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Reprioriser sous contrainte : ce que change la révision à mi-parcours du CS7 du Fonds mondial

Type d'article: ANALYSE Auteur: Christian Djoko, Ekelru Jessica Date: 2025-12-10
Resumé
Cet article présente la nouvelle orientation du Fonds mondial pour la révision à mi-parcours du Cycle de Subvention 7 (CS7). Face à la baisse des financements internationaux, notamment après le retrait d’USAID, le Fonds appelle les pays à reprioriser leurs interventions : concentrer les ressources sur les services vitaux (VIH, tuberculose, paludisme, systèmes communautaires) et reporter les activités secondaires. Cette révision vise à garantir la continuité des soins essentiels tout en préparant le Cycle de Subvention 8 (CS8) autour de quatre principes : intégration, coût-efficacité, équité d’accès et pérennité.

Le Fonds mondial a publié récemment la mise à jour de son document intitulé : « Orientations relatives à la redéfinition des priorités et à la révision à mi-parcours du CS7 »

L’« exercice de vérité » que le principal instrument financier mondial en charge de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme engage à mi-parcours du Cycle de Subvention 7 (CS7) n’est pas une retouche technique mais un changement d’optique : partir de la réalité des coupes et des retraits de partenaires pour retarifer le possible et sécuriser l’accès aux services vitaux, quitte à différer ou renoncer à des activités moins critiques. Le document-cadre est explicite : la redéfinition des priorités procède de la suspension ou du report d’activités initiés en avril 2025 et se concentre sur la préservation des interventions vitales dans les trois maladies et dans les systèmes de santé et communautaires, y compris pour « couvrir des manques » laissés par des partenaires défaillants ou sortants. Ce « moment charnière » sert aussi de rampe d’accès au prochain cycle : la planification des ajustements du CS7 doit aider les pays à préparer le CS8 autour de quatre maîtres mots – intégration, coût-efficacité, équité d’accès et pérennité – afin d’ancrer les ripostes VIH, TB et paludisme dans les soins primaires et les systèmes communautaires, sans perdre de vue la soutenabilité financière de long terme. Cette bascule graduelle, le Conseil d’administration l’a d’ailleurs débattue au printemps 2025 : « prioriser l’accès aux interventions vitales », adapter et reprogrammer dans le cycle courant, tout en gardant l’impact en ligne de mire. Le décor, lui, est rugueux : l’aide au développement pour la santé aurait reculé d’environ 21 % entre 2024 et 2025, sous l’effet d’une chute d’environ 9 milliards $ des financements américains, selon le suivi d’IHME. Et la « fin d’USAID » – au-delà du symbole – a produit des dislocations concrètes, de la récupération citoyenne d’un stock de contraceptifs menacé de destruction en Belgique jusqu’à la mise en place, par d’anciens agents, d’un dispositif d’urgence pour sauver des projets à fort rendement sanitaire.

Le cadre et la philosophie de la révision

Si l’on entre maintenant dans la mécanique proposée, la logique du Secrétariat combine une réduction systémique des montants (documentée par lettre de notification) et un filtre d’éligibilité des révisions : selon l’ampleur des changements induits par la redéfinition des priorités, les pays procèderont soit à une révision de la portée programmatique, soit à une révision du budget, éventuellement combinée avec d’autres ajustements (fonds privés, Climat × Santé, etc.).

Cette « porte de tri » est normée : constitue une modification de portée programmatique tout changement aux buts/objectifs ou tout ajout/suppression (y compris « suppression effective ») d’interventions qui altère substantiellement la conception des subventions ; la matérialité se juge au regard de seuils, de la gouvernance interne et d’un simple principe de précaution – en cas de désaccord entre équipe de pays et investissement stratégique, l’arbitrage bascule vers la révision de portée programmatique.

Les garde-fous de proportionnalité sont clairs : interventions < 100 000 $ (hors interventions « liées à la communauté ») relèvent d’une appréciation de l’équipe de pays ; ≥ 100 000 $ appellent un examen renforcé ; et au-delà d’1 million $ (voire 5 millions $), des échelons supplémentaires d’approbation et de reporting s’appliquent jusqu’au Comité d’approbation des subventions. L’architecture procédurale, enfin, vise la célérité : trois jours ouvrés pour les « no-objection » du Comité d’approbation des subventions ; une dizaine de jours ouvrés pour un avis CTEP à distance lorsqu’il est sollicité.

Au plan documentaire, le tronc commun reste budgétaire (récapitulatif et détaillé), pharmalogistique (document type de gestion des produits de santé), et, dans des cas exceptionnels seulement, une mise à jour du cadre de performance – sans révision de cibles à ce stade, l’Institution assumant que dans un contexte de réduction des financements, des notes de performance plus basses pourront apparaître sans être automatiquement interprétées comme des sanctions. Ce réalisme « non punitif » est une inflexion bienvenue : il protège les RP (récipiendaires principaux) d’un double risque – financier et réputationnel – lorsque des résultats glissent pour des raisons exogènes.

Procédure, délais et gouvernance

Le tempo, lui, est resserré, presque martial. Pour les portefeuilles qui passent par une révision de portée, la lettre de mise en œuvre devait être signée et transmise au plus tard le 7 octobre 2025 ; les révisions budgétaires pures devaient être bouclées au plus tard le 30 octobre 2025. Et lorsque la révision formalise un regroupement de subventions au sein d’un même PR, celui-ci devait être achevé avant fin août et signé au plus tard le 30 septembre 2025.

La même exigence s’exprimait plus loin pour la lettre de mise en œuvre : elle devait être signée « au plus tôt » et au plus tard le 30 septembre passé, puis contresignée pour produire effet, avant que l’opération ne soit comptablement « achevée » (bon de commande mis à jour et enregistrement dans les systèmes). Cette discipline de calendrier est assortie d’un impératif politique : participation inclusive et traçable de l’ICN (instance nationale de coordination) – avec focalisation explicite sur la consultation des communautés et des OSC – et possibilité, le cas échéant, de solliciter les ALF pour « vérifier la réalité » de cette participation, jusqu’à une enquête de qualité menée par le Secrétariat post-soumission.

On notera, au passage, que l’approbation formelle de l’ICN n’est pas requise pour une révision budgétaire (mais l’information de l’ICN est obligatoire), ce qui allège utilement la chaîne d’aval pour les ajustements non matériels de portée. Bref : une procédure exigeante sur le fond, allégée où il le faut, et chronométrée.

Arbitrages politiques, techniques et lignes rouges

C’est dans ce cadre que se jouent des arbitrages politiques et techniques de première importance. D’abord sur la portée : les exemples fournis distinguent ce qui « fait » modification de portée (ex. suppression d’interventions devenues sans objet ou dorénavant couvertes par d’autres financeurs, y compris C19RM) et ce qui n’en fait pas (ex. déplacement d’activités entre interventions existantes ou entre subventions d’une même composante maladie).

Ensuite sur l’activation d’un examen renforcé : celui-ci se justifie, par exemple, lorsque des évolutions substantielles s’imposent pour combler des lacunes nouvelles depuis le début du CS7, lorsqu’un arrêt de collaboration avec un récipiendaire/sous-récipiendaire (RP/SSR) de la société civile est envisagé, ou quand la proportionnalité des coûts de gestion est questionnée ; point important, en cas de désaccord de fond entre le Fonds, le RP et/ou l’ICN sur l’adaptation « pays » de l’approche de redéfinition pour préserver l’accès aux services essentiels, un avis technique indépendant peut être requis.

Enfin, l’orthodoxie budgétaire reste ferme sur deux ressorts sensibles : les engagements de cofinancement et les fonds de contrepartie. Les exigences de cofinancement du CS7 ne sont pas modifiées par la réduction d’allocation ni par l’exercice de redéfinition ; leur réalisation demeure primordiale pour l’impact, la pérennité et l’affranchissement progressif de l’aide – avec, le cas échéant, des ajustements ciblés et dûment formalisés si l’écosystème de financement externe impose des recentrages nationaux.

Quant aux fonds de contrepartie, la boussole est de les affecter en « dernier ressort » aux coupes, après examen des financements hors-contrepartie dans le domaine prioritaire, et de cadrer toute réduction avec le juridique et la référence technique dédiée – pour ne pas dégrader des conditions d’accès programmatiques déjà sous tension.

Cette fermeté est cohérente avec la doctrine publique du Fonds sur la pérennité et le cofinancement, qui vise une progression des dépenses publiques de santé et l’absorption domestique graduelle de coûts clés – y compris, lorsqu’ils existent, les incitatifs attachés à la réalisation d’engagements additionnels.

Figure 1 : Vue d’ensemble du processus de redéfinition des priorités et de révision.

Une image contenant texte, capture d’écran, Parallèle, Police

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

Impacts pays et leçons opérationnelles

Que change concrètement cette « révision sous contrainte » au niveau pays ? Trois scènes permettent d’en prendre la mesure. En Zambie, les autorités ont publiquement assumé les coupes américaines comme un électrochoc pour accélérer l’effort budgétaire domestique, tout en reconnaissant la brutalité du choc sur des programmes historiquement soutenus par les États-Unis, notamment dans le VIH/santé ; une augmentation des crédits santé et médicaments est annoncée pour 2026, même si l’effort demeure inférieur aux repères internationaux.

Pour un portefeuille GC7 zambien typique, la guidance invite à sanctuariser les lignes d’accès aux ARV, au diagnostic TB et aux intrants paludisme, en priorisant les modules à rendement sanitaire immédiat et en documentant tout « déclassement » d’interventions à effet plus différé ; si une suppression effective était envisagée sur une intervention communautaire à > 100 000 $, la bascule vers une révision de portée et, le cas échéant, un examen renforcé s’imposerait, avec consultation ICN et, si besoin, avis CTEP (Figure 2).

En République démocratique du Congo, où la fragmentation historique des RP et la densité d’interventions communautaires rendent les arbitrages sensibles, l’outil de « regroupement des subventions » à le potentiel de devenir un levier d’efficience si l’ICN et le RP parvenaient à finaliser et signer la révision à temps – mais la gouvernance devra être irréprochable pour éviter que l’optimisation organisationnelle ne se traduise par une contraction inéquitable de la voilure chez les SSR communautaires.

Au Mozambique, pays très exposé aux effets cumulatifs de la baisse d’APD (Aide publique au développement) santé et des chocs climatiques, les lignes « Climat × Santé » évoquées par le Secrétariat (intégrables lors d’une révision de portée) peuvent donner de l’air aux chaînes d’approvisionnement ou à la surveillance entomologique, mais elles devront être strictement encadrées par la matrice de valeur-pour-argent (coût-efficacité et équité) pour ne pas déshabiller les paquets essentiels dans les districts à forte incidence palustre.

Dans ces trois cas, le même fil rouge : rendre ces choix « délibérés », traçables et inclusifs, pour qu’ils tiennent au contrôle de recevabilité technique et au verdict, toujours provisoire, de la mise en œuvre.

Figure 2 : Procédure visant à déterminer si un examen renforcé est nécessaire.

Une image contenant texte, capture d’écran, Police, ligne

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Tensions, limites et horizon CS8

Ce que révèle surtout cette séquence, c’est la collision entre trois exigences rarement alignées : l’urgence (tenir des délais à 2–4 semaines près pour des décisions structurantes), l’équité (ne pas concentrer l’ajustement sur les communautés et les territoires les plus fragiles) et la pérennité (ne pas renégocier à la hâte des engagements de cofinancement, au prix d’un effet cliquet dangereux pour le futur). La guidance tranche avec une lucidité assumée : on ne révise pas les cibles des cadres de performance « à chaud », parce que l’impact macro-budgétaire national reste incertain ; et si, dans l’intervalle, des notes de performance s’érodent, elles ne seront pas interprétées comme un blâme automatique, sauf si des problèmes de performance plus larges sont avérés.

C’est une mise à distance salutaire du « culte de l’indicateur » quand l’aléa externe domine. Mais cette prudence n’épuise pas la discussion politique. Car, avec la fermeture d’USAID – dont l’onde de choc continue de déferler, qu’il s’agisse d’impacts projetés sur la mortalité évitable ou d’effets réputationnels pour l’écosystème américain de l’aide – les pays sont contraints à des choix de second-meilleur : prioriser la continuité des services, certes, mais aussi accepter que des « externalités de confiance » (dans la pharmacie publique, la chaîne de froid ou les réseaux communautaires) se fissurent si les replis de partenaires s’additionnent.

Dans ce contexte, la position du Fonds mondial sur la « dernière touche » aux fonds de contrepartie est cohérente : elle protège des moteurs d’effet de levier – souvent orientés vers des populations clés ou des chantiers en rattrapage – d’un ajustement procyclique trop brutal.

Reste l’horizon. Le Secrétariat a confirmé que cet exercice CS7 nourrit directement la préparation du CS8, dont les jalons ont été décalés (matériels candidats en novembre 2025, lettres d’allocation fin février/début mars 2026), sur fond de huitième reconstitution plus tardive et d’incertitudes persistantes. La question politique, donc, n’est pas seulement « que couper ? » mais « que (re)construire ? ». Ici, la littérature récente plaide pour des arbitrages fondés sur la valeur-pour-argent au sens strict (économie, efficacité, efficience, équité, pérennité) appliqués aux modules RSSH et communautaires, afin que l’intégration annoncée ne soit pas un synonyme d’évaporation des services ciblés, mais l’occasion de mieux arrimer la lutte aux soins primaires et aux canaux communautaires qui délivrent l’accès réel.

Concrètement, pour un pays très dépendant de l’aide VIH comme la Zambie, l’« escalier » est clair : au court terme, sécuriser les intrants et l’accès (ARV, VL, prévention ciblée), réassurer les RP/SSR communautaires et documenter les suppressions effectives ; au moyen terme, consacrer le surcroît budgétaire domestique promis aux lignes d’absorption (salaires, consommables, chaîne d’approvisionnement) et reconstituer des « fonds de flexibilité » au sein du cadre RSSH pour encaisser la volatilité des partenaires. C’est exactement la logique voulue par la guidance : des révisions rapides, proportionnées et lisibles, adossées à une participation ICN qui ne soit ni formelle ni sélective, et un dossier finalisé sans zone grise de gouvernance (DEIS à jour, signatures dans les temps, consignes budgétaires respectées).

Conclusion

En définitive, ces orientations signent une inflexion assumée : admettre que, dans un monde chahuté – où l’un des piliers historiques de l’aide américaine a été démantelé et où l’APD santé décroît –, l’optimum passe par une « re-priorisation » franche, rapide et équitable, plutôt que par des ajustements homéopathiques qui laissent se fissurer l’accès. Le Fonds mondial prend soin de doser exigence et pragmatisme : fermeté sur la pérennité (cofinancement, contrepartie), discipline de procédure et de calendrier, mais refus d’un punitivisme indiciaire et reconnaissance de la centralité des communautés. À court terme, c’est une stratégie de continuité de service sous contrainte.

À moyen terme, c’est une politique de reconstruction : préparer le CS8 en tirant parti de cette cartographie des « essentiels », pour présenter, dès l’allocation, des paquets intégrés à haut rendement sanitaire et social. La condition de réussite ? Que cette « économie de guerre » de la santé publique reste lisible et coproduite par les pays – et que la huitième reconstitution ne se contente pas de boucher les trous, mais finance la transformation promise.

Publication Date: 2025-12-10

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