Un rapport du Comité stratégique du Fonds mondial met en avant les effets délétères de la crise climatique sur la lutte contre les maladies.
Author:
Christian Djoko
Article Type:Article Number: 3
Au cours de la réunion du 23e Comité stratégique du Conseil d’administration du Fonds mondial qui s'est tenue à Genève du 09 au 11octobre, une importante discussion thématique a eu lieu sur les liens entre le climat et la santé. En prélude à cette discussion inédite, le Secrétariat a présenté un rapport qui met en relief un aperçu de l’urgence climatique, son impact sur la santé humaine et sur la mission du Fonds mondial ainsi que les différentes actions entreprises par le Fonds mondial pour y faire face. Cet article dresse les principales articulations de ce rapport et les commentaires des parties prenantes à ce sujet.
Contexte
Aujourd’hui, la crise climatique est telle qu’elle menace d’annuler les énormes progrès réalisés dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. C’est fort de ce contexte que pour la première fois de son histoire, le Secrétariat a présenté au Comité stratégique du Fonds mondial une vue d’ensemble de l’urgence climatique, son impact sur la santé humaine et les missions du Fonds mondial ainsi que les actions et les prochaines étapes que le Fonds mondial compte franchir pour y faire face.
Panorama de la crise climatique qui frappe déjà à nos portes
L’urgence climatique fait référence à la situation critique et pressante que la planète connait en raison du changement climatique. Il s’agit de la reconnaissance croissante et de l’alarme soulevée par les scientifiques, les experts et les activistes selon lesquels les conséquences du réchauffement de la Terre et des activités humaines qui y contribuent sont de plus en plus graves et nécessitent une action immédiate.
Le réchauffement climatique est principalement causé par les émissions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation massive d’énergies fossiles, de la déforestation et d’autres activités humaines. Les budgets carbone restants s’épuisent rapidement dans le monde. Chaque augmentation du réchauffement de la planète intensifie le faisceau protéiforme des risques climatiques. Cela entraîne des effets dommageables tels que l’élévation du niveau des océans, l’augmentation des températures mondiales, des conditions météorologiques extrêmes, la fonte des glaciers et la perte de biodiversité. À ce niveau, la liste est loin d’être exhaustive.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Les implications générales de la crise climatique
L’urgence climatique est une préoccupation majeure parce qu’elle met en péril la vie sur Terre, y compris notre santé, notre sécurité alimentaire, notre bien-être et celle des générations futures. Plus singulièrement, il est loisible de relever ici et là de nombreuses conséquences de cet état de lieux sur la vie des millions de personnes.
- Des niveaux records de déplacements dus aux inondations ont été observés au Pakistan et au Nigéria en 2022.
- La sécheresse la plus longue et la plus grave jamais enregistrée a entraîné le déplacement de 2 millions de personnes en Somalie, en Éthiopie et au Kenya.
- Le réchauffement climatique influence les conditions météorologiques, la capacité à produire des denrées alimentaires et, par extension, le prix de ces dernières.
- La croissance de la productivité alimentaire est en baisse de 21 % à cause du réchauffement climatique
- En 2021, 2,3 milliards de personnes étaient confrontées à l’insécurité et près de 10 % de la population mondiale de la population mondiale était sous-alimenté.
- Depuis 2020, la Grande Corne de l’Afrique est touchée par une sécheresse, la plus longue depuis 40 ans. Selon les estimations, 37 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë dans la région.
- Les migrations induites par le climat pourraient toucher 86 millions de personnes en Afrique, 89 millions en Asie et 17 millions en Amérique latine d’ici à 2050.
Même dans un pays à revenu élevé comme les États-Unis, on peut s’attendre à une perte de revenus de 2 000 milliards de dollars par an d’ici à 2100. Les effets de la crise climatique ne s’arrêtent pas là. Comme nous le verrons plus bas, elle touche de plein fouet le domaine de la santé en général et de la lutte contre les maladies infectieuses en particulier. Mais avant d’aller plus loin, il est aisé de constater à la lumière de quelques données (ci-dessus) tirées du rapport du Secrétariat que la crise climatique affecte de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables, notamment les communautés pauvres, les pays en développement où la charge de morbidité est élevée, où les systèmes de santé sont faibles et où les contextes sont déjà fragiles et conflictuels. Autrement dit, les changements climatiques déjà à l’œuvre facilitent ou exacerbent de nombreux contextes du Sud global déjà fortement crisogènes.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Le document présenté par le Secrétariat montre également que nous ne sommes pas indistinctement responsables de la crise climatique. Ce sont les communautés qui contribuent le moins aux changements climatiques qui en subissent davantage le contrecoup. Bien plus encore, le rapport démontre avec acuité que les inégalités sociales renforcent les vulnérabilités sanitaires, prolongent les pandémies et nourrissent une inégalité (durée et qualité) des vies à l’échelle internationale.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Les conséquences de la crise climatique sur la santé en général et la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme en particulier
Si rien n’est fait, les changements climatiques risquent non seulement d’annuler les progrès en matière de santé publique mondiale, mais de paver la voie à l’émergence ou à la réémergence des maladies infectieuses aux conséquences aussi dramatiques qu’insoupçonnées. Ce qu’on peut d’ores et déjà constater, dit le Rapport objet de notre attention – et plus récemment aussi le Rapport 2023 sur les résultats -, c’est que les changements climatiques représentent une menace d’envergure systémique pour la réalisation de la mission du Fonds mondial.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Le constat alarmant que fait le Secrétariat via ce Rapport, s’inscrit en réalité en droite de la Déclaration du Fonds mondial du 3 décembre 2021 portant sur le changement climatique et la durabilité environnementale. On peut en effet y lire ce qui suit :
«Les risques posés par le changement climatique et la contamination de l’environnement aux programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, ainsi qu’aux systèmes sanitaires et communautaires sous-jacents qui soutiennent et fournissent des services aux communautés, sont réels. Le changement climatique va encore exacerber les phénomènes météorologiques extrêmes, les déplacements forcés, la diminution de la qualité de l’air et l’augmentation de l’insécurité alimentaire, hydrique et économique, qui ont tous un impact négatif sur la santé. L’évolution des précipitations, de la température et de l’humidité peut déplacer la transmission du paludisme vers des zones qui ne disposent pas toujours des ressources ou de la préparation nécessaires pour prévenir, détecter et traiter le paludisme. Le changement climatique aura également un impact sur la tuberculose et le VIH, probablement par le biais d’un ensemble complexe de facteurs qui affecteront de manière disproportionnée les plus vulnérables. Les déplacements forcés ou les migrations dus au changement climatique peuvent perturber les services de diagnostic et de traitement, et l’insécurité économique causée par le changement climatique peut créer des environnements propices à l’augmentation des taux de transmission et accroître la vulnérabilité des personnes à la maladie. On estime que la pollution de l’air – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur – tue environ sept millions de personnes par an et joue un rôle important dans les maladies respiratoires. La mauvaise qualité de l’air et la surpopulation due aux migrations forcées peuvent contribuer à la transmission de maladies respiratoires telles que la tuberculose et le COVID 19 ».
Les actions du Fonds mondial face à la crise climatique
Dans le cadre de sa nouvelle Stratégie 2023-2028, le Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et ses partenaires ont fait de la question des changements climatiques l’un des principaux défis posés à la réalisation de sa mission. La Stratégie mentionne explicitement que « le changement climatique risque de faire perdre du terrain gagné sur les trois maladies et de faire reculer la santé en général ». (Stratégie 2023-2028, p. 57).
Conscient de l’impact du changement climatique sur la charge de morbidité, le Fonds mondial a commencé à intégrer les enjeux climatiques dans ses opérations internes et ses différents mécanismes de financement. Comme le rapport l’indique : « La lutte contre le changement climatique n’est pas un élargissement de la mission du Fonds mondial, mais une réponse à un changement sans précédent du contexte de la vie humaine sur terre qui affectera la plupart des aspects du travail du Fonds mondial. En tant que tel, il est mieux compris comme un contexte critique et une lentille à travers laquelle nous considérons tout notre travail ».
Qui plus plus, le rapport souligne, chiffres à l’appui, que le Fonds mondial consacre l’essentiel de ses subventions (9, 3 milliards de dollars américains, soit 71% du Cycle de subvention 7) aux pays les plus exposés et vulnérables aux changements climatiques, lesquels, pour la plupart du moins, présentent également une forte charge de VTP (VIH, Tuberculose, Paludisme).
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Le rapport souligne que pour lutter contre les risques sanitaires posés par le changement climatique, le Fonds mondial étudie et investit de plus en plus dans des interventions sanitaires intelligentes. Il aide les pays à renforcer leur capacité à répondre aux effets du changement climatique sur la santé, tout en renforçant les efforts globaux de lutte contre les maladies. Il s’agit entre autres de renforcer les systèmes de surveillance pour détecter les épidémies influencées par le changement climatique, de promouvoir des systèmes de santé résilients, de soutenir des approches innovantes pour améliorer la prévention et le contrôle des maladies face à la variabilité du climat. Plus spécifiquement :
- Les accords de subvention du Fonds mondial avec les pays bénéficiaires soutiennent les ripostes nationales qui tiennent compte de l’impact des changements climatiques sur les maladies ainsi que de l’impact environnemental des activités de lutte contre les maladies. Les processus de demande de financement et de dialogue avec les pays permettent également à ces derniers de concevoir et de prioriser des investissements qui renforcent et construisent des systèmes de santé résilients au climat afin d’être plus à même de faire face aux impacts des catastrophes climatiques si elles se produisent.
- Les flexibilités en matière de subventions et le Fonds d’urgence constituent la première ligne de soutien du Fonds mondial pour les pays confrontés à des catastrophes liées au climat telles que les cyclones, les inondations et la sécheresse.
- Les investissements catalytiques tels que le Digital Health Impact Accelerator Matching Fund intègrent la résilience climatique en tant que priorité clé pour aider davantage les pays à maintenir les progrès en matière de santé dans le contexte d’un climat changeant.
- Le Fonds mondial soutient la transition vers des systèmes de santé à faible émission de carbone grâce à des énergies propres, à la gestion des déchets et à l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement.
Au niveau interne, c’est-à-dire de ses propres opérations et pratiques, le Fonds mondial, à en croire le rapport du Secrétariat, s’emploie également à réduire son empreinte écologique sur l’ensemble de la chaîne de valeur des produits de santé et des mécanismes approvisionnement/expédition. Voici ci-dessus un résumé sous forme de schéma du cadre d’action du Fonds mondial qui vise à protéger les acquis en matière de lutte contre le VTP et de renforcement des systèmes de santé dans le contexte de crise climatique croissante.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Plus largement, le rapport souligne que le travail du Fonds mondial s’inscrit dans une convergence de luttes avec d’autres partenaires. Car le défi posé par la crise climatique impose nécessairement une synergie d’actions, une mutualisation des forces et des interventions. À ce titre, le travail du Fonds mondial s’aligne sur plusieurs objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, notamment l’ODD 3 : bonne santé et bien-être, et l’ODD 13 : Action pour le climat. En clair, les efforts du Fonds mondial en matière de lutte contre les maladies contribuent à la réalisation des objectifs liés à la santé dans le cadre des ODD, tandis que sa reconnaissance croissante des liens entre le changement climatique et la santé témoigne de son engagement en faveur de l’action climatique.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Nous vivons une époque critique où des décisions audacieuses et des actions immédiates sont nécessaires pour atténuer les effets du changement climatique et garantir une santé durable pour toutes et tous. C’est fort de ce contexte également que le Rapport présenté par le Secrétariat du Fonds mondial a égrainé toute une série d’actions à venir. Voici ci-dessous un tableau qui résume assez bien ces actions ou étapes à venir.
Source: Document du Comité Stratégie du Fonds mondial GF/SC23/01-
Soumis à leur attention, plusieurs parties prenantes ont formulé de nombreux commentaires sur le rapport.
Commentaires des parties prenantes
De manière générale, la majorité des parties prenantes ont apprécié le rapport fourni par le Secrétariat. Il est rassurant, diront-elles, de voir à quel point le Fonds mondial est déjà engagé dans la lutte contre le changement climatique et les mesures d’adaptation, de réponse et d’atténuation qui sont poursuivies et encouragées, ainsi que les plans qui vont de l’avant. Les parties prenantes ont toutefois exprimé de nombreuses inquiétudes.
En effet, elles se disent alarmées par l’important déficit de financement d’un milliard de dollars US par an pour le paludisme et appellent à des discussions ciblées sur les stratégies de mobilisation des ressources, en particulier sur les attentes et les spécificités des pays à revenu intermédiaire en matière de gestion des risques de catastrophe, de financement mixte et de conversion de la dette.
Plus largement, si le rapport fournit des preuves convaincantes de l’impératif d’agir pour le climat, il n’esquisse pas encore, disent les parties prenantes, une voie à suivre qui soit compatible avec l’impact actuel et prévu de la crise. Elles demandent par conséquent au Fonds mondial de développer une stratégie avec des objectifs clairs dans le cadre de son mandat pour aborder le lien entre le climat et la santé. Elles demandent également au Secrétariat d’évaluer les preuves de la complexité des initiatives communautaires de sensibilisation et de préparation au climat, et de partager les enseignements tirés des programmes relatifs aux déplacements climatiques et à la santé des réfugiés afin d’informer le Partenariat dans son ensemble.
Les parties prenantes ont enfin formulé une série de questions qui appelle des réponses précises de la part du Secrétariat : comment le Fonds mondial intégrera-t-il une perspective climatique dans le travail de l’initiative stratégique Communauté, Droits et Genre (Community, Rights and Gender) et vice versa ? Compte tenu de l’adoption rapide des technologies numériques, comment le Digital Health Impact Accelerator (DHIA) prévoit-il d’aborder et d’atténuer les répercussions négatives des déchets électroniques ? En ce qui concerne les actions du Fonds mondial visant à promouvoir la résilience climatique, cette intégration se fera t-elle dans le cadre des demandes de subvention ou par le biais d’un mécanisme parallèle ? Comment sera-t-elle financée et quelles mesures sont en place pour garantir la responsabilité, des rapports solides et une collecte de données efficace ? Enfin, les parties prenantes reconnaissent que la prise en compte transversale de la question climatique représente une tâche supplémentaire pour les équipes nationales déjà très occupées. Partant de ce constat, elles notent sur fond de question qu’il n’y a aucune mention dans le document au sujet de la formation de ces équipes ou de leur rôle (ou de celui d’autres membres du personnel) en ce qui concerne les interventions liées au changement climatique soutenues par le Fonds mondial.