OFM Edition 184, Article Nombre: 3
Au printemps 2025, l'OMS est confrontée à une crise sans précédent à la suite du retrait des États-Unis, son principal donateur, dont la contribution représente environ 18 % du budget total. Ce retrait se traduit par une perte de financement supérieure à 20 %, soit environ 600 millions de dollars pour l'année fiscale à venir. En conséquence, l'organisation annonce des coupes budgétaires de 21%, réduisant son budget de 5,3 milliards d'USD à 4,2 milliards d'USD. Ces contraintes financières importantes entraînent des réductions substantielles de personnel, y compris au siège de Genève, et une priorisation rigoureuse des programmes en cours.
Dans ce contexte difficile, l'OMS est également confrontée à un paysage géopolitique marqué par des tensions accrues et un multilatéralisme fragmenté, caractérisé par des intérêts nationaux et privés croissants, qui compromettent son rôle dans la coordination internationale de la santé. La crise n'est donc pas seulement un défi financier, elle nécessite aussi une profonde réinvention stratégique de l'organisation.
Des questions de santé cruciales sous pression
Cette crise budgétaire survient alors que l'OMS doit répondre simultanément à 42 urgences sanitaires touchant 305 millions de personnes dans le monde, avec un appel d'urgence de 1,5 milliard de dollars pour l'ensemble de l'année 2025. Nombreuses de ces crises sont liées aux effets du changement climatique, ce qui nécessite une réponse coordonnée sans précédent.
En outre, des programmes vitaux de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme sont directement affectés par le retrait financier des États-Unis, comme nous l'avons souligné dans plusieurs de nos articles il y a quelques mois. L'ONUSIDA, qui dépend des fonds américains pour 50 % de son budget, risque une interruption du suivi médical, une augmentation spectaculaire des cas de tuberculose résistante aux médicaments et l'érosion potentielle des progrès réalisés au cours des vingt dernières années en matière de prévention et de traitement du VIH (figure 1). Le paludisme, malgré des succès notables, notamment l'introduction récente d'un vaccin dans 18 pays, risque également de connaître des revers importants en raison de la perte potentielle de la coordination technique et du soutien financier permanent.
Figure 1 :
L'impératif d'une réinvention stratégique de l'OMS
Face à ces défis, il est urgent de recentrer l'OMS sur ses fonctions normatives essentielles : l'établissement de normes sanitaires internationales, la fourniture d'une expertise scientifique indépendante, la surveillance de la santé mondiale et la coordination technique intergouvernementale. Ce recentrage réduirait la dispersion actuelle des ressources, permettant à l'OMS de se concentrer sur son rôle d'autorité sanitaire mondiale tout en déléguant des interventions plus opérationnelles à des acteurs bilatéraux ou humanitaires.
Cette stratégie suppose également une transparence accrue et une meilleure gouvernance, garantissant l'indépendance vis-à-vis des financements privés ou philanthropiques, qui constituent déjà une part importante du budget (environ 10 % via la Fondation Gates). En outre, il serait essentiel de renforcer le rôle de l'Assemblée mondiale de la santé dans la gouvernance stratégique, en exigeant une plus grande responsabilisation des États membres, notamment par des contributions obligatoires plus prévisibles et plus importantes.
Transformer la crise financière en opportunité stratégique
Pour surmonter sa dépendance à l'égard de financements volatils, l'OMS doit diversifier et innover ses sources de financement. L'instauration de taxes sanitaires, l'utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS) à des fins sanitaires, l'assurance maladie internationale ou le financement de la santé climatique peuvent contribuer à garantir des ressources financières à long terme. Ces solutions, bien qu'ambitieuses, nécessitent une coordination internationale renforcée et un soutien politique durable.
Parallèlement, un réajustement stratégique est nécessaire : l'OMS doit réduire sa présence opérationnelle directe au profit d'un rôle de coordination plus important et d'un soutien aux systèmes de santé nationaux. Cette évolution permettrait une meilleure utilisation des ressources, renforçant la résilience locale et nationale au lieu de dépendre entièrement d'interventions extérieures, souvent coûteuses et non viables.
Enfin, l'exploitation accrue des technologies numériques, de la science et de la surveillance mondiale est une priorité absolue. L'efficacité prouvée de la surveillance numérique et des systèmes d'alerte précoce pendant la pandémie de COVID-19 doit être mise à profit pour améliorer les réponses mondiales aux futures crises sanitaires.
Protéger les acquis de la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme
La crise financière menace directement les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. La réduction du soutien financier pourrait conduire à une recrudescence importante des cas, notamment en Afrique du Sud, où des milliers de vies sont en jeu d'ici 2034. L'OMS doit impérativement maintenir le soutien technique aux politiques nationales de prévention, de dépistage et de traitement, ainsi que les chaînes logistiques indispensables pour assurer la disponibilité des médicaments critiques.
En ce qui concerne le paludisme, l'introduction récente de vaccins dans de nombreux pays représente une avancée précieuse mais fragile. Sans une solide coordination internationale et un financement stable, ces succès risquent d'être compromis, ce qui pourrait réduire à néant des années d'efforts et d'investissements.
Principaux risques du statu quo organisationnel
Le statu quo actuel expose l'OMS à des risques importants. Une paralysie budgétaire prolongée aggraverait sa dépendance à l'égard d'un financement extérieur imprévisible, ce qui réduirait considérablement sa capacité opérationnelle à moyen terme. Une perte d'autorité scientifique due à la domination d'intérêts privés ou extérieurs pourrait encore affaiblir la crédibilité mondiale. De même, un repli sur la gestion humanitaire à court terme pourrait empêcher l'OMS d'exercer pleinement son rôle stratégique de coordinateur mondial de la santé.
En outre, des domaines clés tels que la préparation aux pandémies, la santé mentale, la nutrition et d'autres défis sanitaires majeurs pourraient connaître une fragmentation accrue et un grave manque de cohérence internationale.
Conclusion : L'heure de vérité pour l'OMS
Comme le souligne de manière convaincante la note bleue du groupe de réflexion « Santé mondiale 2030 » , la crise financière actuelle représente un moment décisif pour l'avenir de l'OMS. L'organisation a désormais une occasion historique de se réinventer fondamentalement pour devenir une institution stratégique, efficace, transparente et durable. Les propositions présentées - recentrage normatif, diversification financière, responsabilisation accrue des États membres et intensification des innovations technologiques - offrent une voie claire pour la refonte nécessaire.
Aujourd'hui, il est indispensable que toutes les parties prenantes - États membres, partenaires financiers, scientifiques et société civile - soutiennent activement cette transformation afin de garantir un avenir plus résilient, plus cohérent et plus solidaire en matière de santé mondiale.
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Numéro d'article : 1
2025-08-18
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Numéro d'article : 6
Numéro d'article : 7
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