Questions de genre dans la lutte contre la tuberculose
Author:
Ellen M.H. Mitchell
Article Type:Article Number: 4
RĆSUMĆ Si le champ de la lutte contre tuberculose se targue dāĆŖtre trĆØs bien documentĆ©, il y a un secteur oĆ¹ des inĆ©galitĆ©s avĆ©rĆ©es persistent depuis des annĆ©es sans susciter beaucoup de rĆ©flexion ou dāajustement. Les discours dominants continuent Ć occulter les inĆ©galitĆ©s hommes-femmes qui gĆŖnent et nuisent aux efforts de lutte contre la tuberculose.
Si le champ de la lutte contre tuberculose se targue dāĆŖtre trĆØs bien documentĆ©, il y a un secteur oĆ¹ des inĆ©galitĆ©s avĆ©rĆ©es persistent depuis des annĆ©es sans susciter beaucoup de rĆ©flexion ou dāajustement. Les discours dominants continuent Ć occulter les inĆ©galitĆ©s hommes-femmes qui gĆŖnent et nuisent aux efforts de lutte contre la tuberculose.
Pour comprendre le dilemme dans lequel nous sommes, il est nĆ©cessaire de faire un retour en arriĆØre. Pendant des annĆ©es, le ratio des hommes et des femmes affectĆ©s par la tuberculose a Ć©tĆ© de 1,7 homme pour chaque patiente diagnostiquĆ©e. Il a Ć©tĆ© de notoriĆ©tĆ© publique que la plupart des patients atteints de tuberculose sont des hommes et que la plupart des dĆ©cĆØs les concernent. [1-2] Cette āvĆ©ritĆ©ā est si indisputable que la qualitĆ© des systĆØmes de surveillance de la tuberculose est souvent Ć©valuĆ©e en fonction de la rĆ©gularitĆ© avec laquelle ces taux restent disproportionnĆ©sau fil du temps.
La disparitĆ© de genre liĆ©e Ć la tuberculose a Ć©tĆ© relĆ©guĆ©e en arriĆØre-plan pendant des annĆ©es, sans quāon lui porte attention au-delĆ de quelques Ć©tudes occasionnelles. Alors que certains lāont expliquĆ©e par le fait que les femmes dāont pas le mĆŖme accĆØs aux soins, d’autres y ont vu le simple fait que les hommes s’adonnent plus Ć la cigarette, Ć l’alcool, aux activitĆ©s criminalisĆ©es et Ć l’exploitation miniĆØre. Certains ont mĆŖme explorĆ© l’hypothĆØse que la disparitĆ© sāexpliquerait par une diffĆ©rence biologique.
L’absence de consensus sur les causes de cette disparitĆ© a entravĆ© les efforts visant Ć y remĆ©dier. De temps en temps, un pragmatiste intrĆ©pide oserait proposer une solution pour allĆ©ger les effets inĆ©gaux de la maladie pour les hommes, auquel on rĆ©pondrait aussitĆ“t en brandissant les statistiques du systĆØme de surveillance afghan (M: F: 0,62), seul endroit sur terre oĆ¹ le taux de tuberculose des femmes dĆ©passe rĆ©guliĆØrement celui des hommes.
Le domaine de la tuberculose ne sāest que rĆ©cemment dotĆ© dāune Ā« perspective de genre Ā», presqu’Ć la mĆŖme Ć©poque oĆ¹ les bailleurs de fonds ont exigĆ©Ā l’amĆ©lioration de l’accĆØs des femmes et des filles aux services de santĆ©.Ā Avec ces nouvelles exigences, de grands efforts ont Ć©tĆ© dĆ©ployĆ©s pour mettre soigneusement en Ć©vidence l’exposition accrue des femmes. Mais mĆŖme la rĆ©daction d’une simple fiche technique sur la tuberculose des femmes a posĆ© des difficultĆ©s parce que, dans de nombreux endroits, lāaccĆØs des femmes aux soins pour la tuberculose dĆ©passe celui des hommes et les donnĆ©es Ć l’appui de la charge supplĆ©mentaire de morbiditĆ© de la tuberculose chez les femmes sont introuvables.
Au contraire, des preuves toujours plus convaincantes de la vulnĆ©rabilitĆ© disproportionnĆ©e des hommes continuent de sāaccumuler Ć la suite de grandes enquĆŖtes auprĆØs des mĆ©nages dans les pays durement touchĆ©s par la maladie. Les rapports des enquĆŖtes nationales sur la prĆ©valence de la tuberculose financĆ©es par le Fonds mondial Ć hauteur de plusieurs millions de dollars en IndonĆ©sie, au Vietnam, au Nigeria, en Ćthiopie, au Rwanda et en Tanzanie sont rĆ©vĆ©lateurs des inĆ©galitĆ©s hommes-femmes, bien plus importantes que prĆ©cĆ©demment reconnu [2-6].
En Afrique subsaharienne, du Kenya au Zimbabwe en passant par la Zambie et ailleurs, oĆ¹ la fĆ©minisation du VIH devrait entraĆ®ner la fĆ©minisation de la tuberculose, des enquĆŖtes bien menĆ©es ne trouvent aucune charge supplĆ©mentaire chez les femmes [7-9].
MĆŖme lĆ oĆ¹ les femmes vivent dans des conditions trĆØs difficiles, dans des pays comme le Pakistan, on ne trouve pas de rĆ©fĆ©rence constante Ć une charge plus grande de tuberculose chez les femmes [3].
Ces Ć©tudes s’Ć©loignent de l’idĆ©e selon laquelle la plus faible morbiditĆ© chez elles reflĆØte un manque d’accĆØs aux services de santĆ©. Et cette gĆŖnante inĆ©galitĆ© hommes-femmes ne porte pas uniquement sur la morbiditĆ© plus Ć©levĆ©e chez les hommes, mais Ć©galement sur le traitement qui leur est rĆ©servĆ© une fois diagnostiquĆ©s. Une revue systĆ©matique de la littĆ©rature sur le genre et la tuberculose permet de conclure que :
- Les hommes tardent gĆ©nĆ©ralement Ć se faire soigner par rapport aux femmes, lorsque les symptĆ“mes de la tuberculose apparaissent [10].
- Les patients masculins atteints de tuberculose sont plus susceptibles d’abandonner le traitement et de ne plus ĆŖtre suivis.
- Les hommes sont plus susceptibles de mourir pendant le traitement de la tuberculose
MĆŖme si la justification Ć©pidĆ©miologique de mettre l’accent sur les hommes est largement reconnue, les politiques de santĆ© ne suivent pas.
Cataloguer les hommes comme un groupe vulnĆ©rable est une entreprise risquĆ©e et trĆØs gĆŖnante. Non seulement cela semble contraire Ć la logique, mais cette idĆ©e va aussi Ć lāencontre des prĆ©fĆ©rences explicites du Fonds mondial et du gouvernement des Ćtats-Unis concernant les stratĆ©gies visant Ć autonomiser les femmes et les filles.
L’objectif de l’Ć©galitĆ© prĆ“nĆ©e par les principaux bailleurs de fonds a Ć©tĆ© presque exclusivement orientĆ© vers la catĆ©gorisation des femmes en groupe Ć risque pour la tuberculose. Cette prĆ©fĆ©rence est bien comprise par les gestionnaires de programmes. Pour preuve, la suggestion que les hommes adultes soient considĆ©rĆ©s comme une population vulnĆ©rable clĆ© a provoquĆ© des rires et des sourires au cours dāune rĆ©union technique rĆ©cente de lāOMS. Peu dāacteurs de la lutte contre la tuberculose espĆØrent une quelconque augmentation des ressources au profit des hommes qui en sont privĆ©s, indĆ©pendamment de ce que disent les donnĆ©es.
Est-il possible que les bailleurs de fonds considĆØrent le taux Ć©levĆ© d’incarcĆ©ration des hommes pauvres comme une forme de violence institutionnelle fondĆ©e sur le genre? La sociĆ©tĆ© civile peut-elle les aider Ć considĆ©rer la marchandisation du corps des hommes dans les mines d’Afrique australe comme une question de genre, et non seulement un problĆØme de droits de l’homme ?
L’accent mis sur les inĆ©galitĆ©s signifie-t-il que les ressources qui sont accordĆ©es Ć un genre doivent ĆŖtre retirĆ©es Ć lāautre ? Ceux qui dĆ©fendent les besoins non satisfaits des hommes devront user de prudence et se retenir de vĆ©hiculer l’idĆ©e selon laquelle peu de femmes succombent Ć la tuberculose. Nul ne conteste que les femmes et les filles nĆ©cessitent des stratĆ©gies de lutte contre la tuberculose qui leur sont adaptĆ©es.
Heureusement, des signes prĆ©sagent peut-ĆŖtre un grand changement. De nouvelles discussions sur une programmation sensible au genre dans la lutte contre la tuberculose commenceraient Ć avoir lieu au Rwanda, au Malawi et au Nigeria.
Le Fonds mondial a lancĆ© un appel le 30 septembre aux groupes de la sociĆ©tĆ© civile pour quāils apportent une assistance technique afin de s’assurer quāils Ć©valuent les questions de genre dans le cadre de lāexamen des programmes de lutte contre la tuberculose.Ā La semaine suivante, USAID sāest dit intĆ©ressĆ© Ć inclure le dĆ©pistage de la tuberculose dans le cadre de la circoncision masculine mĆ©dicalisĆ©e et volontaire.
Beaucoup de travail de terrain reste nĆ©cessaire pour mieux comprendre les forces culturelles, biologiques et structurelles qui rendent la tuberculose si dangereuse pour nous tous. Il est Ć espĆ©rer quee le soutien du Fonds mondial et de l’USAID Ć cette fin apporte un nouvel Ć©clairage et des solutions Ć un problĆØme sĆ©culaire.
Ellen Mitchell est Ć©pidĆ©miologiste principale Ć la Fondation KNCV TB. Tous les avis exprimĆ©s dans ce texte sont les siens.
RƩfƩrences
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