Le besoin critique de financement des organisations de la société civile par les initiatives pour la santé mondiale
Author:
George Njenga Kiai
Article Type:Article Number: 4
Les Initiatives pour la Santé Mondiale (ISM) peuvent considérablement améliorer leur efficacité en impliquant les organisations de la société civile (OSC), en particulier celles du Sud. Cet article, qui s'inspire du rapport « Trop méridional pour être financé » et du rapport IDA21 de « Transparence Internationale », souligne la nécessité cruciale pour les Initiatives pour la Santé Mondiale (ISM) de financer les OSC. Malgré leur rôle essentiel dans la fourniture de services de santé, la promotion de changements politiques et la garantie de la responsabilité, les OSC sont confrontées à d'importantes difficultés de financement en raison des exigences strictes des donateurs, du manque de canaux de financement direct, des contraintes de capacité et des risques perçus. Le financement des OSC est non seulement équitable, mais aussi efficace, car les organisations locales offrent souvent un meilleur rapport qualité-prix et renforcent la durabilité des programmes. L'article propose des recommandations aux ISM, notamment la création de canaux de financement dédiés, le renforcement des capacités, la promotion de pratiques de financement inclusives, l'encouragement des partenariats, l'augmentation de la transparence et le soutien au financement à long terme. Il est essentiel de s'attaquer à ces disparités pour obtenir des résultats durables en matière de santé et d'équité à l'échelle mondiale. Les ISM disposent ainsi d'une feuille de route claire pour mieux soutenir les OSC et mettre en place des interventions sanitaires plus efficaces dans le monde entier.
Introduction
Les Initiatives pour la Santé Mondiale (ISM) ont joué un rôle essentiel dans la lutte contre les crises sanitaires et l’amélioration des résultats en matière de santé à l’échelle mondiale. Toutefois, pour renforcer leur efficacité et leur durabilité, on reconnaît de plus en plus la nécessité d’impliquer davantage les organisations de la société civile (OSC). Cet article intègre les conclusions du rapport « Trop méridional pour être financé » du Comité d’aide au développement (CAD), qui relève de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et du rapport de Transparency International pour IDA21 (l’Association internationale de développement de la Banque mondiale), soulignant la nécessité de financer les OSC et fournissant des recommandations détaillées pour les ISM.
Le rôle des OSC dans la santé mondiale
Les OSC jouent un rôle fondamental dans la prestation des services de santé, la défense des changements de politique et la responsabilisation des programmes de santé. Elles sont souvent en première ligne, atteignant des populations que les programmes gouvernementaux pourraient négliger. Leurs liens étroits avec les communautés locales leur permettent de comprendre les besoins spécifiques en matière de santé et d’y répondre plus efficacement que les grandes organisations bureaucratiques. Par exemple, les OSC du Sud ont joué un rôle crucial non seulement en relevant divers défis sanitaires, mais aussi en fournissant des services essentiels tels que les vaccinations, la santé maternelle et infantile, l’éducation à la santé et la gestion des maladies chroniques. Leur travail englobe un large éventail de services de santé, garantissant que les communautés reçoivent des soins complets et culturellement adaptés. Au Kenya, par exemple, les OSC locales ont joué un rôle déterminant dans la fourniture de services de santé maternelle dans des zones reculées, réduisant ainsi considérablement les taux de mortalité maternelle et infantile. En Inde, des organisations de base ont réussi à mettre en place un suivi communautaire des services de santé, ce qui a permis d’améliorer la responsabilisation et la prestation des services. À Poltava, en Ukraine, des militants civiques ont réussi à mettre au jour et à démanteler un important système de corruption dans le secteur médical. En s’appuyant sur les connaissances locales et en mobilisant le soutien de la communauté, ces militants ont pu mettre au jour des activités frauduleuses qui détournaient des fonds vitaux pour les soins de santé. Leurs efforts ont permis d’accroître la transparence et la responsabilité au sein du secteur médical, améliorant ainsi la prestation de soins de santé pour la population locale.
Défis rencontrés par les OSC
Malgré leur rôle essentiel, les OSC, en particulier celles des pays du Sud, sont confrontées à d’importantes difficultés pour obtenir des financements. Le rapport « Trop méridional pour être financé » du mouvement #ShiftThePower met en lumière plusieurs obstacles :
- Exigences strictes des donateurs : De nombreux pays donateurs de l’OCDE ont des procédures de demande et de rapport complexes que les petites OSC locales ont du mal à respecter. Il s’agit notamment de rapports financiers détaillés, de la conformité aux normes internationales et d’une documentation abondante qui nécessitent des ressources et une expertise que beaucoup d’OSC locales n’ont pas.
- Absence de canaux de financement direct : Une part importante de l’aide au développement est acheminée par l’intermédiaire de grandes ONG internationales basées dans les pays donateurs. Selon le rapport, plus de 90 % du soutien de la société civile par le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE va à des OSC nationales et à d’autres OSC du Nord, ce qui laisse moins de 10 % aux OSC du Sud (Figure 1).
Figure 1 : Pourcentage de l’APD bilatérale fournie aux OSC qui va directement aux OSC du Sud (moyenne 2009-2021)
- Contraintes de capacité : De nombreuses OSC locales fonctionnent avec un personnel et des ressources financières limités, ce qui rend difficile l’extension de leurs activités ou la planification à long terme. Cette situation est exacerbée par un financement à court terme, basé sur des projets, qui ne couvre pas les coûts opérationnels de base.
- Perception du risque : les donateurs considèrent souvent que le financement des OSC locales est plus risqué que celui des ONG internationales en raison des préoccupations liées à la gouvernance, à la gestion financière et à la responsabilité. Cette perception persiste malgré les preuves que les organisations locales peuvent fournir des services de haute qualité et rentables.
L’importance du financement des OSC
Le financement des OSC n’est pas seulement une question d’équité, mais aussi d’efficience et d’efficacité. Les OSC locales peuvent offrir un meilleur rapport qualité-prix en raison de leurs coûts opérationnels moins élevés et de leur capacité à mobiliser les ressources de la communauté. Elles améliorent également la durabilité des programmes de santé en renforçant les capacités locales et en favorisant l’appropriation par la communauté. En outre, les OSC jouent un rôle crucial en demandant des comptes aux gouvernements et aux agences internationales, en veillant à ce que les interventions sanitaires répondent aux besoins des communautés qu’elles desservent.
Recommandations pour les ISM
Pour relever ces défis et tirer parti des atouts des OSC, le rapport « Trop méridional pour être financé » et le rapport de « Transparence Internationale pour IDA21 » proposent tous deux des recommandations détaillées :
- Créer des canaux de financement dédiés : Les ISM devraient mettre en place des canaux de financement spécifiques pour les OSC locales afin de s’assurer qu’elles reçoivent le soutien financier nécessaire pour mener à bien leur travail. Il s’agit notamment de simplifier les processus de demande et de réduire les charges administratives qui affectent de manière disproportionnée les petites organisations. Par exemple, le CAD de l’OCDE a recommandé d’accroître la transparence des flux d’aide afin que davantage de financements directs parviennent aux OSC du Sud.
- Renforcer les capacités : L’investissement dans le renforcement des capacités est essentiel pour permettre aux OSC de répondre aux exigences des donateurs et de développer leurs activités. Il s’agit notamment d’offrir une formation en gestion financière, en suivi et en évaluation, ainsi que des compétences en matière de plaidoyer. Les initiatives de renforcement des capacités doivent être adaptées aux besoins spécifiques des organisations locales, en se concentrant sur des domaines tels que la gouvernance, la planification stratégique et la mobilisation des ressources.
- Promouvoir des pratiques de financement inclusives : Les donateurs devraient adopter des pratiques de financement plus inclusives qui reconnaissent les contributions uniques des OSC locales. Il s’agit notamment de s’éloigner d’une approche unique du financement et de développer des mécanismes de soutien sur mesure qui répondent aux besoins et aux contextes spécifiques des différentes OSC. Par exemple, le rapport de Transparence Internationale pour IDA21 souligne la nécessité de mécanismes de financement flexibles et adaptables aux contextes locaux.
- Favoriser les partenariats : Les ISM devraient favoriser les partenariats entre les ONG internationales et les OSC locales afin de tirer parti des atouts des unes et des autres. Il s’agit notamment de promouvoir des modèles de co-implémentation et de co-financement qui renforcent les capacités des organisations locales tout en garantissant la responsabilité et la transparence. Les partenariats réussis impliquent souvent des processus de planification et de prise de décision conjoints qui respectent l’autonomie et l’expertise des OSC locales.
- Accroître la transparence et la responsabilité : Les mécanismes de transparence et de responsabilité doivent être renforcés pour garantir que les fonds sont utilisés efficacement et que les OSC sont tenues responsables de leurs performances. Cela inclut des audits réguliers, des évaluations de performance et des mécanismes de retour d’information qui impliquent les bénéficiaires dans le processus de contrôle. Le rapport de Transparence Internationale pour IDA21 recommande l’utilisation de plateformes numériques pour suivre et rendre compte des flux de financement et des résultats des projets.
- Réviser les critères de financement : Les donateurs devraient revoir leurs critères de financement afin de donner la priorité à l’équité et à l’inclusion. Il s’agit notamment de redéfinir ce qu’est une organisation « locale » afin de s’assurer que les engagements financiers ne favorisent pas par inadvertance les OSC du Nord ayant des bureaux locaux dans le Sud. Des lignes directrices et des mesures claires devraient être établies pour suivre de manière cohérente les flux d’aide désagrégés vers les OSC individuelles du Sud.
- Soutenir le financement à long terme : Le financement à court terme, basé sur des projets, limite la capacité des OSC à s’engager dans la planification stratégique et le développement durable. Les donateurs devraient fournir un financement flexible et à long terme qui couvre les coûts opérationnels de base et permet aux OSC d’innover et de répondre aux besoins émergents. Cette approche permet non seulement de renforcer la capacité organisationnelle des OSC, mais aussi d’améliorer l’impact et la durabilité de leurs interventions.
Les implications plus larges du financement des OSC
S’attaquer aux disparités de financement ne consiste pas seulement à améliorer les résultats en matière de santé ; il s’agit également de corriger des injustices historiques et de favoriser l’équité au niveau mondial. Les préjugés en matière de financement à l’encontre des OSC du Sud reflètent des problèmes systémiques plus larges de néocolonialisme et de disparité économique. En réorientant les fonds vers ces organisations, les ISM peuvent contribuer à un paysage du développement mondial plus équilibré, où le pouvoir et les ressources sont répartis plus équitablement.
En outre, la volonté de financer les OSC locales s’aligne sur les tendances plus générales du développement international qui mettent l’accent sur la localisation et la durabilité. Le rapport « Trop méridional pour être financé » préconise un changement dans la dynamique du pouvoir au sein du secteur du développement, en encourageant les donateurs à faire confiance et à investir dans les capacités locales. Cette démarche est essentielle pour créer des systèmes de santé résilients, capables de résister aux crises futures.
Conclusion
L’intégration des OSC dans les cadres de financement des ISM est essentielle pour obtenir des résultats durables en matière de santé. En s’attaquant aux obstacles au financement et en mettant en œuvre les recommandations décrites ci-dessus, les ISM peuvent faire en sorte que les OSC continuent à jouer leur rôle essentiel dans l’amélioration des résultats sanitaires dans le monde entier. Il est urgent d’agir, car les défis auxquels sont confrontées les OSC ne feront que s’intensifier si l’on n’y répond pas. Le rapport et le rapport de « Transparence Internationale pour IDA21 » fournissent tous deux une feuille de route claire sur la manière dont les ISM peuvent mieux soutenir les OSC, ce qui aboutira en fin de compte à des interventions sanitaires plus efficaces et plus équitables dans le monde entier. En outre, leur implication dans les cadres institutionnels des ISM pour la définition des politiques est cruciale, compte tenu de leur rôle indispensable dans la réalisation des objectifs mondiaux en matière de santé.
À la lumière du prochain Forum politique de la société civile, 2024, qui sera organisé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international à Washington D.C. dans le but d’engager les OSC sur des sujets de développement importants, les OSC peuvent tirer parti de leur voix collective pour s’assurer qu’elles sont entendues, car l’appel à propositions pour l’organisation de sessions est en cours. Étant donné que les ISM s’efforcent de mettre en avant leur inclusivité et leur diversité, mais qu’ils organisent invariablement de telles plateformes dans le Nord (sans parler de l’empreinte carbone) à grands frais, il est difficile de croire qu’ils soient si peu disposés à délier les cordons de leur bourse pour soutenir les coûts opérationnels des OSC sur une base durable, ne serait-ce que comme point de départ.