût-efficacité. Cela dit, la lecture de certaines notes nous montre qu’il n’est pas encore rempli de manière satisfaisante. En effet, tous décrivent à peu près les mêmes activités : l’achat au travers de Wambo pour obtenir des tarifs négociés avantageux, l’intégration des activités VIH/TB avec celles de la santé maternelle, néonatale et infantile, ou encore l’utilisation des machines GeneXpert pour les programmes VIH et TB. Peu de notes présentent les choix d’intervention possibles avec leurs hypothèses, leur cadre d’investissement et l’impact attendu, afin d’expliquer pourquoi ils privilégient une intervention plutôt qu’une autre. Les requêtes décrivent des activités aux effets immédiats, sans tracer d’indicateurs de progrès, ni de stratégie de pérennité. Pour cela, il faudrait adopter une méthodologie qui décrive la « théorie du changement » élaborée pour chaque programme. Imaginer les différentes phases, des indicateurs intermédiaires et les changements recherchés à court, moyen et long terme. Méthodologie adaptée aux programmes de développement, mais difficile à imaginer dans le processus court et très formalisé du dialogue pays.
Quelques pistes de réflexion pour expliquer cette situation qui perdure
Le cadre modulaire est devenu une fin en soi et non pas un outil
Certaines parties prenantes témoignent du fait que dès le début du processus, elles cherchent à remplir le formulaire en s’appuyant sur le cadre modulaire pour s’inspirer des activités proposées. La phase préliminaire, qui consisterait à organiser des ateliers de réflexion où l’on partage les leçons apprises, les succès et les échecs en termes d’impact n’a souvent pas lieu et l’on fait l’économie de ces analyses fondamentales pour déterminer ce qui devrait devenir les priorités d’investissement. De plus, la lecture des notes démontre une pratique peu homogène de l’utilisation du cadre modulaire : la majorité s’en inspire mais certains gardent une certaine liberté pour proposer des activités qui ne figurent pas nécessairement dans le cadre modulaire, ou réorganisent le contenu (c’est notamment le cas des systèmes communautaire, qui est morcelé entre le module consacré aux ressources humaines en santé, celui sur la prestation de services et celui concernant le renforcement des systèmes communautaires). Pour beaucoup cependant, le cadre modulaire devient une sorte de « menu » dans lequel ils piochent, sans forcément être guidés par une ligne stratégique claire, des cases que l’on coche pour suivre les documents proposés. Au lieu d’être pris pour ce qu’il est, à savoir un catalogue visant à recenser les options possibles, au mieux une source d’inspiration, il est souvent utilisé à la lettre, sans que l’on chercher à adapter les différentes activités au contexte, et sans que l’on ait justifié en quoi l’activité est la plus pertinente. Car toutes les activités du cadre modulaire ne sont pas pertinentes pour tous les pays et les situations épidémiologiques. Cette situation est exacerbée par les restrictions relatives à la lutte contre la Covid, qui limite les réunions présentielles du CCM, interdit la tenue d’atelier, et rend les communications entre consultants rentrés chez eux et les acteurs pays difficiles.
Penser à long terme pour des cycles de 3 ans : une injonction contradictoire
Le TRP souligne l’absence de planification séquencée, qui permette de mettre en perspective des investissements de court terme, avec un impact et une pérennité menée à moyen et long terme. Mais le rythme cyclique du fonds mondial rend cette démarche difficile, car les 3 années sont courtes, surtout si l’on considère que la première année de mise en œuvre est celle du démarrage, en particulier lorsque le pays change ses modalités de mise en œuvre (choix de nouveaux PR et SR), la troisième est celle de l’élaboration de la requête de financement pour le cycle suivant. Il ne reste finalement que 12 à 16 mois pour se concentrer sur la mise en œuvre des activités, analyser les victoires et les échecs, réorienter les programmes et mesurer l’impact. C’est trop court et les pays qui en ont la possibilité ont procédé autrement : le Bénin par exemple, a tracé une feuille de route visant à renforcer le système pour 6 ans, et a étalé le financement du Fonds mondial sur 2 cycles. Au Mali, la réforme du système de santé lancée en 2019 pour une durée de 10 ans (2020-2030) fédère autour d’elle les différents bailleurs en santé, ce qui permet une vision unifiée et de moyen terme. Mais dans de nombreux pays, cette vision n’est pas encore claire et malgré des PSN mis à jour avant ou pendant l’élaboration de la requête, les priorités n’apparaissent pas évidentes. Dans le cas du SRPS, l’absence de feuilles de route et la difficulté des bailleurs en santé présents à se réunir pour planifier conjointement et de manière complémentaire handicapent même ce processus.
Renforcer le système tout en assurant les 3 maladies
Le rapport du TRP regrette le lien trop peu évident entre les activités de renforcement du système et l’impact attendu sur les résultats pour les 3 maladies. Et il est vrai que cet exercice intellectuel est difficile, surtout si l’on centre l’analyse sur le patient, et non pas sur la délivrance des services de VIH, tuberculose et paludisme. En effet, les recommandations actuelles de l’OMS tendent à privilégier une analyse centrée sur les besoins de la personne, pour des soins accessibles, équitables et de qualité, quels qu’ils soient. Les activités proposées dans les modules SRPS cherchent à renforcer des piliers (ce qui devrait être revu pour privilégier une vision holistique qui parte du patient et de ses besoins) sans pour autant avoir des effets particulièrement immédiats et visibles sur les 3 maladies. S’ils devaient en avoir, ils risqueraient de remettre en cause l’idée même du renforcement du système de santé qui se veut transversale. Il y a donc une vraie difficulté intellectuelle à allier les 2, et il est certainement important que les recommandations du TRP et du Fonds mondial soient plus guidantes pour les pays.
Les urgences concurrentielles : renforcer les acquis tout en mettant à l’échelle
Le TRP critique généralement le manque d’ambition dans les cibles affichées, et c’est l’un des motifs d’itération des notes rejetées. C’est également un élément clé souligné dans le rapport objet de cet article. Cependant, il est à noter que les résultats déjà obtenus sont d’ores et déjà en danger, au vu des faibles taux de charge virale indétectables et des taux de rétention en baisse après seulement 12 mois, en particulier en Afrique de l’ouest et du centre. Il existe quelques études qui comparent les différentes stratégies de rétention (sms, visites à domicile, groupes d’auto-support, groupes TARV) mais elles sont malgré tout perfectibles, et demandent des moyens importants. On demande donc aux pays de se fixer des cibles ambitieuses pour dépister et traiter de nouveaux cas, tout en sachant que le système actuel et les capacités des OSC, maillon indispensable pour le suivi des patients, sont limitées. Et que dans les deux cas, leur renforcement prend du temps et ne se place pas sur la même échelle temps que le cycle de trois ans. Les succès les plus rapides sont ceux qui se placent le plus souvent en dehors du système de santé pour en éviter les écueils et les lourdeurs, disposent de ressources humaines bien formées et rémunérées correctement, et qui mettent en place un système de mesure de la performance adéquat. C’est pour cela que les agences onusiennes mettent en place des systèmes d’approvisionnement et de distributions parallèles au système, ou que les ONG internationales recrutent (parfois aux dépens des ministères) du personnel qualifié qu’elle rémunère, forme et conserve. On est en droit de se demander si ces orientations concurrentes, à savoir pérenniser les acquis tout en accélérant le dépistage et le traitement des patients sont réalistes, et si pour certains pays encore fragiles, le cycle 2021-2023 ne sera pas celui du renforcement du système et de ses acteurs, conduisant à une véritable accélération en 2024.
Ressource additionnelle :
Enseignements tirés par le Comité technique d’examen à partir de la première période d’examen du cycle de financement 2020-2022, 23 juin 2020.