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Goalkeepers New York 2025 : protéger les acquis, accélérer les percées et replacer la survie de l’enfant au centre de l’Agenda mondial

Type d'article: FRENCH Auteur: Christian Djoko, Ida Hakizinka Date: 2025-12-10
Resumé
Cet article analyse Goalkeepers New York 2025, l’événement phare de la Fondation Bill & Melinda Gates, qui a replacé la survie de l’enfant au centre de l’agenda mondial. Dans un contexte de réduction de l’aide internationale à la santé, le message est clair : faire plus avec moins en concentrant les ressources sur les interventions les plus rentables - vaccination, santé néonatale, innovations à grande échelle et renforcement des soins primaires. En récompensant l’Espagne pour son engagement financier, la fondation a aussi envoyé un signal politique fort en faveur du multilatéralisme et du financement durable. L’édition 2025 se veut ainsi un plaidoyer de réalisme offensif, appelant à des décisions budgétaires immédiates pour éviter que les progrès réalisés depuis 2000 ne s’enrayent durablement.

Le 22 septembre 2025, alors que s’ouvrait à New York la 80e Assemblée générale des Nations unies, le rendez-vous Goalkeepers de la Fondation Bill & Melinda Gates a remis la survie des enfants au premier plan. En deux heures très scénographiées, le message fut simple et sans détours : « nous ne pouvons pas nous arrêter à presque ». En d’autres termes, le monde a réduit de moitié la mortalité des moins de cinq ans depuis 2000, mais la courbe ralentit dangereusement ; les choix budgétaires et politiques des prochains mois fixeront, pour une génération, la trajectoire des vies sauvées. Au-delà du vernis événementiel, que faut-il retenir de cette édition 2025 ? Quelle place occupe-t-elle dans l’écosystème des grandes initiatives santé ? Et où se situent les angles morts ?

D’où vient Goalkeepers et à quoi sert-il ?

Lancée en 2017 par la Fondation Bill & Melinda Gates, la plateforme Goalkeepers s’est donné une mission simple à énoncer mais difficile à tenir : garder les Objectifs de développement durable (ODD) « sous tension » en publiant des indicateurs, en célébrant des « champions » et en créant un moment politique annuel au carrefour de l’Assemblée générale des Nations unies. L’édition 2025 a opéré un resserrement stratégique : faire de la fin des décès d’enfants évitables le fil directeur de la narration, des panels et des annonces. Cette « spécialisation » ne naît pas d’un caprice de communication ; elle répond à une réalité statistique implacable : 4,8 millions d’enfants sont morts avant cinq ans en 2023, dont 2,3 millions de nouveau-nés, et la vitesse de la baisse s’est ralentie depuis 2015 - un avertissement majeur pour l’ODD 3.2. Les données du groupe inter-agences des Nations unies (UN IGME) posent le décor : nous sommes à mi-parcours sans trajectoire compatible avec 2030, à moins d’une inflexion rapide des politiques d’investissement, de la couverture vaccinale, de la santé néonatale et de la nutrition.

Un « moment média » qui vise des décisions budgétaires. Le choix du 22 septembre à New York - à l’ouverture de l’Assemblée générale - n’est pas anecdotique : Goalkeepers cherche à faire percuter le plaidoyer santé contre le calendrier budgétaire des bailleurs, les conférences de reconstitution (Global Fund, Gavi) et les lois de finances nationales. En 2025, la page officielle de l’événement affiche d’ailleurs sans détour l’ambition : « protéger les acquis, célébrer les leaders et débloquer la prochaine vague de percées pour les enfants du monde », avec la devise « we can’t stop at almost ». Le cadrage est double : défense des mécanismes multilatéraux performants (Fonds mondial, Gavi) et accélération des innovations déployables (vaccins maternels, nouvelles générations d’outils antipaludiques, produits à action prolongée contre le VIH, usages ciblés de l’IA pour la chaîne d’approvisionnement et la qualité des soins).

Légitimation par les « champions » - et un signal politique assumé. Les champions Goalkeepers 2025 de la Fondation Bill & Melinda Gates sont le Dr Abhay et le Dr Rani Bang (Inde), David Beckham (Royaume-Uni), Krystal Mwesiga Birungi (Ouganda), Toni Garrn (Allemagne), John Green (États-Unis), Osas Ighodaro (Nigéria), le Dr Donald Kaberuka (Rwanda), Jerop Limo (Kenya), Reem Al-Hashimy (Émirats arabes unis) et le Dr Naveen Thacker (Inde). La fondation a également nommé Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol, lauréat du prix Global Goalkeeper Award 2025.

En décernant ce prix au président du gouvernement espagnol, l’édition new-yorkaise a envoyé un signal lisible : récompenser les décideurs qui augmentent leur APD et soutiennent les reconstitutions des grands mécanismes. Les documents officiels mentionnent des hausses de contributions à Gavi et au Fonds mondial ainsi que le rôle de l’Espagne dans la conférence de Financement du développement (juin 2025). Au-delà du symbole, cette décision installe un récit de coalition qui relie diplomatie financière, multilatéralisme et résultats sanitaires mesurables chez l’enfant.

Édition 2025 : entre plaidoyer budgétaire et feuille de route technico-politique

1) Un plaidoyer de « réalisme offensif » dans un cycle de vaches maigres

L’édition 2025 intervient alors que les projections de l’IHME font état d’un recul de l’aide au développement pour la santé (DAH) entre 2024 et 2025 - un contexte d’austérité sanitaire où chaque dollar doit prouver son rendement. Face à cette contraction, le message de New York n’a pas été de promettre la lune mais de « tendre chaque dollar » vers les interventions au meilleur coût-efficacité pour sauver des vies d’enfants, avec un accent sur l’immunisation, la néonatalité et la lutte contre les grandes endémies (VIH, tuberculose, paludisme).

Dans un contexte de contraction de l’aide mondiale à la santé, Bill Gates a donc appelé à « faire plus avec moins » et annoncé un engagement de 912 millions USD au Fonds mondial pour la reconstitution 2026-2028, avec un appel clair aux gouvernements à « venir à la table » d’ici la clôture du cycle de reconstitution. Plus largement, le signal est double : d’un côté, on affirme la centralité des mécanismes multilatéraux de performance (Fonds mondial, Gavi) pour la survie de l’enfant ; de l’autre, on reconnaît que la fenêtre politique de décision se compte désormais en semaines plutôt qu’en années, sous peine de perdre des gains durement acquis.

2) Une feuille de route en trois mouvements… et des « preuves de mise à l’échelle »

Premier mouvement : réinvestir dans ce qui marche. L’immunisation reste la colonne vertébrale de la survie de l’enfant ; or, les gains 2000-2015 ont buté sur les enfants « zéro-dose », la rougeole et, en Afrique, le paludisme. En 2025, Gavi confirme un changement d’échelle : 23 pays africains avaient intégré un vaccin antipaludique dans leur calendrier de routine au 18 septembre, tandis que le coût par dose baisse structurellement (prix annoncés pour RTS,S et R21). Cette dynamique, née au Cameroun (lancement 2024) et poursuivie au Ghana, au Kenya, au Burkina Faso, etc., vise des millions d’enfants protégés en 2024-2025 (plans agrégés ~6,6 millions), avec un enjeu opérationnel clair : chaîne du froid, stocks, adhésion aux schémas.

Deuxième mouvement : muscler la santé primaire et la néonatalité. Les décès néonatals - prématurité, asphyxie, infections - exigent des paquets de soins (accouchement de qualité, oxygène médical, antibiothérapie judicieuse, kangourou, allaitement, prévention des infections) et des systèmes (personnel formé, oxygène et électricité fiables, référencements). La feuille de route 2025 met en avant l’optimisation des chaînes d’approvisionnement (où l’IA peut réduire les ruptures et l’obsolescence) et la qualité des soins au dernier kilomètre, précisément là où se perdent des vies « évitables ». Les estimations UN IGME confirment que c’est là que se joue l’essentiel de la mortalité stagnante.

Troisième mouvement : financer et déployer des innovations prêtes à l’échelle. Au-delà des vaccins antipaludiques, la séquence 2025 met sur la table des vaccins maternels (VRS, streptocoque B en perspective), des agents à action prolongée (contraception, prévention VIH), des outils d’imagerie et de diagnostic augmentés par l’IA, et des modèles d’achat groupé adaptés aux volumes et aux risques des pays à revenu faible et intermédiaire. Le mot-clé n’est pas « innovation » mais « innovation industrialisée » : des produits dont le coût, la capacité de fabrication et la logistique sont compatibles avec un déploiement massif dans les districts. Le Beginnings Fund (lancé en avril 2025) illustre ce pari en MNCH : capital patient, approche partenariale et métriques d’impact explicites (mères et nouveau-nés sauvés).

3) Des symboles qui comptent : prix, coalitions, diplomatie financière

Soulignons une fois de plus qu’en honorant Pedro Sánchez, Goalkeepers a relié plaidoyer, budget et diplomatie. Le message aux autres capitales est transparent : l’alignement pro-multilatéral se mesure à la hausse des contributions (Global Fund, Gavi) et à l’animation de coalitions (conférence sur le financement du développement), pas aux déclarations vertueuses. Les canaux officiels de la fondation détaillent explicitement cet enchaînement d’actions et de résultats attendus.

Angles morts et inflexions politiques

1) L’« austérité sanitaire » et la hiérarchie des priorités

Les coupes projetées de l’aide santé créent une contrainte : chaque dollar doit prouver son rendement santé-économie. Le risque ? Une hyper-verticalisation qui marginalise la nutrition, la santé mentale maternelle, ou la lutte contre les antimicrobiens. L’équilibre proposé par Goalkeepers – vertical (maladies) et transversal (PHC, chaînes d’approvisionnement) – est juste, mais dépend d’arbitrages budgétaires nationaux difficiles.

2) Philanthropie et reddition de comptes

Le poids des annonces philanthropiques (par exemple des fonds dédiés à la santé maternelle et néonatale) est croissant, mais les critères d’additionnalité et d’alignement pays doivent être solides. L’événement 2025 a insisté sur un travail « avec » les gouvernements, non « à la place de ». Il faudra des mécanismes concrets de transparence pour éviter les duplications et mesurer l’impact sur les causes majeures de décès (prématurité, infections, pneumonie, diarrhée).

3) Production régionale et souveraineté sanitaire

La séquence 2024-2025 a vu l’essor de l’accélérateur africain de fabrication des vaccins (AVMA) et une intensification du débat sur la capacité régionale. Goalkeepers les évoque comme partie prenante des « prochaines percées », mais l’insertion industrielle dans des programmes financés (Gavi, Fonds mondial) doit être clarifiée pour éviter l’écart entre narratif et marchés.

Conclusion : « Ne pas s’arrêter à presque »

À New York, Goalkeepers 2025 n’a pas simplement célébré des héros ; il a serré la focale sur la question la plus fondamentale : quand un enfant meurt d’une cause évitable, c’est un échec d’investissement et d’organisation, pas de science. Les données internationales attestent d’un ralentissement du progrès depuis 2015 ; les annonces de New York (feuille de route, financement du Fonds mondial, cap sur Gavi) proposent un réalisme offensif : sécuriser les mécanismes qui délivrent, muscler la santé primaire, et accélérer le déploiement d’innovations prêtes à l’échelle.

La crédibilité de cette promesse se jouera dans les prochains mois, lors des décisions de reconstitution et des lois de finances nationales. Si elles suivent, des millions d’enfants supplémentaires pourront vivre au-delà de leur cinquième anniversaire ; sinon, la décennie se refermera sur un presque – et l’histoire jugera sévèrement cet « ajustement » que l’on aurait pu éviter.

Publication Date: 2025-12-10

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