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OFM Edition 174,   Article Number: 3

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Une personne qui meurt actuellement de tuberculose est assassinée

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Article Type:
ANALYSE
     Author:
Christian Djoko et Ekelru Jessica
     Date: 2024-09-30

ABSTRACT

Cet article est un texte d'opinion visant à démontrer que l'éradication de la tuberculose est de moins en moins un défi lancé à la science qu’un problème lié à la stigmatisation et, surtout, au sous-financement de la riposte. En partant de ce constat, le texte conclut que toute personne qui meurt aujourd'hui de cette maladie guérissable est simplement victime de non-assistance à personne en danger.

La tuberculose (TB) est une maladie infectieuse mortelle qui tue environ 3 600 personnes chaque jour, principalement dans les pays en développement. Causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis, cette maladie sévit depuis environ 40 000 ans et a évolué pour devenir un agent pathogène obstiné, résistant et particulièrement difficile à éradiquer.

En 2022, 10,6 millions de personnes ont contracté la tuberculose, et 1,5 million en sont mortes, ce qui représente une moyenne de 2,5 décès par minute. Ces chiffres (Figure 1) soulignent la gravité de la situation : la TB a retrouvé sa place de principale cause de mortalité infectieuse dans le monde, après une brève parenthèse due à la pandémie de Covid-19. Pendant les quelques minutes nécessaires à la lecture de cet article, une quinzaine de personnes auront succombé à cette maladie.


Figure 1 : Données de la tuberculose dans le monde en 2022

Source : OMS

C’est dans ce contexte que j'ai récemment pris part à la réunion régionale intitulée « Faire progresser la communauté, les droits et le genre pour une riposte équitable à la tuberculose en Afrique francophone », organisée par le Partenariat Halte à la Tuberculose et Draft TB à Yaoundé, au Cameroun, du 11 au 13 juin 2024. (Lisez notre article sur les temps forts de cette rencontre ici). Cette rencontre m’a permis de constater une fois de plus l’engagement profond des communautés dans la lutte contre cette maladie dévastatrice.

Ces actrices et acteurs communautaires, majoritairement d'ancien(ne)s malades, consacrent leur vie Ă  cette cause avec une dĂ©termination inĂ©branlable. Ils et elles investissent quotidiennement leur temps et leurs ressources pour intĂ©grer les approches basĂ©es sur les droits, les communautĂ©s et le genre dans la lutte contre la tuberculose. Ce dĂ©vouement Ă©tait particulièrement visible dans les discussions, les ateliers et les sessions de travail intensives, comme celles tenues Ă  YaoundĂ©, oĂ¹ les participants ont Ă©changĂ© sans relĂ¢che sur les moyens d'amĂ©liorer l'intĂ©gration de ces approches dans les stratĂ©gies de lutte. Cette dĂ©marche est essentielle pour garantir une riposte Ă©quitable et efficace.

Ce qui s'est passĂ© Ă  YaoundĂ© n'est pas un cas isolĂ©. Dans de nombreux pays du Sud global, des initiatives similaires sont entreprises, oĂ¹ des communautĂ©s entières se mobilisent contre la tuberculose. En consultant la documentation existante, les plans d’action, les outils disponibles, ou en assistant Ă  de multiples rĂ©unions, ateliers et confĂ©rences dĂ©diĂ©s Ă  cette cause, je suis toujours frappĂ© par l'existence d'une vĂ©ritable communautĂ© de pratiques. Cette communautĂ© est composĂ©e de personnes hautement qualifiĂ©es et compĂ©tentes, toutes unies par un objectif commun : mettre fin Ă  la tuberculose.

Ă€ mon retour de la rĂ©union de YaoundĂ©, un slogan retentissait encore dans mon esprit, un mantra rĂ©pĂ©tĂ© par les participant(e)s comme une sorte de cri de ralliement : « Oui, nous pouvons mettre fin Ă  la tuberculose ». Cette conviction partagĂ©e, ce slogan, porteur d’espoir et de dĂ©termination, m’a conduit Ă  m'interroger profondĂ©ment : qu'est-ce qui entrave rĂ©ellement nos efforts pour Ă©radiquer cette maladie ? Qu'est-ce qui empĂªche l'Ă©limination d'une maladie que nous savons depuis longtemps comment traiter et prĂ©venir ? Pourquoi tant de personnes continuent-elles de mourir d'une maladie guĂ©rissable ?

Bien que des progrès significatifs aient Ă©tĂ© accomplis dans la lutte contre la tuberculose, comme en tĂ©moignent les rĂ©sultats obtenus par le Fonds mondial dans les pays oĂ¹ il a investi depuis 2002 (Figure 2), les chiffres demeurent alarmants et dramatiques. L’écart demeure fatal (Figure 3) pour reprendre le titre d’un rapport de redevabilitĂ© des communautĂ©s touchĂ©es par la tuberculose et de la sociĂ©tĂ© civile (engagements vs. RĂ©alitĂ©s).


Figure 2 : Tendances des dĂ©cès imputables Ă  la tuberculose (exclusion faite des personnes sĂ©ropositives au VIH) dans les pays oĂ¹ le Fonds mondial investit.

Source : Rapport sur les résultats 2023 du Fonds mondial (p. 38)




Figure 3 :  DĂ©cès imputables Ă  la tuberculose : progression vers la cible de l’OMS (dans les pays oĂ¹ le Fonds mondial investit)

Source : Rapport sur les résultats 2023 du Fonds mondial (p.35)


Ce constat est d'autant plus tragique que nous disposons des connaissances et des outils nécessaires pour éradiquer cette maladie infectieuse dévastatrice.

La science mĂ©dicale a fait des avancĂ©es remarquables en matière de prĂ©vention, de diagnostic et de traitement de la tuberculose. Des mĂ©dicaments efficaces existent pour guĂ©rir la majoritĂ© des cas, et des stratĂ©gies de prĂ©vention, telles que la vaccination par le BCG, ont prouvĂ© dans bien des cas leur efficacitĂ©. Pourtant, la mise en Å“uvre de ces solutions reste insuffisante. Si nous savons ce qu’il faut faire pour inverser la courbe actuelle de l’incidence de la tuberculose et pour l’éradiquer en tant que problème de santĂ© publique d'ici 2030, les efforts dĂ©ployĂ©s restent insuffisants.

En fait, je souhaite surtout vous amener à comprendre que chaque décès dû à la tuberculose est évitable. Autrement dit, il y a de bonnes raisons de penser qu’une personne qui meurt actuellement de tuberculose est, en quelque sorte, victime d’un assassinat par négligence. Cela relève, ni plus ni moins, de la non-assistance à personne en danger.

Cette situation est due à plusieurs facteurs que les participant(e)s de la réunion de Yaoundé ont largement détaillés. Parmi la pluralité des éléments mis en exergue, au moins deux, par ailleurs interdépendants, semblaient communs à l’ensemble des pays représentés : l’insuffisance des ressources financières allouées à la lutte contre la tuberculose et la stigmatisation persistante associée à cette maladie.

Je rappelle rapidement que lors de la septième reconstitution de ses ressources, le Fonds mondial avait besoin d’au moins 18 milliards de dollars (ce qui était déjà loin des besoins réels) pour lutter entre autres contre la tuberculose (Figure 4). Il n’en a récolté que 15,7 milliards de dollars US.


Figure 4 : Vue d’ensemble des besoins en ressources et prĂ©vision des ressources disponibles pour le VIH, la tuberculose et le paludisme dans les pays oĂ¹ le Fonds mondial investit

Source : Lutter pour ce qui compte. Argumentaire d’investissement



Le manque de ressources financières, particulièrement dans les pays Ă  revenu faible ou intermĂ©diaire, constitue un obstacle majeur Ă  la lutte contre la tuberculose. Cette insuffisance empĂªche de mobiliser ou de mettre en place l'ensemble des connaissances, outils et stratĂ©gies nĂ©cessaires pour Ă©radiquer la tuberculose en tant que problème de santĂ© publique. Qui est responsable de cette situation ? Les pays riches, sans doute, bien que certains d'entre eux apportent une contribution significative Ă  la lutte contre la tuberculose. Cependant, la responsabilitĂ© incombe surtout aux pays du Sud global, notamment africains, qui, malgrĂ© de nombreuses dĂ©clarations, intentions et rĂ©solutions pompeuses, souvent prises lors de rencontres internationales qui ressemblent pour certaines dĂ©lĂ©gations Ă  des voyages de plaisance, n'investissent pas suffisamment dans la lutte contre la tuberculose et, plus gĂ©nĂ©ralement, dans le secteur de la santĂ©.

Pour de nombreux gouvernements, les dĂ©penses consacrĂ©es au secteur de la santĂ© sont encore considĂ©rĂ©es comme des coĂ»ts, alors qu'elles devraient Ăªtre vues comme des investissements. Certes, ces gouvernements sont confrontĂ©s Ă  de nombreuses difficultĂ©s Ă©conomiques et Ă  des tensions budgĂ©taires, mais une comparaison des budgets de la santĂ© avec ceux d'autres ministères rĂ©vèle que les budgets ne sont pas seulement une colonne de chiffres : ils reflètent aussi des choix politiques. Il est plus qu’évident que la santĂ© de leurs populations n'est pas encore une prioritĂ© pour de nombreux gouvernements du Sud global. Pourtant, au-delĂ  de l'impĂ©ratif moral de sauver des vies, l'argent investi dans la santĂ© est aussi, et peut-Ăªtre surtout, un investissement Ă©conomiquement rentable pour un pays.

Une modĂ©lisation (Figure 5) du Partenariat Halte Ă  la Tuberculose illustre bien cela. Par exemple, elle prĂ©voit que « la mise en Å“uvre des mesures prioritaires du plan mondial produirait un rendement global de 40 dollars pour chaque dollar investi et de 59 dollars pour chaque dollar investi dans les pays Ă  revenu faible ou intermĂ©diaire, les bĂ©nĂ©fices s’accumulant jusqu’en 2050 ». Cette analyse dĂ©montre clairement que l'investissement dans la lutte contre la tuberculose gĂ©nère des bĂ©nĂ©fices Ă©conomiques substantiels Ă  long terme, rendant ainsi toute rĂ©ticence Ă  allouer des fonds Ă  ce secteur non seulement court-termiste, mais Ă©galement Ă©conomiquement irrationnelle. De manière gĂ©nĂ©rale, le prix de l’inaction en matière de santĂ© est en tout point de vue dĂ©vaster comme en tĂ©moigne une Ă©tude rĂ©cente publiĂ©e dans le BMJ journals.


Figure 5 : Retour sur investissement

Source : Plan mondial pour éliminer la tuberculose (2023-2030)



Au-delĂ  des obstacles financiers, la tuberculose est Ă©galement lourdement affectĂ©e par la stigmatisation et la discrimination envers les personnes atteintes. La peur de l'exclusion sociale, du rejet et de la discrimination peut dissuader les individus de se faire dĂ©pister et de suivre un traitement, par crainte d'Ăªtre marginalisĂ©s ou ostracisĂ©s par leur communautĂ©. Cette stigmatisation peut Ă©galement conduire Ă  l'automĂ©dication et Ă  des pratiques de traitement non conformes, ce qui contribue Ă  l'aggravation de la maladie et Ă  la propagation de la rĂ©sistance aux antibiotiques.

Les attitudes négatives envers la tuberculose sont souvent ancrées dans des craintes irrationnelles et des idées fausses sur la transmission de la maladie. L'association de la tuberculose à la pauvreté, à la marginalisation et à des comportements à risque, peut alimenter la stigmatisation et l'exclusion sociale des personnes touchées, notamment les personnes de la communauté LGBT.

Le barème actuel d'allocation des ressources (2023-2025) du Fonds mondial rĂ©vèle que les fonds allouĂ©s Ă  la tuberculose ne reprĂ©sentent qu'un tiers de ceux consacrĂ©s au VIH et Ă  peine plus de la moitiĂ© de ceux dĂ©diĂ©s au paludisme (Figure 6). Ă€ l’échelle mondiale, entre 2002 et 2022, les investissements du Fonds mondial dans les trois grandes maladies se rĂ©partissent comme suit : 27 milliards de dollars pour le VIH, 9,5 milliards de dollars pour la tuberculose, et 16,2 milliards de dollars pour le paludisme. Cette rĂ©partition soulève des prĂ©occupations importantes discussion au sein mĂªme des instances du Fonds mondial quant Ă  l'efficacitĂ© de la lutte contre la tuberculose, surtout lorsqu'on considère les incidences Ă©levĂ©es et les consĂ©quences dĂ©vastatrices de cette maladie dans de nombreuses rĂ©gions du monde. Au moment oĂ¹ j’écris ces lignes, une discussion est en cours lors de la rĂ©union du ComitĂ© stratĂ©gique du Fonds mondial. Les rĂ©sultats de ces dĂ©libĂ©rations seront connus dans les prochains mois.


Figure 6 : Sommes allouées par maladie (en millions de dollars US)

Source : Fonds mondial



En attendant, force est de constater que le dĂ©bat rĂ©current autour de la rĂ©vision de la mĂ©thodologie l'allocation des ressources a souvent Ă©tĂ© centrĂ© sur un rééquilibrage entre ces trois maladies, avec une pression croissante pour augmenter la part dĂ©diĂ©e Ă  la lutte contre la tuberculose. Or, il m’apparait plus que jamais nĂ©cessaire dans le cadre du huitième cycle de subvention Ă  venir de rompre avec les schĂ©mas de pensĂ©e traditionnels. Autrement dit, si on veut rĂ©ussir ce qu’on n’a jamais fait, il faut peut-Ăªtre faire ce qu’on n’a jamais fait. Je m’explique.
Au lieu de s'enliser dans des débats interminables sur la répartition des ressources entre les maladies, il semble plus pertinent de chercher d’abord à élargir substantiellement l’assiette des ressources disponibles. Une analogie éclairante serait de comparer cette situation à une tarte ou une pizza de 14 cm. Si l’objectif est d’offrir des portions plus grandes et plus conséquentes à ceux qui la consommeront, redistribuer les portions existantes ne changera rien fondamentalement. La solution réside dans l’acquisition d’une pizza plus grande, de 30 cm par exemple.

Transposons cette analogie au contexte des allocations du Fonds mondial : pour augmenter les ressources dĂ©diĂ©es Ă  la lutte contre la tuberculose, il faut d’abord Å“uvrer collectivement pour accroĂ®tre le financement global destinĂ© Ă  ces maladies. Cette stratĂ©gie permettra non seulement de garantir un financement adĂ©quat pour la lutte contre le VIH et le paludisme, mais aussi de renforcer considĂ©rablement les efforts de lutte contre la tuberculose.

Pour terminer, permettez-moi de partager cette projection (Figure 7) du Partenariat Halte Ă  la Tuberculose sur les ressources financières nĂ©cessaires pour Ă©radiquer la tuberculose d'ici 2030. En observant ces chiffres, on ne peut qu'Ăªtre frappĂ© par l'ampleur du dĂ©fi qui nous attend. Pourtant, nous n'avons pas d'autre choix que de continuer Ă  nous battre avec dĂ©termination pour mettre un terme dĂ©finitif Ă  cette maladie meurtrière. Il en va de l'intĂ©rĂªt de chacune et chacun d'entre nous. L'avenir de millions de vies en dĂ©pend.


Figure 7 : Besoins en ressources financières pour mettre fin à la TB à l’horizon 2030

Source : Plan mondial pour éliminer la tuberculose (2023-2030)




Publication Date: 2024-09-30


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