OFM Edition 180, Article Nombre: 5
Dans un contexte mondial marqué par des tensions géopolitiques et économiques, l'écosystème de la santé mondiale traverse des défis sans précédent. Le gel de l’aide américaine, le retrait annoncé des États-Unis de l’OMS, et une baisse générale de l’aide internationale compromettent les progrès réalisés dans la lutte contre des maladies endémiques, telles que la tuberculose, le VIH et le paludisme. Dans ce climat incertain, des organisations comme Impact Santé Afrique continuent de se battre pour maintenir et renforcer leurs efforts contre le paludisme, en particulier en Afrique, où la maladie reste une cause majeure de mortalité.
Pour mieux comprendre l'impact de ces évolutions sur la lutte contre le paludisme, nous avons interviewé Olivia Ngou, Directrice Exécutive d’Impact Santé Afrique une organisation qui joue un rôle clé dans le plaidoyer et la coordination des efforts pour éliminer le paludisme en Afrique. Dans cet entretien exclusif, Olivia Ngou partage son point de vue sur la crise actuelle du financement, l’avenir de la lutte contre le paludisme et les stratégies que son organisation met en place pour faire face à cette situation complexe.
À travers ses réponses, elle dresse un état des lieux des défis auxquels fait face la communauté mondiale et met en lumière les actions concrètes nécessaires pour maintenir l'efficacité des programmes de santé publique.
1/ Avec le gel de l’aide américaine et le retrait annoncé des États-Unis de l’OMS, quelles répercussions concrètes ces décisions ont-elles sur les efforts de lutte contre le paludisme en Afrique, notamment en termes de financement et de coopération internationale ?
Les conséquences sont dramatiques, en particulier pour les communautés les plus vulnérables face au paludisme, notamment les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Il convient de rappeler que les financements du PMI (Ndlr: Le President's Malaria Initiativeest un programme du gouvernement fédéral des États-Unis pour lutter contre le paludisme) ciblaient, dans les pays éligibles, des interventions à fort impact, en particulier grâce à des outils efficaces de lutte contre le paludisme, dans les zones à forte prévalence ou à taux de mortalité élevé. Ces régions et provinces se retrouvent aujourd’hui dans une situation critique. L’arrêt brusque des interventions (prévention, tests, traitements) entraîne non seulement des ruptures de stocks en tests et traitements, mais aussi un retard dans la mise en œuvre des campagnes saisonnières, cruciales pour lutter contre la propagation du paludisme. En conséquence, nous risquons de voir une montée inexorable des décès, alors même que ces vies pourraient être sauvées.
2/ La huitième reconstitution des ressources du Fonds mondial approche, dans un contexte de baisse de l’aide internationale. Quelles sont les priorités d'Impact Santé Afrique dans cette reconstitution, et comment comptez-vous mobiliser des ressources face à cette tendance préoccupante ?
Impact Santé Afrique abrite le secrétariat de GFAN Afrique, en partenariat avec WACI Health. Ensemble, nous avons élaboré un plan de mobilisation des communautés affectées par les trois grandes épidémies, en collaboration avec des organisations de la société civile venant de toute l’Afrique. Cette initiative vise à faire entendre nos voix. Grâce à notre campagne One World, One Fight, nous cherchons à mobiliser les décideurs et leaders d’Afrique, ainsi que ceux des pays alliés du Fonds Mondial, pour qu’ils prennent des décisions fermes et mobilisent les fonds nécessaires pour sauver 23 millions de vies. Nous appelons également les leaders mondiaux à honorer leurs engagements pour éradiquer ces maladies qui menacent la sécurité sanitaire globale. Ce n’est pas seulement une question de financement ; il s'agit d'une urgence humanitaire, de sauver des vies et d'éliminer des menaces mondiales. Le Fonds Mondial a permis des progrès considérables dans la lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose, mais aujourd’hui, nous avons les outils nécessaires pour aller plus loin et viser l’élimination. Cependant, si des actions immédiates ne sont pas entreprises, nous risquons de perdre ces acquis et d’accélérer la résistance et la propagation de ces maladies. Nous continuerons à mobiliser les leaders africains pour renforcer les financements domestiques alloués à la santé. Au-delà des financements, nous faisons face à une menace mondiale réelle, et l’unité est essentielle pour faire reculer ces épidémies et éviter la propagation de la résistance. Le VIH, le paludisme et la tuberculose ne nous attendront pas. Nous allons mener des actions ciblées et conjointes, en partenariat avec les jeunes, les parlementaires, les scientifiques et les leaders communautaires, pour mobiliser les fonds nécessaires à la lutte et sauver des vies.
3/ Les principales agences de développement des pays occidentaux semblent réduire leur soutien à la santé mondiale. En tant qu’acteur clé de la lutte contre le paludisme en Afrique, quelles stratégies mettez-vous en place pour maintenir l'impact de vos programmes malgré cette réduction de financement ?
Nous avons toujours mené un plaidoyer en faveur d’un financement domestique accru pour la lutte contre le paludisme et la santé en général. Nous avons formé plus de 100 leaders de la société civile sur le financement de la santé via les fonds domestiques, dans le cadre du programme Joint Learning Agenda for Health Financing in Africa, que nous avons coordonné pour l’Afrique francophone. Nous continuerons à fournir à la société civile les outils nécessaires pour maîtriser les processus budgétaires de nos pays, identifier les moments et acteurs clés, et influencer l’allocation des fonds de santé, tout en soutenant la couverture de santé universelle et le renforcement des systèmes de santé. Ce programme est plus que jamais crucial. En 2024, les ministres de la santé des 10 pays les plus touchés par le paludisme ont signé la déclaration de Yaoundé, un engagement fort en faveur de financements locaux accrus et d’une gestion améliorée de la lutte dans leurs pays. En outre, en 2024 toujours, la COPEMA, coalition des parlementaires pour l’élimination du paludisme en Afrique, a vu le jour et est actuellement en train de finaliser un plan d’action avec CS4ME (Civil Society for Malaria Elimination). De nombreux pays africains ont également commencé à mobiliser le cofinancement nécessaire pour les programmes du Fonds Mondial, malgré les crises économiques. Tout cela témoigne de la volonté des pays africains de mettre fin au paludisme. Cet écosystème est essentiel, non seulement pour une plus grande mobilisation des fonds, mais aussi pour un mécanisme de responsabilité efficace avec des évaluations de performance. Impact Santé Afrique continuera à soutenir les ministères de la santé africains dans la mise en œuvre des ajustements tactiques nécessaires en matière de soins de santé primaires, de couverture santé universelle et de lutte durable contre le paludisme.
4/ Le paludisme reste l’une des principales causes de mortalité en Afrique. Comment les crises économiques et de financement, exacerbées par la pandémie et les évolutions géopolitiques mondiales, affectent-elles vos efforts pour lutter contre cette maladie sur le terrain ?
Ces crises mettent gravement en péril des années de progrès contre le paludisme et les investissements déjà réalisés, qui risquent d’être perdus. En 2025, nous disposons des solutions nécessaires pour lutter contre cette maladie, mais ce contexte mondial empêche l’utilisation des outils existants pour sauver des vies. Chaque obstacle à l’atteinte de nos objectifs, ainsi que la perte des talents et des acquis dans cette lutte, est un frein considérable à nos efforts.
5/ Dans ce contexte mondial incertain, quelle est votre vision pour la lutte contre le paludisme en Afrique dans les années à venir ? Quels ajustements ou nouvelles stratégies seraient nécessaires pour maintenir, voire renforcer, les progrès réalisés jusqu'à présent ?
L’élimination du paludisme est possible, et nous le disons depuis longtemps. Pour y parvenir, nous devons augmenter les financements domestiques, renforcer l’engagement communautaire avec un focus sur le ménage comme acteur central de la lutte. Il est également essentiel de financer adéquatement et de garantir la couverture totale des agents de santé communautaire, tout en assurant une prise en charge rapide des cas de paludisme grâce à un système d'information sanitaire performant. Nous devons également porter un véritable accent sur la prévention, en assurant une couverture complète des outils de prévention du paludisme. Par ailleurs, des approches innovantes, telles qu’un engagement multisectoriel dans la lutte contre le paludisme, sont cruciales. Le paludisme ne doit plus être considéré comme un problème uniquement pour le ministère de la Santé ; tous les secteurs doivent y contribuer : environnement, agriculture, éducation, recherche, habitat, mairies… Le secteur privé joue également un rôle clé dans l’accélération des efforts de lutte. Si les financements extérieurs restent importants pour compléter les efforts locaux, l’arrivée de nouveaux outils innovants et leur déploiement rapide nous permettront d'atteindre notre objectif : mettre fin au paludisme.
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2025-03-14
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