
OFM Edition 155, Article Number: 3
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ABSTRACT
Cet article met en lumière le rôle prépondérant les liens familiaux et sociaux dans la lutte contre le VIH/SIDA.
Dans les années 90, l’annonce de la séropositivité était très souvent suivie d’une rupture des liens sociaux et familiaux. Les représentations mortifères autour de ce virus généraient la stigmatisation, la marginalisation et la discrimination des personnes malades ou vivant avec le VIH (PVVIH). Même si ces personnes sont mieux acceptées depuis quelques années, certaines représentations, perceptions et pratiques stigmatisantes et discriminatoires persistent. La séropositivité est encore pour de nombreuses personnes l’expérience des préjugés, des commérages, des agressions verbales (les injures, l'utilisation d'un langage désobligeant), des comportements d’évitement (le refus de partager la nourriture, de tenir la main ou de s'asseoir à proximité), du rejet social (la marginalisation, le fait de tenir à l'écart des événements sociaux, des opinions ignorées, le déclassement social), de la déliaison, de la rupture, de la sévère condamnation hygiéniste et morale et des abus physiques. Outre cette stigmatisation infligée par les autres, les PVVIH sont souvent en proie à « l’auto-stigmatisation ». Celle-ci se caractérise par de profonds sentiments de honte, de mésestime de soi, de culpabilité, etc. qui, chez les PVVIH, entrainent quelques fois la dépression, voire le suicide.
Le portait ci-dessus présenté est particulièrement manifeste en Afrique où les préjugés confortablement installés dans les esprits continuent de nécroser la vie de milliers de PVVIH.
La discrimination et la stigmatisation à l’égard des PVVIH sont persistantes.
Le Rapport 2016 de l’étude nationale de l’index de stigmatisation et discrimination envers les personnes vivant avec le VIH en Côte d’Ivoire révèle que 40,4% de PVVIH estiment avoir vécu au moins une expérience de stigmatisation et/ou de discrimination. « 660 PVVIH interrogés sur 1323 ont ressenti au moins un des sentiments d’auto-stigmatisation cités ci-dessous, soit un taux d’auto-stigmatisation de 49,9%. La honte (33,2%), la culpabilité (30,8%), l’autocensure (26,0%), la piètre estime de soi (13,6%), le blâme des autres (10,2%), le désir de suicide (8,7%), l’autopunition (7,0%) » (p. 87).
Ces chiffres agrègent en réalité des douleurs immenses. Le témoignage ci-dessous de deux PVVIH (pp. 61-62) de la ville de Bouaké en Côte-d’Ivoire est à cet égard éloquent :
« Moi j’ai commencé ma maladie quand j’étais Abidjan dans ma belle-famille, bon j’ai commencé par une tuberculose, bon j’étais très affaibli je partais au CAT d’Adjamé là , en tout cas c’était difficile, à cause de la tuberculose seulement même, eux-mêmes savaient pas que c’était le vih, j’avais mes deux enfants avec moi là -bas, ils ont voulu séparer les deux enfants de moi, mais le plus petit lui il pouvait pas mais le plus grand lui il disait si vous dites que ma maman a sida là en ce moment j’avais pas encore fait le test, si vous dites que ma maman a sida là si moi je meurs de ça c’est normal, parce que lui il était un peu plus grand il avait neuf ans, donc souvent il prend mes habits parce que j’étais très affaiblie. Quand il veut laver mes habits, on vient le chicoter. Laisse elle-même elle va laver, je dis houm ça là si je reste ici je vais mourir. Donc, j’ai appelé mon mari. J’ai dit ah je suis malade, je viens à Bouaké. Il dit vient. Donc, depuis je suis venue même sans médicament sincèrement mais avec le soutien que lui il m’apporte ça fait que je me suis retrouvée. J’ai commencé à prendre mes médicaments. »
« …Il y a une autre aussi là c’est ces propres parents, tu sais quand on a dépisté positive ils ont tous mis à l’écart, en tout cas c’est pas facile, moi-même quand je suis partie chez elle là vraiment en tout cas c’est pas facile, mais elle a pu surmonter, son assiette à manger en tout cas tout était à part, tout est à part, elle a eu quelqu’un qui devrait la marier ils sont venus dit que ah faut pas venir là et il n’a plus marié.
»
En République centrafricaine c’est le même son de cloche. 45,6% des enquêtés en 2018 « indiquent avoir vécu, à cause de leur statut sérologique, au moins une des différentes formes de stigmatisation de la part d’autres personnes. […] Les formes de stigmatisation les plus décriées par les enquêtés sont par ordre de priorité le commérage (49,5%), l’injure ou menace verbale (34,3%), le harcèlement physique (17,2%) et dans une moindre mesure l’agression physique (13%). Ces quatre formes de stigmatisation sont le plus souvent exercées par l’entourage et les membres de la famille du PVVIH. […] Ces résultats révèlent un affaiblissement progressif des liens sociaux et familiaux de solidarité traditionnels entre les membres de la communauté » (p. 37).
Aujourd’hui, c’est bien moins la maladie en elle-même (qui est de mieux en mieux prise en charge par la recherche et l’accessibilité des antirétroviraux) que la crise du lien qui génère la mort. En fait, « l’évidence » du lien humain est à différents endroits remis en cause par les représentations autour du VIH. Les « cadres » traditionnels et collectifs générateurs de liens, ceux-là qui faisaient tenir les humains ensemble malgré les cas de maladies, sont fragilisés par les imaginaires macabres qui entourent le VIH. Tout cet éventail de représentations sociales mortifères et d’expériences stigmatisantes laisse assurément sur la vie, la santé et le bien-être des personnes vivant avec le VIH des traces délétères. Pire encore, ces représentations et expériences entravent considérablement la riposte au VIH à chaque étape : prévention, dépistage précoce du VIH, adhésion à la médication, la rétention dans les soins, etc. (pp. 17-18).
Autant dire que l’ambiance et la toxicité du milieu familial s’avèrent parfois plus préoccupante que la chronicité de la maladie elle-même. En fait, nous touchons là l’une des principales difficultés de la lutte contre le VIH en Afrique : l’acte nécrologique d’une PVVIH est souvent précédé d’une importante détérioration de ses liens familiaux et sociaux. À partir de ce constat on arrive inévitablement à la conclusion que la séropositivité en Afrique est loin d’être un défi posé au seul monde médical Autrement dit, la lutte contre le VIH/SIDA ne saurait être réduite à la seule dimension bio-médicale. La « clinique » de l’accompagnement et du rétablissement des malades ou PVVIH exige des liens empreints d’attention, de bienveillance, de sollicitude, de soutien ou à tout le moins de respect. Préserver les liens avec les PVVIH contribue à préserver leur santé ou à soigner le sujet malade. C’est l’idée d’une éthique des vertus au cœur de laquelle le lien en tant que participant du soin, contribue à faire basculer le rapport à la séropositivité du côté non plus de la mort, mais de la vie.
Lier pour soigner
La restauration d’un individu éprouvé mentalement par la découverte de sa séropositivité exige du lien, c’est-à -dire une relation d’attention phorique. L’attention nous engage à l’égard de ce qui est abattu, fragile, diminué, marginalisé ou exclu. C’est une béquille qui permet de soutenir l’être en convalescence tout en lui offrant la possibilité de se réapproprier progressivement sa mobilité, son indépendance, son estime de soi, son bien-être ou son goût pour la vie.
Le lien, disions-nous également, revêt une dimension phorique. Le terme « phorique » vient du grec ancien phorein qui veut dire « porter ». Il renvoie aussi bien à l’idée de transporter un objet qu’à celle de porter un nouveau-né ou une personne malade qui ne peut se déplacer toute seule d’un endroit à un autre. Mieux encore, la fonction phorique est selon la belle définition de Pierre Delion « une sorte de philosophie du soin qui consiste à accueillir l’autre et à la porter tout le temps nécessaire, jusqu’à ce qu’il puisse se porter lui-même, physiquement et psychiquement ». C’est le cas de beaucoup de PVVIH, lesquelles ont bien souvent besoin de soutien psychologique dans le processus d’acceptation de leur statut sérologique. La fonction phorique engage donc une pensée du soin en articulation avec les liens sociaux et familiaux. À rebours de la déliaison et de l’exclusion que le VIH secrète encore dans de nombreux contextes africains, l’éthos du lien invite à renforcer l’attention phorique à l’égard des PVVIH. En clair, la lutte contre VIH n’est pas seulement une lutte contre un virus qui menace d’affaiblir irréversiblement un système organique, c’est aussi concomitamment la lutte contre le virus des préjugés, de la stigmatisation, du rejet, etc. Vivre en santé en Afrique avec le VIH dépend largement du soutien, du respect de votre entourage, de la qualité des liens familiaux, amicaux et professionnels. Le lien est primordial pour la santé mentale et physique des PVVIH. Pour les personnes malades, le lien permet de vivifier la fonction soignante et le processus de guérison.
Précisons immédiatement que lorsqu’on parle de lien, il ne s’agit aucunement de commisération ou de pitié, mais de respect et de considération à l’égard des personnes dont la maladie ou la séropositivité ne saurait remettre en question leur dignité intrinsèque. « J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever », disait Gabriel Garcia Marquez. Le lien en tant qu’il est indissociable de l’existence participe non pas seulement du soin, mais aussi de notre humanisme. Préserver les liens avec l’être vulnérable participe de l’écriture de notre humanisme. Le lien est un humanisme. Il répond de notre capacité à poétiser le monde, à lui donner un sens. Ce ne sont d’ailleurs pas les préceptes religieux ou les sagesses ancestrales qui nous diront le contraire. Bien au contraire. Elles nous enseignent qu’il n’y a pas d’accomplissement de soi dans l’indifférence à l’égard de l’autre.
Dans Mathieu 25, 26 par exemple Jésus dit sur fond de promesse de bénédiction : « J’étais malade et vous m’avez visité ». En l’islam aussi le fait d’entretenir une relation d’attention phorique est présenté comme une obligation rétribuée par Dieu. Le Prophète Mohamed a dit : « Lorsque l’un de vous entreprend de visiter son frère malade, il cueille les fruits et les fleurs du Paradis jusqu’à ce qu’il en vienne à s’asseoir. Lorsqu’il s’assied, il se voit complètement recouvert par la miséricorde d’Allah. Si cette visite a eu lieu en matinée, soixante-dix mille anges imploreront les bénédictions d’Allah sur lui jusqu’au soir. Et si elle a eu lieu en soirée, soixante-dix mille anges imploreront les bénédictions d’Allah sur lui jusqu’au matin. ».
Et il a également dit :
« Le musulman qui rend visite à son frère malade ne cesse de cueillir des fruits du Paradis jusqu’à ce qu’il le quitte. […] Celui qui marche pour aller rendre visite à un malade baigne dans la miséricorde de Dieu. Et lorsqu’il s’assoit auprès du malade, ils sont tous deux submergés de miséricorde jusqu’à ce qu’il retourne chez lui. »
Dans les cosmogonies africaines aussi, la présence au monde est faite d’obligations morales de même nature que celles évoquées précédemment. L’équilibre de la société repose bien souvent sur la capacité des uns à prendre soin des plus fragiles ou des moins nantis. C’est le cas du bissoïsme en République démocratique du Congo et de l’Ubuntu en Afrique du Sud.
Théorisé par Tshiamalenga Ntumba, le bissoïsme est une éthique qui considère que la santé et le bien-être du « je » (ngai, en lingala) dérivent ou dépendent du « nous » (bisso, en lingala). En fait, dans le bissoïsme, l’existence du « je » passe par l’être-ensemble, c’est-à -dire le maintien des liens féconds et solides entre les individus malades ou en santé. Il en va de même pour la philosophie de l’Ubuntu.
Difficilement traduisible en Français,
Ubuntu
(lire ouboun-tou) est une notion largement répandue en Afrique australe qui signifie « je suis parce que nous sommes. C’est aussi l’idée d’une solidarité de destin entre l’individu et son groupe d’appartenance. Elle intègre la personne dans le collectif suivant un schéma dans lequel l’individualité se nourrit et prend tout son sens dans son rattachement au collectif. C’est la dimension relationnelle de la personne qui est la clé du développement de sa personnalité. Elle se traduit très concrètement par des actes de fraternité et de solidarité.
Selon une anecdote très répandue, un anthropologue proposa un jeu à des enfants d’une tribu africaine. Elle déposa un immense panier de fruits au pied d’un arbre et dit aux enfants : « le premier à arriver au pied de l’arbre emportera le panier ». Au signal, tous les enfants s’élancèrent main dans la main vers l’arbre. Puis ils s’assirent ensemble pour profiter de leur récompense. Lorsque l’anthropologue très étonnée leur demanda pourquoi ils avaient agi ainsi, alors que l’un d’entre eux aurait pu avoir tout le panier à lui tout seul, ils répondirent en chœur : « Ubuntu. Comment l’un d’entre nous peut-il être heureux si tous les autres sont tristes? ». Comme disait le célèbre écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ : « pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village ».
« Dans notre langue africaine, écrit Desmond Tutu, nous disons « une personne n’est une personne que
par
d’autres personnes ». Nous ne saurions ni penser, ni marcher, ni parler, ni nous conduire comme des êtres humains si nous ne l’apprenions d’autres êtres humains. Nous avons besoin d’autres humains pour être humain. J’existe parce que d’autres personnes existent. […] Nous le savons, notre humanité est indissociable de cette des autres. Un être humain isolé, solitaire, est véritablement une contradiction dans les termes. […]. La vertu qu’est l’
ubuntu
rend les gens résilients, elle leur permet de survivre et de ressortir toujours humains de toutes les entreprises deshumanisation » [1].
Le lien entre les humains que nous venons de présenter à travers les exemples du bissoïsme et de l’Ubuntu n’est pas seulement l’idée/interprétation traditionnelle, triviale de l’unanimisme ou de la primauté du groupe sur l’individu qu’on projette souvent de manière paresseuse sur l’Afrique, mais l’idée selon laquelle le développement et la résilience d’une communauté ne se réalisent que dans le bien-être de ses membres. Ainsi, on pourrait tour à tour parler de « portance collective » et de « lien capacitaire ».
Suivant la première expression, il s’agit de notre capacité à se « porter » ensemble et suivant la seconde, il s’agirait de ces attentions phoriques qui (re)donnent au sujet malade ou vivant avec le VIH les moyens physiques et psychiques de dépasser son état. Un peu à l’image du bananier qui ne doit sa résistance aux intempéries qu’à sa proximité avec d’autres bananiers, les liens sociaux et familiaux sont générateurs de guérison et de vie. En fait, le lien est à comprendre comme une attitude générique, un levier socio-anthropologique ou religieux qui comprend tout ce que nous faisons socialement pour déconstruire le registre maladif, lugubre et mortuaire auquel est spontanément associé le VIH.
Cas spécifique des populations clés
Les populations clés, notamment les homosexuels et les hommes ayant des rapports avec des hommes, les personnes transgenres, les professionnel.les du sexe font l’objet d’une stigmatisation croisée en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Autrement dit, « les identités sociales stigmatisées se chevauchent, ce qui entraîne des formes multiples et convergentes de stigmatisation ». En plus d’être marginalisées, voire violentées du fait de leurs orientations ou activités sexuelles, ces personnes sont très souvent stigmatisées et rejetées du fait de leur séropositivité. Les données statistiques disponibles et sans doute sous-estimées sont alarmantes. « Une étude réalisée en Afrique du Sud et en Zambie a montré que la majorité des professionnel.les de la santé interrogé(e)s avaient une attitude négative à l'égard des populations clés. Des études menées au Malawi, au Botswana et en Namibie ont révélé que les hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes avaient deux fois plus de chances d'avoir peur de se faire soigner et plus de six fois plus de chances de se voir refuser des services que les hétérosexuels »
.
Les populations clés vivent pour ainsi dire une double peine aux conséquences extrêmement préjudiciables pour leur santé et leur bien-être. En tant que facteur de comorbidité sociale, cette double peine déclenche ou accélère le dépérissement de leur système immunitaire. Elle s’imprime dans les corps physiques qu’elle finit par abîmer irréversiblement. C’est la rencontre tragique entre une vie sociale lacérée et un corps physique épuisé.
C’est sans doute pour pallier cette situation que le Fonds mondial de la lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (p. 46) entend plus que jamais soutenir et « faire valoir le rôle qu’ont à jouer les organisations communautaires (y compris les associations de femmes et de LGBTQ+) dans la conception et la mise en œuvre de programmes visant à remettre en question les normes, les préjugés et les stéréotypes sexuels néfastes, de soutenir l’intégration de plans d’action nationaux sensibles au genre dans les stratégies multisectorielles visant la santé et les trois maladies ».
Insistons pour le dire:
le lien tisse la vie
. « Un manque de soutien de la part de la famille et des membres de la communauté peut entraver l'observance du traitement et interférer avec la gestion du VIH ». Là où la pathologie, la précarité sanitaire, la stigmatisation et la discrimination sociale dessèche la vie, le lien apporte le soutien et la fraicheur. Bref, lorsque le lien est maintenu avec un sujet malade, convalescent ou porteur du VIH, ses fragiles écuelles, ses probabilités de guérir et de vivre se potentialisent, s’accroissent inexorablement. La préservation des liens lui permet en tout cas de faire face à la finitude (la mort) avec dignité.
S'il ne fallait retenir que quelques mots...
Retenons en terminant aussi que le lien humain est biface : individuel et collectif. Il y a une dimension instituée et une dimension informelle (sociale, familiale, professionnelle, amicale). C’est son caractère informel qui aura prioritairement retenu notre attention ici. En insistant sur cet aspect, l’idée était de montrer que la lutte contre le VIH/SIDA n’appartient pas seulement aux professionnels de la santé. C’est une fonction soignante en partage qui va bien au-delà de l’aspect hospitalier. La guérison ou le bien-être des PVVIH exige beaucoup plus que l’aspect médicamenteux ou bio-médical. Il implique fortement la dimension
Esse ad
, c’est-à -dire
l’être avec
. En clair, au cœur de la pandémie VIH/SIDA, la fabrique de la vie repose sur les liens en tant que constitutifs du soin.
L’
Éthos
du lien sécrète, abrite et dissémine un potentiel de soin. Il implique une relation d’attention phorique avec des personnes fragilisées dans leur corps et dans leur esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans leur capacité de manière « normale » ou « autonome » au sein d’une collectivité. Le lien institue une relation féconde, humanisante, holistique, vivifiante entre liens, soin et vie.
Nul doute que l’articulation ou le renforcement d’une alliance thérapeutique entre la dimension biomédicale et l’aspect social/familiale du soin contribuerait assurément et efficacement à l’éradication du VIH/SIDA.
[1] Desmond Tutu,
Dieu fait un rêve. Une vision d’espérance pour notre temps (2004)
, trad. Chapdelaine Gagnon, Ottawa, Novalis/Desclée de Brouwer, 2008, pp. 35-36.
NB:
Une première version de cet article a été publiée dans la lettre d'information du Bureau de la Circonscription Africaine du Fonds Mondial.
Le portait ci-dessus présenté est particulièrement manifeste en Afrique où les préjugés confortablement installés dans les esprits continuent de nécroser la vie de milliers de PVVIH.
La discrimination et la stigmatisation à l’égard des PVVIH sont persistantes.
Le Rapport 2016 de l’étude nationale de l’index de stigmatisation et discrimination envers les personnes vivant avec le VIH en Côte d’Ivoire révèle que 40,4% de PVVIH estiment avoir vécu au moins une expérience de stigmatisation et/ou de discrimination. « 660 PVVIH interrogés sur 1323 ont ressenti au moins un des sentiments d’auto-stigmatisation cités ci-dessous, soit un taux d’auto-stigmatisation de 49,9%. La honte (33,2%), la culpabilité (30,8%), l’autocensure (26,0%), la piètre estime de soi (13,6%), le blâme des autres (10,2%), le désir de suicide (8,7%), l’autopunition (7,0%) » (p. 87).
Ces chiffres agrègent en réalité des douleurs immenses. Le témoignage ci-dessous de deux PVVIH (pp. 61-62) de la ville de Bouaké en Côte-d’Ivoire est à cet égard éloquent :
« Moi j’ai commencé ma maladie quand j’étais Abidjan dans ma belle-famille, bon j’ai commencé par une tuberculose, bon j’étais très affaibli je partais au CAT d’Adjamé là , en tout cas c’était difficile, à cause de la tuberculose seulement même, eux-mêmes savaient pas que c’était le vih, j’avais mes deux enfants avec moi là -bas, ils ont voulu séparer les deux enfants de moi, mais le plus petit lui il pouvait pas mais le plus grand lui il disait si vous dites que ma maman a sida là en ce moment j’avais pas encore fait le test, si vous dites que ma maman a sida là si moi je meurs de ça c’est normal, parce que lui il était un peu plus grand il avait neuf ans, donc souvent il prend mes habits parce que j’étais très affaiblie. Quand il veut laver mes habits, on vient le chicoter. Laisse elle-même elle va laver, je dis houm ça là si je reste ici je vais mourir. Donc, j’ai appelé mon mari. J’ai dit ah je suis malade, je viens à Bouaké. Il dit vient. Donc, depuis je suis venue même sans médicament sincèrement mais avec le soutien que lui il m’apporte ça fait que je me suis retrouvée. J’ai commencé à prendre mes médicaments. »
« …Il y a une autre aussi là c’est ces propres parents, tu sais quand on a dépisté positive ils ont tous mis à l’écart, en tout cas c’est pas facile, moi-même quand je suis partie chez elle là vraiment en tout cas c’est pas facile, mais elle a pu surmonter, son assiette à manger en tout cas tout était à part, tout est à part, elle a eu quelqu’un qui devrait la marier ils sont venus dit que ah faut pas venir là et il n’a plus marié.
»
En République centrafricaine c’est le même son de cloche. 45,6% des enquêtés en 2018 « indiquent avoir vécu, à cause de leur statut sérologique, au moins une des différentes formes de stigmatisation de la part d’autres personnes. […] Les formes de stigmatisation les plus décriées par les enquêtés sont par ordre de priorité le commérage (49,5%), l’injure ou menace verbale (34,3%), le harcèlement physique (17,2%) et dans une moindre mesure l’agression physique (13%). Ces quatre formes de stigmatisation sont le plus souvent exercées par l’entourage et les membres de la famille du PVVIH. […] Ces résultats révèlent un affaiblissement progressif des liens sociaux et familiaux de solidarité traditionnels entre les membres de la communauté » (p. 37).
Aujourd’hui, c’est bien moins la maladie en elle-même (qui est de mieux en mieux prise en charge par la recherche et l’accessibilité des antirétroviraux) que la crise du lien qui génère la mort. En fait, « l’évidence » du lien humain est à différents endroits remis en cause par les représentations autour du VIH. Les « cadres » traditionnels et collectifs générateurs de liens, ceux-là qui faisaient tenir les humains ensemble malgré les cas de maladies, sont fragilisés par les imaginaires macabres qui entourent le VIH. Tout cet éventail de représentations sociales mortifères et d’expériences stigmatisantes laisse assurément sur la vie, la santé et le bien-être des personnes vivant avec le VIH des traces délétères. Pire encore, ces représentations et expériences entravent considérablement la riposte au VIH à chaque étape : prévention, dépistage précoce du VIH, adhésion à la médication, la rétention dans les soins, etc. (pp. 17-18).
Autant dire que l’ambiance et la toxicité du milieu familial s’avèrent parfois plus préoccupante que la chronicité de la maladie elle-même. En fait, nous touchons là l’une des principales difficultés de la lutte contre le VIH en Afrique : l’acte nécrologique d’une PVVIH est souvent précédé d’une importante détérioration de ses liens familiaux et sociaux. À partir de ce constat on arrive inévitablement à la conclusion que la séropositivité en Afrique est loin d’être un défi posé au seul monde médical Autrement dit, la lutte contre le VIH/SIDA ne saurait être réduite à la seule dimension bio-médicale. La « clinique » de l’accompagnement et du rétablissement des malades ou PVVIH exige des liens empreints d’attention, de bienveillance, de sollicitude, de soutien ou à tout le moins de respect. Préserver les liens avec les PVVIH contribue à préserver leur santé ou à soigner le sujet malade. C’est l’idée d’une éthique des vertus au cœur de laquelle le lien en tant que participant du soin, contribue à faire basculer le rapport à la séropositivité du côté non plus de la mort, mais de la vie.
Lier pour soigner
La restauration d’un individu éprouvé mentalement par la découverte de sa séropositivité exige du lien, c’est-à -dire une relation d’attention phorique. L’attention nous engage à l’égard de ce qui est abattu, fragile, diminué, marginalisé ou exclu. C’est une béquille qui permet de soutenir l’être en convalescence tout en lui offrant la possibilité de se réapproprier progressivement sa mobilité, son indépendance, son estime de soi, son bien-être ou son goût pour la vie.
Le lien, disions-nous également, revêt une dimension phorique. Le terme « phorique » vient du grec ancien phorein qui veut dire « porter ». Il renvoie aussi bien à l’idée de transporter un objet qu’à celle de porter un nouveau-né ou une personne malade qui ne peut se déplacer toute seule d’un endroit à un autre. Mieux encore, la fonction phorique est selon la belle définition de Pierre Delion « une sorte de philosophie du soin qui consiste à accueillir l’autre et à la porter tout le temps nécessaire, jusqu’à ce qu’il puisse se porter lui-même, physiquement et psychiquement ». C’est le cas de beaucoup de PVVIH, lesquelles ont bien souvent besoin de soutien psychologique dans le processus d’acceptation de leur statut sérologique. La fonction phorique engage donc une pensée du soin en articulation avec les liens sociaux et familiaux. À rebours de la déliaison et de l’exclusion que le VIH secrète encore dans de nombreux contextes africains, l’éthos du lien invite à renforcer l’attention phorique à l’égard des PVVIH. En clair, la lutte contre VIH n’est pas seulement une lutte contre un virus qui menace d’affaiblir irréversiblement un système organique, c’est aussi concomitamment la lutte contre le virus des préjugés, de la stigmatisation, du rejet, etc. Vivre en santé en Afrique avec le VIH dépend largement du soutien, du respect de votre entourage, de la qualité des liens familiaux, amicaux et professionnels. Le lien est primordial pour la santé mentale et physique des PVVIH. Pour les personnes malades, le lien permet de vivifier la fonction soignante et le processus de guérison.
Précisons immédiatement que lorsqu’on parle de lien, il ne s’agit aucunement de commisération ou de pitié, mais de respect et de considération à l’égard des personnes dont la maladie ou la séropositivité ne saurait remettre en question leur dignité intrinsèque. « J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever », disait Gabriel Garcia Marquez. Le lien en tant qu’il est indissociable de l’existence participe non pas seulement du soin, mais aussi de notre humanisme. Préserver les liens avec l’être vulnérable participe de l’écriture de notre humanisme. Le lien est un humanisme. Il répond de notre capacité à poétiser le monde, à lui donner un sens. Ce ne sont d’ailleurs pas les préceptes religieux ou les sagesses ancestrales qui nous diront le contraire. Bien au contraire. Elles nous enseignent qu’il n’y a pas d’accomplissement de soi dans l’indifférence à l’égard de l’autre.
Dans Mathieu 25, 26 par exemple Jésus dit sur fond de promesse de bénédiction : « J’étais malade et vous m’avez visité ». En l’islam aussi le fait d’entretenir une relation d’attention phorique est présenté comme une obligation rétribuée par Dieu. Le Prophète Mohamed a dit : « Lorsque l’un de vous entreprend de visiter son frère malade, il cueille les fruits et les fleurs du Paradis jusqu’à ce qu’il en vienne à s’asseoir. Lorsqu’il s’assied, il se voit complètement recouvert par la miséricorde d’Allah. Si cette visite a eu lieu en matinée, soixante-dix mille anges imploreront les bénédictions d’Allah sur lui jusqu’au soir. Et si elle a eu lieu en soirée, soixante-dix mille anges imploreront les bénédictions d’Allah sur lui jusqu’au matin. ».
Et il a également dit : « Le musulman qui rend visite à son frère malade ne cesse de cueillir des fruits du Paradis jusqu’à ce qu’il le quitte. […] Celui qui marche pour aller rendre visite à un malade baigne dans la miséricorde de Dieu. Et lorsqu’il s’assoit auprès du malade, ils sont tous deux submergés de miséricorde jusqu’à ce qu’il retourne chez lui. »
Dans les cosmogonies africaines aussi, la présence au monde est faite d’obligations morales de même nature que celles évoquées précédemment. L’équilibre de la société repose bien souvent sur la capacité des uns à prendre soin des plus fragiles ou des moins nantis. C’est le cas du bissoïsme en République démocratique du Congo et de l’Ubuntu en Afrique du Sud.
Théorisé par Tshiamalenga Ntumba, le bissoïsme est une éthique qui considère que la santé et le bien-être du « je » (ngai, en lingala) dérivent ou dépendent du « nous » (bisso, en lingala). En fait, dans le bissoïsme, l’existence du « je » passe par l’être-ensemble, c’est-à -dire le maintien des liens féconds et solides entre les individus malades ou en santé. Il en va de même pour la philosophie de l’Ubuntu.
Difficilement traduisible en Français,
Ubuntu
(lire ouboun-tou) est une notion largement répandue en Afrique australe qui signifie « je suis parce que nous sommes. C’est aussi l’idée d’une solidarité de destin entre l’individu et son groupe d’appartenance. Elle intègre la personne dans le collectif suivant un schéma dans lequel l’individualité se nourrit et prend tout son sens dans son rattachement au collectif. C’est la dimension relationnelle de la personne qui est la clé du développement de sa personnalité. Elle se traduit très concrètement par des actes de fraternité et de solidarité.
Selon une anecdote très répandue, un anthropologue proposa un jeu à des enfants d’une tribu africaine. Elle déposa un immense panier de fruits au pied d’un arbre et dit aux enfants : « le premier à arriver au pied de l’arbre emportera le panier ». Au signal, tous les enfants s’élancèrent main dans la main vers l’arbre. Puis ils s’assirent ensemble pour profiter de leur récompense. Lorsque l’anthropologue très étonnée leur demanda pourquoi ils avaient agi ainsi, alors que l’un d’entre eux aurait pu avoir tout le panier à lui tout seul, ils répondirent en chœur : « Ubuntu. Comment l’un d’entre nous peut-il être heureux si tous les autres sont tristes? ». Comme disait le célèbre écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ : « pour qu'un enfant grandisse, il faut tout un village ».
« Dans notre langue africaine, écrit Desmond Tutu, nous disons « une personne n’est une personne que
par
d’autres personnes ». Nous ne saurions ni penser, ni marcher, ni parler, ni nous conduire comme des êtres humains si nous ne l’apprenions d’autres êtres humains. Nous avons besoin d’autres humains pour être humain. J’existe parce que d’autres personnes existent. […] Nous le savons, notre humanité est indissociable de cette des autres. Un être humain isolé, solitaire, est véritablement une contradiction dans les termes. […]. La vertu qu’est l’
ubuntu
rend les gens résilients, elle leur permet de survivre et de ressortir toujours humains de toutes les entreprises deshumanisation » [1].
Le lien entre les humains que nous venons de présenter à travers les exemples du bissoïsme et de l’Ubuntu n’est pas seulement l’idée/interprétation traditionnelle, triviale de l’unanimisme ou de la primauté du groupe sur l’individu qu’on projette souvent de manière paresseuse sur l’Afrique, mais l’idée selon laquelle le développement et la résilience d’une communauté ne se réalisent que dans le bien-être de ses membres. Ainsi, on pourrait tour à tour parler de « portance collective » et de « lien capacitaire ».
Suivant la première expression, il s’agit de notre capacité à se « porter » ensemble et suivant la seconde, il s’agirait de ces attentions phoriques qui (re)donnent au sujet malade ou vivant avec le VIH les moyens physiques et psychiques de dépasser son état. Un peu à l’image du bananier qui ne doit sa résistance aux intempéries qu’à sa proximité avec d’autres bananiers, les liens sociaux et familiaux sont générateurs de guérison et de vie. En fait, le lien est à comprendre comme une attitude générique, un levier socio-anthropologique ou religieux qui comprend tout ce que nous faisons socialement pour déconstruire le registre maladif, lugubre et mortuaire auquel est spontanément associé le VIH.
Cas spécifique des populations clés
Les populations clés, notamment les homosexuels et les hommes ayant des rapports avec des hommes, les personnes transgenres, les professionnel.les du sexe font l’objet d’une stigmatisation croisée en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Autrement dit, « les identités sociales stigmatisées se chevauchent, ce qui entraîne des formes multiples et convergentes de stigmatisation ». En plus d’être marginalisées, voire violentées du fait de leurs orientations ou activités sexuelles, ces personnes sont très souvent stigmatisées et rejetées du fait de leur séropositivité. Les données statistiques disponibles et sans doute sous-estimées sont alarmantes. « Une étude réalisée en Afrique du Sud et en Zambie a montré que la majorité des professionnel.les de la santé interrogé(e)s avaient une attitude négative à l'égard des populations clés. Des études menées au Malawi, au Botswana et en Namibie ont révélé que les hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes avaient deux fois plus de chances d'avoir peur de se faire soigner et plus de six fois plus de chances de se voir refuser des services que les hétérosexuels »
.
Les populations clés vivent pour ainsi dire une double peine aux conséquences extrêmement préjudiciables pour leur santé et leur bien-être. En tant que facteur de comorbidité sociale, cette double peine déclenche ou accélère le dépérissement de leur système immunitaire. Elle s’imprime dans les corps physiques qu’elle finit par abîmer irréversiblement. C’est la rencontre tragique entre une vie sociale lacérée et un corps physique épuisé.
C’est sans doute pour pallier cette situation que le Fonds mondial de la lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (p. 46) entend plus que jamais soutenir et « faire valoir le rôle qu’ont à jouer les organisations communautaires (y compris les associations de femmes et de LGBTQ+) dans la conception et la mise en œuvre de programmes visant à remettre en question les normes, les préjugés et les stéréotypes sexuels néfastes, de soutenir l’intégration de plans d’action nationaux sensibles au genre dans les stratégies multisectorielles visant la santé et les trois maladies ».
Insistons pour le dire:
le lien tisse la vie
. « Un manque de soutien de la part de la famille et des membres de la communauté peut entraver l'observance du traitement et interférer avec la gestion du VIH ». Là où la pathologie, la précarité sanitaire, la stigmatisation et la discrimination sociale dessèche la vie, le lien apporte le soutien et la fraicheur. Bref, lorsque le lien est maintenu avec un sujet malade, convalescent ou porteur du VIH, ses fragiles écuelles, ses probabilités de guérir et de vivre se potentialisent, s’accroissent inexorablement. La préservation des liens lui permet en tout cas de faire face à la finitude (la mort) avec dignité.
S'il ne fallait retenir que quelques mots...
Retenons en terminant aussi que le lien humain est biface : individuel et collectif. Il y a une dimension instituée et une dimension informelle (sociale, familiale, professionnelle, amicale). C’est son caractère informel qui aura prioritairement retenu notre attention ici. En insistant sur cet aspect, l’idée était de montrer que la lutte contre le VIH/SIDA n’appartient pas seulement aux professionnels de la santé. C’est une fonction soignante en partage qui va bien au-delà de l’aspect hospitalier. La guérison ou le bien-être des PVVIH exige beaucoup plus que l’aspect médicamenteux ou bio-médical. Il implique fortement la dimension
Esse ad
, c’est-à -dire
l’être avec
. En clair, au cœur de la pandémie VIH/SIDA, la fabrique de la vie repose sur les liens en tant que constitutifs du soin.
L’
Éthos
du lien sécrète, abrite et dissémine un potentiel de soin. Il implique une relation d’attention phorique avec des personnes fragilisées dans leur corps et dans leur esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans leur capacité de manière « normale » ou « autonome » au sein d’une collectivité. Le lien institue une relation féconde, humanisante, holistique, vivifiante entre liens, soin et vie.
Nul doute que l’articulation ou le renforcement d’une alliance thérapeutique entre la dimension biomédicale et l’aspect social/familiale du soin contribuerait assurément et efficacement à l’éradication du VIH/SIDA.
[1] Desmond Tutu,
Dieu fait un rêve. Une vision d’espérance pour notre temps (2004)
, trad. Chapdelaine Gagnon, Ottawa, Novalis/Desclée de Brouwer, 2008, pp. 35-36.
NB:
Une première version de cet article a été publiée dans la lettre d'information du Bureau de la Circonscription Africaine du Fonds Mondial.