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Repenser l’avenir des initiatives mondiales pour la santé. Un rapport biaisé qui doit être remis en cause
OFM Edition 158

Repenser l’avenir des initiatives mondiales pour la santé. Un rapport biaisé qui doit être remis en cause

Author:

Aidspan

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 3

Le document "Repenser l'avenir des initiatives mondiales pour la santé " (IMS) est un rapport d'étude rédigé par cinq universités. Il est manifestement élaboré du point de vue des pays bénéficiaires et révèle un manque de compréhension de la raison d'être des politiques et procédures des IMS et de leur fonctionnement réel. Les recommandations du rapport ne tiennent pas compte des éléments (a), les actions à entreprendre au niveau national pour obtenir des changements au niveau des IMS ; et (b) les dangers inhérents aux propositions.

Contexte

 

Le présent article porte sur un rapport récent (mais ne comportant pas de date) d’une étude intitulée ‘Repenser l’avenir des initiatives mondiales pour la santé ’ réalisée par un consortium de cinq universités. L’étude est axée sur six initiatives mondiales pour la santé (IMS):  le Fonds mondial de lutte contre le Sida, ta tuberculose et le paludisme (Fonds Mondial); Gavi, l’Alliance du vaccin; le Mécanisme de financement mondial pour les femmes, les enfants et les adolescents (GFF); Unitaid; la Fondation pour les nouveaux diagnostics innovants  (FIND); et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI). Toutefois, comme indiqué dans l’introduction des résultats, lors des entretiens et des consultations, les informateurs ont plus souvent parlé de Gavi et du Fonds mondial, ce qui se reflète dans les constats.

 

Constats

 

Le premier constat concerne l’évolution du paysage en matière de financement de la santé, de charge de morbidité et de défis émergents. Le rapport note une nette augmentation de la distribution de l’aide au développement pour la santé (ADS) par le biais des IMS, grâce à la création de Gavi et du Fonds mondial, qui représentaient 14 % de l’ADS en 2019. Le rapport indique également que “quatre “mégatendances”, à savoir la prolifération, la verticalisation, le contournement des systèmes gouvernementaux et la fragmentation, ont été identifiées”. Le premier constat conclut qu’il existe des « défis émergents …. qui ont peu de chances d’être relevés par les IMS dans le cadre de leurs mandats actuels ».

 

Le deuxième constat concerne les forces et les faiblesses des IMS. Les points forts relevés résident dans le fait que les IMS, « en se concentrant sur des maladies spécifiques hautement prioritaires », ont été « en mesure d’apporter une contribution significative à l’amélioration des résultats en matière de santé dans ces domaines, en mobilisant également des fonds supplémentaires à cette fin et en collaborant avec une série d’acteurs en vue de façonner les marchés des biens à l’échelle mondiale pour ces maladies, en investissant dans des vaccins, des produits pharmaceutiques, des fournitures et des diagnostics améliorés et moins onéreux ». Elles offrent aux bailleurs de fonds un contrôle rigoureux des risques fiduciaires et ont adopté des approches qui permettent d’atteindre en priorité les populations cibles, « qui pourraient être négligées par les autorités publiques pour diverses raisons, notamment, la stigmatisation ».

 

Les faiblesses semblent accablantes et le résumé est reproduit ici dans son intégralité :

 

« Toutefois, ces points forts sont de plus en plus remis en question, en particulier du point de vue des pays, où l’on observe depuis longtemps que le financement par les principales IMS fausse les priorités et les systèmes de santé nationaux, entraînant des coûts élevés en termes de préparation et de mise en œuvre des subventions, qui n’utilisent pas les systèmes nationaux ou ne s’alignent pas sur les plans, les budgets, les systèmes de gestion des finances publiques (GFP), les ressources humaines ou les systèmes d’information des pays. Des propositions de subventions élaborées par des consultants externes, loin du contexte national, des financements cloisonnés à des éléments et des groupes de population spécifiques au sein d’un système, le soutien à des stratégies de mise en œuvre non viables (en termes de coûts), le manque d’attention accordée à l’efficacité dans l’ensemble du système de santé, l’absence de redevabilité descendante des IMS envers les pays et l’incapacité à renforcer la capacité nationale pour pérenniser les acquis à long terme (par le biais du renforcement des systèmes) figurent parmi les principales préoccupations au niveau national.

 

En outre, les résultats revendiqués par les IMS ont toujours été le fruit d’un ensemble plus large d’investissements, y compris de la part des gouvernements et d’autres bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux ».

 

Le troisième constat porte sur l’économie politique et est lui aussi très critique à l’égard des IMS:

 

« Les IMS ont résolu les problèmes de nombreux bailleurs de fonds en créant des structures qui ont converti le financement en résultats crédibles, tandis qu’au niveau national, des clients ont été créés et ont obtenu des ressources et, par conséquent, du pouvoir grâce au financement. Le système de santé mondial au sens large a été faussé par le volume relatif des fonds qui ont transité par les IMS, par rapport à d’autres acteurs qui jouent un rôle important, tels que l’OMS. Les incitations ont été principalement axées sur le décaissement des subventions, plutôt que sur la mise en place de systèmes de santé plus robustes, plus efficaces et plus viables. La transparence concernant les montants dépensés dans tel ou tel domaine de la santé et par quels canaux, ainsi que l’impact à long terme sur le système de santé, sont encore difficiles à établir pour certaines IMS ».

 

Recommandations

 

Le rapport présente des recommandations axées sur une vision dans laquelle:

 

  • les pays responsables de mise en œuvre assument une responsabilité croissante pour des interventions essentielles et d’un bon rapport coût-efficacité, au fur et à mesure qu’ils ont la capacité et les moyens financiers de le faire;
  • les IMS soutiennent les pays dans cet effort, en assurant la pérennité, en soutenant des produits de base abordables et en définissant des trajectoires claires vers la transition; et
  • les bailleurs de fonds transfèrent davantage la responsabilité de la mise en œuvre aux pays, en faisant preuve d’une plus grande appétence au risque et en acceptant des résultats plus étendus en matière de soins de santé primaires (SSP) et de couverture santé universelle (CSU).

 

Le rapport poursuit en expliquant que les recommandations sont regroupées en six principaux thèmes, à savoir:

 

  1. Contribuer de manière plus importante à la CSU ainsi qu’aux maladies émergentes.
  2. Renforcer les systèmes de santé ou au moins ne pas leur porter préjudice.
  3. Réduire les coûts pour les pays et accroître l’efficience et l’efficacité des investissements dans les IMS.
  4. Soutenir l’appropriation par les pays, le renforcement des capacités et tracer une voie claire pour mettre fin à la dépendance vis-à-vis des IMS.
  5. Assurer un alignement plus efficace entre les IMS et les autres acteurs de la santé au sens large.
  6. Limiter la prolifération des IMS en se concentrant sur le renforcement de l’architecture existante.

 

Le rapport conclut ensuite par les principaux changements proposés, à savoir:

 

  • passer d’une approche axée sur la maladie à une approche intégrée de prestations et des soins;
  • apporter un soutien aux systèmes de santé dans leur ensemble, plutôt qu’aux composantes verticales des systèmes de santé;
  • rationaliser les systèmes des IMS (au sein des IMS et entre ces dernières) afin de les rendre plus faciles à gérer et plus efficaces au niveau des pays;
  • tracer une voie plus claire vers la fin de la dépendance vis-à-vis des IMS, en renforçant les capacités des pays tout en fournissant des éclaircissements sur la transition;
  • faire de l’alignement entre les IMS un critère de performance essentiel pour elles-mêmes et pour leurs bailleurs de fonds; et
  • un engagement des bailleurs de fonds à renforcer l’architecture existante et à réduire la prolifération des IMS.

 

Commentaire

 

Ce rapport est fortement biaisé; en fait, il contient de nombreuses inexactitudes. Tout d’abord, si le financement “engendre des coûts élevés”, alors pourquoi en faire la demande? Il est évident que la préparation des demandes de financement et les activités liées à la mise en œuvre des programmes engendrent des coûts; mais les subventions couvrent la majeure partie – et parfois la totalité – de ces coûts.

 

Deuxièmement, les directives du Fonds mondial relatives à la préparation des demandes de financement (DF) mettent fortement et régulièrement l’accent sur l’alignement et l’inclusion de références aux plans et priorités nationaux, ainsi qu’aux systèmes d’information sur la santé et autres.  Les auteurs du rapport sur les IMS ne connaissent manifestement pas le processus de préparation des demandes de financement, car les examinateurs des projets de demandes de financement peuvent témoigner que nombre de ces projets n’identifient pas les priorités nationales et programmatiques et/ou incluent des listes de souhaits qualifiées de “priorités” qui ne font pas référence aux programmes et priorités nationaux. En outre, les systèmes d’information sanitaire sont généralement faibles et les informations sur le financement national de la santé ne sont jamais disponibles. Le deuxième constat est donc factuellement incorrect et reflète les préjugés des personnes interrogées dans certains pays qui ne veulent pas reconnaître leurs propres faiblesses.

 

Troisièmement, les auteurs ne reconnaissent pas que les DF sont élaborées au niveau national par ou pour les instances de coordination nationales (ICN). Celles-ci regroupent un large éventail de parties prenantes nationales, dont un grand nombre ont été impliquées dans l’élaboration des DF par le biais d’un dialogue national et d’équipes de rédaction. Les ICN examinent et approuvent les DF. Les critiques formulées à l’encontre du Fonds mondial (et d’autres IMS) et les soi-disant “préoccupations majeures” ne sont donc pas imputables au Fonds mondial, mais aux faiblesses et aux échecs au niveau national. Les DF doivent être soigneusement préparées afin d’assurer la sélection correcte des priorités, la prise en compte des besoins en ressources financières et autres, et la cohérence avec les priorités et les plans de santé nationaux.  C’est la raison pour laquelle des consultants externes sont engagés pour aider à la préparation de nombreuses DF en cas de pénurie de personnes qualifiées et expérimentées dans le domaine.

 

Le rapport indique d’emblée que “l’étude a adopté l’optique de la Couverture santé universelle (CSU) et s’est concentrée sur les expériences et les besoins des pays dans le cadre des IMS”. Cette approche n’est pas réaliste, car même si tous les pays ont adhéré au concept de la CSU, en réalité, nombre d’entre eux n’ont pas l’intention de la mettre en œuvre. En témoignent (a) des lois et/ou des attitudes qui empêchent certaines populations (en raison de facteurs liés à la tribu, au sexe ou à l’orientation sexuelle) d’accéder aux services de santé ; et (b) l’incapacité de la plupart des gouvernements à accroître leurs investissements dans la santé, de sorte que la pérennité est trop lointaine pour être considérée comme réalisable.

 

Il est vrai que de nombreux programmes des IMS ont eu tendance à fonctionner en vase clos, mais ce n’était pas le but recherché. Les IMS doivent utiliser au mieux les ressources financières mises à leur disposition et en rendre compte.  Les faiblesses des systèmes d’information sanitaire, l’absence de reddition de comptes et l’existence de pratiques de corruption dans le secteur de la santé ont contraint les IMS à faire preuve de prudence, car elles doivent s’assurer que des contrôles et des dispositifs d’établissement des rapports adéquats ont été mis en place. C’est cette situation qui est à l’origine des cloisonnements. Ce problème ne peut être corrigé par les IMS et les recommandations ne reconnaissent pas les risques inhérents à certains changements proposés. Pour parvenir à l’intégration, les autorités sanitaires nationales doivent collaborer et montrer qu’elles disposent de systèmes de comptabilité et d’information de gestion correctement gérés, associés à la surveillance, à la gouvernance et à la redevabilité nécessaires.

 

Enfin, l’appel constant au renforcement des capacités est désormais caduc. Les IMS, ainsi que d’autres organismes multilatéraux et bilatéraux, fournissent des formations et une assistance technique depuis des décennies. Trop souvent, la formation n’est qu’un prétexte pour prendre des congés payés sans aucun retour sur investissement. Il est temps pour les autorités nationales de prendre des initiatives et d’assumer leurs responsabilités.

 

 

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