OFM Edition 182, Article Number: 2
ABSTRACT
Cet article analyse la note d'information publiée par la Délégation des Communautés auprès du Conseil d'administration du Fonds mondial, qui alerte sur les risques liés aux récentes mesures de ralentissement et de reprioritisation budgétaire dans le cadre des cycles de subvention 6 et7. Il met en lumière les implications potentielles pour les services communautaires, les droits humains et la participation des populations clés.
Depuis sa création, le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme s’est imposé comme un acteur central du financement international de la santé. En mobilisant des ressources colossales et en s’appuyant sur des partenariats multi-acteurs, il a permis d’importants progrès dans la riposte aux trois pandémies. Pourtant, avec l’introduction de mesures de ralentissement et de reprioritisation dans le cadre du Cycle de subvention 7 (CS7), de nombreuses inquiétudes émergent. La note d’information émise par la Délégation des Communautés de personnes vivant avec le VIH et affectées par la tuberculose et le paludisme auprès du Conseil d'administration du Fonds mondial (Délégation des Communautés) en mai 2025 constitue un document important qui alerte sur les risques imminents que ces ajustements budgétaires pourraient faire peser sur les services communautaires, les droits humains et la durabilité des réponses.
Contexte global : un environnement de plus en plus contraignant
Les contraintes budgétaires globales, accentuées par la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine, l’inflation mondiale et la fragmentation croissante de l’aide publique au développement, ont mis les bailleurs sous pression. Le Fonds mondial lui-même, lors de sa septième reconstitution en septembre 2022, n’a pu lever que 15,7 milliards de dollars, soit en deçà de l’objectif de 18 milliards. Dans ce contexte, le Secrétariat du Fonds mondial a dû adapter sa stratégie de décaissement. Fin avril 2025, une première communication – qualifiée de « lettre d’ajustement » – a demandé aux récipiendaires principaux (PR) de suspendre certaines dépenses non urgentes en attendant des prévisions de financement plus claires. Une seconde communication, attendue prochainement, devait annoncer des coupes plus ciblées dans les enveloppes nationales, comme le signale la Délégation des Communautés.
Analyse de la note communautaire
La note de la Délégation des Communautés ne se limite pas à une réaction politique : elle fournit une analyse stratégique des conséquences des mesures annoncées. Elle reconnaît la logique du Secrétariat mais rappelle que « les produits vitaux n'atteindront jamais ceux qui en ont le plus besoin sans des systèmes communautaires robustes ». En d’autres termes, il ne suffit pas de financer les médicaments, encore faut-il assurer qu’ils soient distribués, acceptés, et accompagnés; fonctions assurées notamment par les OSC locales et les réseaux communautaires.
La note soulève également un enjeu fondamental de gouvernance. Elle appelle à une inclusion réelle des communautés dans les processus de reprioritisation et de reprogrammation via les instances de coordination nationale (ICN). Or, des études menées, (parmi lesquelles, l’étude RISE) ont montré que dans plusieurs pays, la participation des représentant(e)s communautaires dans les ICN reste marginale ou purement formelle.
Risques systémiques pour les services communautaires
Les systèmes communautaires ne sont pas de simples relais périphériques : ils constituent des éléments essentiels du maillage sanitaire, notamment pour les populations clés. Dans des contextes de stigmatisation ou de criminalisation (usagers de drogues, HSH, travailleurs du sexe), ce sont souvent les seuls acteurs capables d’atteindre et de maintenir ces groupes dans les parcours de soin. Selon l’ONUSIDA, une partie très importante des nouvelles infections au VIH dans le monde concernent les populations clés et leurs partenaires.
Réduire les budgets alloués à ces interventions, même temporairement, représente donc un risque majeur de rupture de la chaîne de prévention, de suivi et de traitement. La note appelle à une action proactive : auto-organisation, documentation des besoins, dialogue avec les PR, participation au suivi de la reprogrammation. L’expérience des cycles précédents montre que les coupes touchent souvent en premier lieu les lignes budgétaires les moins bien défendues politiquement : plaidoyer, droits humains, éducation par les pairs, soutien psychosocial, etc.
Recommandations stratégiques
Face à cette situation, plusieurs recommandations s’imposent. Premièrement, « Toutes les révisions des subventions doivent faire l'objet d'un processus d'examen inclusif par le CCM, avec une participation significative des communautés. Dans les pays où les CCM n'impliquent pas suffisamment les acteurs communautaires, des mécanismes plus larges et inclusifs doivent être mis en place », souligne très précisément les rédacteurs et rédactrices de la note. Pour ce faire, les communautés doivent exiger un accès intégral aux lettres de reprogrammation, dans un souci de transparence et de responsabilité. Ensuite, il est important de documenter les conséquences concrètes des coupes, afin d’en démontrer l’impact sur les résultats des programmes. La création d’espaces parallèles d’analyse et de coordination, indépendants des ICN, peut également renforcer la capacité des organisations de la société civile à peser dans les arbitrages. Enfin, les partenaires techniques et financiers doivent appuyer activement les exigences communautaires, afin d’éviter que la crise budgétaire ne se traduise en crise des droits.
Conclusion
La note d’alerte de la Délégation des Communautés tire la sonnette d’alarme sans céder le pas au pessimisme. Tel un cassandre, elle alerte pour éviter que la crise ne s’installe. « Tous les processus de repriorisation et de reprogrammation doivent tenir pleinement compte du contexte national et des vulnérabilités ». En fait, cette note dépasse le simple cadre de l’ajustement financier pour poser la question de l’équilibre entre efficacité budgétaire et justice sociale. Ce débat est loin d’être théorique : il conditionne la survie de programmes essentiels dans des dizaines de pays. Le Fonds mondial doit rester fidèle à ses principes fondateurs. Il ne peut sacrifier la voix et les droits des communautés au nom de la rationalisation budgétaire. Dans cette phase critique, c’est l’intégrité même de la réponse mondiale aux pandémies qui est en jeu.
Depuis sa création, le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme s’est imposé comme un acteur central du financement international de la santé. En mobilisant des ressources colossales et en s’appuyant sur des partenariats multi-acteurs, il a permis d’importants progrès dans la riposte aux trois pandémies. Pourtant, avec l’introduction de mesures de ralentissement et de reprioritisation dans le cadre du Cycle de subvention 7 (CS7), de nombreuses inquiétudes émergent. La note d’information émise par la Délégation des Communautés de personnes vivant avec le VIH et affectées par la tuberculose et le paludisme auprès du Conseil d'administration du Fonds mondial (Délégation des Communautés) en mai 2025 constitue un document important qui alerte sur les risques imminents que ces ajustements budgétaires pourraient faire peser sur les services communautaires, les droits humains et la durabilité des réponses.
Contexte global : un environnement de plus en plus contraignant
Les contraintes budgétaires globales, accentuées par la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine, l’inflation mondiale et la fragmentation croissante de l’aide publique au développement, ont mis les bailleurs sous pression. Le Fonds mondial lui-même, lors de sa septième reconstitution en septembre 2022, n’a pu lever que 15,7 milliards de dollars, soit en deçà de l’objectif de 18 milliards. Dans ce contexte, le Secrétariat du Fonds mondial a dû adapter sa stratégie de décaissement. Fin avril 2025, une première communication – qualifiée de « lettre d’ajustement » – a demandé aux récipiendaires principaux (PR) de suspendre certaines dépenses non urgentes en attendant des prévisions de financement plus claires. Une seconde communication, attendue prochainement, devait annoncer des coupes plus ciblées dans les enveloppes nationales, comme le signale la Délégation des Communautés.
Analyse de la note communautaire
La note de la Délégation des Communautés ne se limite pas à une réaction politique : elle fournit une analyse stratégique des conséquences des mesures annoncées. Elle reconnaît la logique du Secrétariat mais rappelle que « les produits vitaux n'atteindront jamais ceux qui en ont le plus besoin sans des systèmes communautaires robustes ». En d’autres termes, il ne suffit pas de financer les médicaments, encore faut-il assurer qu’ils soient distribués, acceptés, et accompagnés; fonctions assurées notamment par les OSC locales et les réseaux communautaires.
La note soulève également un enjeu fondamental de gouvernance. Elle appelle à une inclusion réelle des communautés dans les processus de reprioritisation et de reprogrammation via les instances de coordination nationale (ICN). Or, des études menées, (parmi lesquelles, l’étude RISE) ont montré que dans plusieurs pays, la participation des représentant(e)s communautaires dans les ICN reste marginale ou purement formelle.
Risques systémiques pour les services communautaires
Les systèmes communautaires ne sont pas de simples relais périphériques : ils constituent des éléments essentiels du maillage sanitaire, notamment pour les populations clés. Dans des contextes de stigmatisation ou de criminalisation (usagers de drogues, HSH, travailleurs du sexe), ce sont souvent les seuls acteurs capables d’atteindre et de maintenir ces groupes dans les parcours de soin. Selon l’ONUSIDA, une partie très importante des nouvelles infections au VIH dans le monde concernent les populations clés et leurs partenaires.
Réduire les budgets alloués à ces interventions, même temporairement, représente donc un risque majeur de rupture de la chaîne de prévention, de suivi et de traitement. La note appelle à une action proactive : auto-organisation, documentation des besoins, dialogue avec les PR, participation au suivi de la reprogrammation. L’expérience des cycles précédents montre que les coupes touchent souvent en premier lieu les lignes budgétaires les moins bien défendues politiquement : plaidoyer, droits humains, éducation par les pairs, soutien psychosocial, etc.
Recommandations stratégiques
Face à cette situation, plusieurs recommandations s’imposent. Premièrement, « Toutes les révisions des subventions doivent faire l'objet d'un processus d'examen inclusif par le CCM, avec une participation significative des communautés. Dans les pays où les CCM n'impliquent pas suffisamment les acteurs communautaires, des mécanismes plus larges et inclusifs doivent être mis en place », souligne très précisément les rédacteurs et rédactrices de la note. Pour ce faire, les communautés doivent exiger un accès intégral aux lettres de reprogrammation, dans un souci de transparence et de responsabilité. Ensuite, il est important de documenter les conséquences concrètes des coupes, afin d’en démontrer l’impact sur les résultats des programmes. La création d’espaces parallèles d’analyse et de coordination, indépendants des ICN, peut également renforcer la capacité des organisations de la société civile à peser dans les arbitrages. Enfin, les partenaires techniques et financiers doivent appuyer activement les exigences communautaires, afin d’éviter que la crise budgétaire ne se traduise en crise des droits.
Conclusion
La note d’alerte de la Délégation des Communautés tire la sonnette d’alarme sans céder le pas au pessimisme. Tel un cassandre, elle alerte pour éviter que la crise ne s’installe. « Tous les processus de repriorisation et de reprogrammation doivent tenir pleinement compte du contexte national et des vulnérabilités ». En fait, cette note dépasse le simple cadre de l’ajustement financier pour poser la question de l’équilibre entre efficacité budgétaire et justice sociale. Ce débat est loin d’être théorique : il conditionne la survie de programmes essentiels dans des dizaines de pays. Le Fonds mondial doit rester fidèle à ses principes fondateurs. Il ne peut sacrifier la voix et les droits des communautés au nom de la rationalisation budgétaire. Dans cette phase critique, c’est l’intégrité même de la réponse mondiale aux pandémies qui est en jeu.