Premiers enseignements de la mise en œuvre d’une subvention autonome pour le renforcement des systèmes de santé en République démocratique du Congo
Author:
Aidspan
Article Type:Article Number: 4
Comment un soutien continu à la mise en œuvre permet de trouver des solutions simples et ciblées aux défis du renforcement des systèmes de santé : Aidpsan passe en revue un projet financé par la GIZ e
RÉSUMÉ Cet article analyse les premiers résultats d'un appui pilote à la subvention pour le système résilient et pérenne pour la santé (SRPS) en RDC. Il montre que l'assistance technique à long terme au bénéficiaire principal permet de relever les défis techniques liés à la mise en œuvre et à la coordination, ainsi qu'à la qualité des activités. Ces leçons devraient être partagées avec tous les pays et les activités devraient être incluses dans les interventions de routine pour faciliter la mise en œuvre et obtenir un plus grand impact.
Le Fonds mondial a investi dans le renforcement du système de santé 9,4 milliards de dollars depuis sa création, et pour le cycle actuel, qui a débuté en janvier 2021, 4,9 milliards sont actuellement investis. Le schéma suivant montre les piliers sur lesquels ces investissements ont été effectués :
Pour la première fois en 2020, les pays ont été invités à dégager une enveloppe spécifique pour les activités de renforcement du système de santé, et à formuler un paquet d’activités par pilier du système.
C’est dans ce cadre que la République Démocratique du Congo (RDC) a décidé de soumettre une demande de financement autonome d’un montant initial de 100 millions de dollars, revu à la baisse, puis à nouveau revu à la hausse grâce à l’ajout des financements de lutte contre la COVID-19, pour un montant d’environ 80 millions de $.
Cet article examine les défis de la mise en œuvre de la subvention RSS, et comment le projet d’appui à la mise en œuvre du RSS financé par la GIZ Backup et le Foreign and Commonwealth Development Office (FCDO) du Royaume-Uni, mis en œuvre par Aidspan, tente de relever ces défis par des actions ciblées, le déploiement d’outils simples et l’appui au changement parmi les acteurs du système au niveau décentralisé. Des indicateurs tels que le % du plan annuel exécuté, le taux d’absorption, le % des avances ouvertes clôturées sont actuellement suivis. Un examen à mi-parcours sera effectué en mars 2023 pour évaluer les progrès réalisés à l’aide de ces indicateurs qui constituent des évidences.
Les défis rencontrés dans la mise en œuvre de la subvention RSS
Plusieurs défis récurrents sont communs à la mise en œuvre des subventions RSS, en particulier quand ces dernières sont gérées par un bénéficiaire principal issu du ministère de la santé.
La difficile coordination de toutes les parties prenantes engagées dans le renforcement du système
La coordination des activités du RSS est complexe, car elle engage des acteurs du niveau central provenant de directions du ministère qui ne sont pas forcément habituées à travailler ensemble, et qui ne répondent pas hiérarchiquement à l’unité de gestion qui gère habituellement les subventions du Fonds mondial. Selon les modules retenus, les sous-bénéficiaires sont les Directions de l’information sanitaire, celle du médicament, la Direction des soins de santé primaire, la direction des laboratoires. Ces directions ne collaborent pas régulièrement, et sont habituées à recevoir l’appui direct des partenaires en fonction de leurs priorités. Dans le cas des subventions du Fonds mondial, c’est le bénéficiaire principal qui reçoit les fonds, et demande aux Directions du ministère d’effectuer leur planification, leur demande de fonds et de justifier les sommes dépensées. Or, ces directions sont mal outillées pour assurer la coordination, généralement peu formées à la planification opérationnelle, et ne disposent pas en interne des compétences financières pour gérer les fonds et s’assurer du bon respect des procédures.
La coordination verticale est également complexe, car la plupart des activités des subventions RSS et maladies sont en partie exécutées au niveau périphérique. Or, la plupart des pays de la région sont aujourd’hui dans un processus de décentralisation administrative qui donne une autonomie de gestion aux régions/provinces dans l’administration des fonds et la mise en œuvre des services de santé. Les régions/provinces sont donc des partenaires de mise en œuvre, mais elles sont rarement impliquées dans un dialogue régulier avec les acteurs du Fonds mondial, ce qui ralentit considérablement la mise en œuvre des activités.
Fort de ce constat, Aidspan a réalisé, avec l’aide de l’équipe RSS du bénéficiaire principal, la Cellule d’appui à la Gestion Financière (CAGF), un diagnostic des difficultés de planification et de suivi de la mise en œuvre. Ce dernier a fait ressortir 2 difficultés majeures : l’absence d’outil programmatique pour planifier les activités à mettre en œuvre durant le semestre, qui permette de vérifier que le rythme de mise en œuvre est conforme aux prévisions ; l’absence de justification des dépenses effectuées et l’accumulation d’avances ouvertes de plus de 90 jours, qui deviennent à terme des dépenses inéligibles que le pays doit rembourser, et qui s’élèvent actuellement à plusieurs millions.
Pour remédier à ce problème, un tableau de bord a été élaboré, qui reprend toutes les activités de la subvention RSS, et que les sous-bénéficiaires mettent à jour chaque semaine. Un point focal a été nommé au sein de la CAGF pour vérifier chaque semaine que les tableaux de bord sont à jour, et que le journal des avances ouvertes est passé en revue. Deux indicateurs sont surveillés mensuellement :
- Le % d’activités mises en œuvre dans les temps selon la planification établie ;
- Le % d’avances liquidées versus la proportion d’avances de plus de 90 jours.
Grâce au fait que toutes les activités sont mises en œuvre par le ministère de la santé, avec la participation de la Direction de la Planification, ce tableau de bord est sur le point d’être présenté au Secrétaire Général afin qu’il promeuve son déploiement dans tout le pays, en tant qu’outil de planification ministérielle pour les 26 provinces sanitaires.
La lourdeur des procédures de mise en œuvre et des activités de passation de marchés
Les procédures de la CAGF occupent 7 manuels d’environ deux-cents pages chacun. Par ailleurs, les dispositions pour la passation de marchés sont très lourdes et les processus longs, expliquant de grands retards dans des activités clés telles que la reproduction des outils de collecte des données (registres, fiches et dossiers patients), le démarrage de l’enquête SARA sur la disponibilité des services, ou l’enquête EDS (enquête démographique et de santé). Par ailleurs, l’achat de prestations, et notamment d’assistance technique, est également problématique, expliquant que plusieurs dossiers n’ont pas avancé. Face à ces blocages qui ralentissent considérablement la mise en œuvre, sans forcément garantir une gestion sans risque de la subvention, une mission de revue des procédures va débuter. Cette dernière poursuivra 2 objectifs :
- Simplifier les procédures, afin d’épurer le manuel et de ne conserver que celles qui sont obligatoires et garantissent la bonne anticipation et gestion du risque. Des discussions auront lieu concernant l’adaptabilité de certaines procédures aux contextes de mise en œuvre, en particulier dans les zones très éloignées, où factures et autres pièces justificatifs sont difficiles à obtenir. L’objectif sera de conserver des mesures de gestion des risques, mais de proposer des procédures qui soient applicables par les zones et les aires de santé, sans les obliger à « fabriquer » des justificatifs que l’on sait impossibles à obtenir ;
- Produire des supports de diffusion des procédures adaptés à l’usage requis et aux acteurs : en lieu et place de 7 tomes, des fascicules adaptés aux besoins des sous-bénéficiaires seront produits, ainsi que des infographies et des supports faciles d’utilisation par des acteurs qui ne sont pas rôdés aux procédures de la CAGF et demandent des schémas simples et fonctionnels pour ne pas se perdre.
Concernant les règles de passation de marchés, ces dernières seront également revues afin de se conformer aux dispositions de la Loi sur les marchés publics du pays. Enfin, des expériences seront conduites afin d’accélérer la décentralisation des passations de marchés, puisque les directions provinciales reproduisent déjà leurs outils grâce au financement d’autres bailleurs. Elles doivent pouvoir également sélectionner des fournisseurs locaux en capacité de fournir la connexion internet, et se doter d’un catalogue de fournisseurs sans passer par le niveau central qui les retarde.
L’absence d’appui au niveau décentralisé
La décentralisation, et la création des Divisions Provinciales de la santé en 2012, n’a pas bénéficié de l’appui politique et des ressources adéquates pour devenir effective. Dans le secteur de la santé, les Directions provinciales se sont vu céder des prérogatives importantes en matière de mobilisation et de gestion des finances, ainsi que dans l’encadrement des zones de santé. Cependant, ce déficit d’appui des partenaires techniques et financiers conduit à un affaiblissement des chefs de division des provinces, et d’une définition floue des responsabilités techniques et politiques. L’approche provinciale, débutée par le Fonds mondial en 2018, est une réponse privilégiant l’appui à 2 provinces (Maniema et Kinshasa) sur les aspects suivants :
- La planification annuelle des activités depuis le niveau le plus périphérique jusqu’au niveau central ;
- L’amélioration de la qualité des données pour une prise de décision programmatique éclairée ;
- Un appui au leadership des directions provinciales de la santé pour mobiliser les fonds et dans le dialogue politique et technique.
Une capitalisation de cette approche d’appui à la décentralisation sera effectuée avec l’appui de la GIZ en février 2023, dans l’objectif de partager les leçons apprises avec les pays que cette approche intéresse. Par ailleurs, grâce à l’appui de la Backup, des activités supplémentaires ont été conduites :
- L’appui à la revue semestrielle des activités de la province : afin d’améliorer le degré d’analyse des difficultés et de rendre ces espaces d’échange plus participatifs et analytiques afin de déboucher sur des plans de redressement réalistes ;
- L’appui à l’élaboration des plans annuels opérationnels, afin d’en améliorer la qualité depuis le niveau des aires de santé, jusqu’au niveau de la province.
La multiplicité des partenaires techniques et financiers
La coordination des PTF est un enjeu dans les pays de la zone, car malgré la bonne volonté des bailleurs et les efforts des ministères, un alignement des projets sur le plan national de développement sanitaire et une harmonisation des outils de financement semblent impossibles à obtenir. Par conséquent, ce sont les ministères, en particulier les Directions de la planification, qui tentent, avec peu de succès, de coordonner l’ensemble des appuis.
La RDC bénéficie de l’appui d’une quarantaine de partenaires techniques et financiers dans le domaine de la santé, pour des montants qui dépassent annuellement les 2 milliards de $. La coordination de tous ces acteurs est un enjeu majeur en matière d’alignement et de complémentarité, alors que les besoins sont criants. Il est aujourd’hui difficile pour le niveau central de contrôler et de coordonner tous les processus et les actions des PTF, et ce problème se retrouve dans les directions provinciales. La province de Kinshasa compte 34 PTF, celle du Nord Kivu 17, et malgré les cadres de concertation créés par le ministère de la santé, chaque partenaire finance selon ses priorités géographiques et thématiques.
Dans le but d’aider le ministère à reprendre la main sur le dialogue avec les partenaires, et pour que ce dernier puisse effectuer le suivi des engagements, un « tracker partenaire » est en cours d’élaboration, pour un déploiement en janvier 2023. Ce dernier présentera l’ensemble des investissements des partenaires par direction provinciale, zone de santé, la durée des projets, leur couverture géographique, leur domaine d’appui. Un point focal sera nommé dans chaque Division provinciale (certaines DPS en ont déjà un), chargé de mettre à jour le tracker, et d’appuyer le chef de division dans la définition de ses priorités en fonction des données épidémiologiques. Une consolidation semestrielle permettra au Secrétaire Général de disposer de l’information et de convoquer les partenaires de manière annuelle ou semestrielle au travers du Comité national de pilotage du secteur de la santé, et son pendant au niveau provincial. L’idée étant à terme de créer des basket funds (paniers communs) où l’ensemble des PTF appuie les priorités stratégiques nationales, déclinées dans les provinces.
Conclusion
Ce projet a identifié de nombreuses pistes d’amélioration dans la mise en œuvre, qu’il s’agisse du pilotage programmatique et financier de la mise en œuvre, de la mise en place d’outils qui facilitent la gestion au niveau des sous-bénéficiaires, ou encore dans la mise à disposition des provinces d’outils leur donnant la possibilité de reprendre la main sur les discussions avec les partenaires.
Pour la suite, un dialogue fourni avec les membres du comité de suivi stratégique de l’Instance de Coordination Nationale (CCM en anglais) est prévu, les membres nouvellement élus ont été formés sur le RSS et des réunions régulières avec le Bureau permettront de mieux faire comprendre l’importance du renforcement du système de santé, et son caractère structurant dans la lutte contre les maladies.
De nombreuses pistes d’amélioration ont également été dégagées des ateliers de formation tenus avec les provinces couvertes par les financements du Fonds mondial. Leur première demande concerne une plus grande association au processus de dialogue pays, et la prise en compte de leurs priorités et de leurs besoins dans les demandes de financement, habituellement planifiées au niveau central. Elles ont également demandé un appui supplémentaire dans la formation au management et à l’encadrement des niveaux inférieurs, ainsi que dans la mesure de la qualité de leurs activités : supervisions intégrées, réunions de monitorage des données, revues semestrielles… autant d’activités qui, si elles sont bien menées, auront un impact direct sur l’accessibilité et la qualité des services offerts à la population. Et c’est dans ces conditions que le RSS prend tout son sens : il se centre sur le patient, ses besoins, ses vulnérabilités pour accéder aux services, au lieu de se centrer sur les piliers du système.
Cette expérience constitue un bon exemple de partenariat gagnant entre une équipe d’assistance technique et un bénéficiaire principal, à travers un partenariat dynamique et constructif. C’est un exemple qui devrait être reproduit dans d’autres pays qui peinent à mettre en œuvre leurs subventions RSS, sans doute pour des raisons similaires. Dans le processus d’élaboration des demandes de financement du GC7 (NFM4), ces activités qui stimulent la mise en œuvre des interventions de renforcement du système devraient être incluses dans la subvention. L’effort en vaut la peine, l’investissement est raisonnable par rapport au montant de la subvention ; cette assistance a été quelque peu négligée dans les subventions du cycle actuel (NFM3) mais devrait être incluse au prochain cycle GC7 pour accélérer l’obtention des résultats.