Figure 1 : Les tendances des nouvelles infections en 2022 (Fonds mondial)
Source : Rapport 2023 sur les résultats (p.21)
Il est à souligner également que seulement 42 % des districts à forte incidence du VIH en Afrique subsaharienne étaient pourvus, en 2021, de programmes de prévention du VIH spécifiquement dédiés aux adolescentes et aux jeunes femmes. Le poids du diagnostic pèse lourdement sur les épaules d’Élykia, évoquant non seulement les stigmates sociaux attachés à la séropositivité, mais surtout et peut être avant tout les conséquences dévastatrices de l'inégalité entre les sexes qui alimente la propagation du VIH. L'ombre du VIH se glisse dans les interstices des inégalités entre les sexes, amplifiée par la pauvreté, les violences sexuelles et sexistes (VSS) et les normes oppressives profondément enracinées. La pauvreté, compagne constante de Tsinga contraint les femmes à des relations transactionnelles, souvent avec des hommes plus âgés présentant une prévalence plus élevée du VIH. Cela est souvent dû à leur incapacité à négocier des rapports sexuels protégés ou à leur engagement dans des relations abusives où le contrôle de leur corps leur appartient plus. Les normes sociétales les enferment dans le silence, leur refusant l'accès à l'information. Et la violence domestique, une plaie qui s'envenime au sein même de leur foyer, est devenue un terrain propice à la propagation de la maladie. Mais la pauvreté n'est pas la seule responsable. Parmi les multiples inégalités entre les sexes qui alimentent l'épidémie de VIH, on recense la violence sexiste, englobant le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines, les disparités en matière de pouvoir et de prise de décision, les obstacles à l'éducation des filles, ainsi que les cadres juridiques et politiques discriminatoires. Des recherches ont mis en lumière une corrélation significative, démontrant que les jeunes filles qui ne fréquentent pas l'école présentent un risque plus élevé d'infection par le VIH par rapport à celles qui sont scolarisées. De manière plus étendue, il est aujourd’hui largement établi que les déséquilibres de pouvoir entre les genres entravent la capacité de nombreuses jeunes femmes à exercer un contrôle sur leurs décisions en matière de santé. Ces inégalités se manifestent de manière plus marquée chez les femmes marginalisées, migrantes et handicapées, en raison de leur propension accrue à subir discrimination et violence.Figure 2 : Les facteurs de l’épidémie
Source : Union africaine et ONU-Femmes
Les flammes de la violence psychologique et physique, un autre mal omniprésent, précarisent ou abrègent prématurément la vie des femmes. Selon une récente étude publiée dans The Lancet, par une équipe de recherche de l’université McGill (Canada), il existe un lien direct entre la violence faite aux femmes et les épidémies de VIH dans les pays les plus touchés. Les femmes récemment victimes de violence conjugale courent trois fois plus de risques de contracter le VIH. Cette situation est particulièrement préoccupante dans certaines régions, notamment en Afrique subsaharienne, où les femmes font face à une double épidémie de violence conjugale et de VIH. Parmi les femmes vivant avec le VIH, celles ayant été victimes de violence conjugale présentent une probabilité 9 % plus faible d'atteindre une charge virale indétectable, une étape cruciale dans le traitement du VIH. L'équipe de recherche souligne que l'expérience de violence conjugale, qu'elle soit physique ou sexuelle au cours de la dernière année, est associée à une infection récente au VIH et à une suppression de la charge virale moins fréquente. Cette réalité accentue la vulnérabilité des femmes et des filles face au VIH, entravant leur accès aux services, au dépistage, au traitement et aux soins associés à cette maladie. L'histoire d’Élykia est un écho douloureux de ces statistiques. Dans son coin du monde, les normes oppressives dictent souvent le destin des femmes, les exposant à des risques accrus. Mariée précocement, son éducation interrompue, elle s'est retrouvée emprisonnée dans un mariage dépourvu d'amour, enserrée dans un réseau de traditions et d'obligations. Son époux, Sidiki, bien que charismatique, était instable, contrôlant leurs maigres revenus et la laissant ainsi dépendante et vulnérable. Lorsqu'elle a osé pointer ses infidélités, les mains calleuses de Sidiki, forgées par des années de travail agricole et nourries par la frustration ainsi que les idées traditionnelles de masculinité, sont devenues un moyen de contrôle routinier. Sidiki incarne les traits d'un patriarcat délétère prédominant à Tsinga, reflétant un environnement et un continuum profondément inégalitaire, sexiste et féminicidaire. Chaque coup porté rappelait à ÉLykia sa vulnérabilité, chaque hématome témoignait cruellement des forces sociétales conspirant contre elle. Autant dire que bien avant le diagnostic de VIH, Élykia portait déjà les cicatrices des disparités systémiques entre les hommes et les femmes. Le spectre des violences sexuelles et sexistes intensifie cette disparité, enfermant les femmes dans un cycle où l'inégalité engendre la vulnérabilité. La peur, la honte et le silence, imposés par des normes culturelles, l'ont empêchée de chercher de l'aide, de se confier à qui que ce soit. Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme À travers l’histoire d’Élikya, se dessine le tableau poignant d'une réalité partagée par de nombreuses femmes, confrontées à des défis multiples, depuis les inégalités de sexes, les violences sexuelles et sexistes, la gestion des préjugés sociaux jusqu'à la lutte contre la maladie Le soleil impitoyable du village de Tsinga éclaire ainsi non seulement les destins individuels, mais également les enjeux plus vastes liés à la santé et à la société dans le contexte africain. Le thème de la Journée internationale de la Femme de cette année, intitulé "Investir dans les femmes : accélérer le rythme", sonne comme une volonté de répondre plus que jamais à ces enjeux spécifiques et systémiques. Il met en évidence l'importance cruciale de l'égalité des sexes, de l'autonomisation des femmes et des filles, ainsi que de leur droit à une vie plus saine. Il est en effet crucial de souligner l'impératif de protéger les droits des femmes et des filles, confrontés à des menaces variées à travers le monde. L'expérience acquise au cours des quatre dernières décennies dans la riposte mondiale au VIH met en lumière à la fois des succès indéniables résultant du leadership éclairé de femmes engagées dans la défense des droits humains, mais aussi de nombreux échecs à intégrer de manière complète l'équité entre les sexes dans tous les aspects de la lutte contre le VIH. Ces échecs ont généré des problèmes systémiques qui exigent une réévaluation rétrospective et une action corrective. Les objectifs mondiaux en matière de lutte contre VIH en particulier et de santé en général ne peuvent être atteints sans un investissement important, continu et systémique en faveur de l’égalité entre les sexes. La victoire dans la lutte contre le VIH/sida en Afrique est impossible sans aborder les problèmes fondamentaux liés à l'inégalité des sexes et à la violence sexiste. L'autonomisation des femmes, leur accès à l'éducation et aux soins de santé, le financement des organisations féministes (qui ne reçoivent actuellement que 0,13 % de l'aide publique au développement), ainsi que le démantèlement des normes oppressives et potentiellement mortelles qui les exposent à des risques accrus face au VIH, représentent des étapes cruciales dans cette bataille. Les réussites passées, résultant du leadership féminin, montrent que l'égalité est un moteur puissant pour des résultats positifs dans la lutte contre le VIH. Les erreurs du passé doivent servir de leçon, incitant à une action proactive pour intégrer de manière holistique les droits des femmes dans la lutte continue contre le VIH.No comments yet. Be the first to comment!