À LA FIN DE L’ANNÉE 2022, QUELS SONT LES PROBLÈMES MAJEURS DU SECTEUR DE LA SANTÉ QUI DEMEURENT ET VONT CONTINUER À SE POSER?
Author:
Alan Whiteside
Article Type:Article Number: 3
Une rétrospective pour nous permettre de nous projeter en 2023
RÉSUMÉ Alan Whiteside aborde les deux grandes questions du secteur de la santé qui, à son avis, restent non résolues au moment où nous sommes sur le point de quitter l'année 2022 pour entrer dans l'année 2023.
Le présent article sera mon dernier commentaire pendant un certain temps. Pour rendre les articles que je produis intéressants et pertinents, il est nécessaire que je sache ce qui se passe et ce qui est important. Au cours des six prochaines semaines, je ne pourrai pas scruter l’actualité, et il est donc peu probable que j’aie beaucoup de choses intéressantes à dire.
Dans ce commentaire, je vais me concentrer sur deux choses qui me préoccupent particulièrement, mais qui constituent des domaines d’intérêt assez spécialisés. La première concerne les données, la manière dont nous les obtenons et dont nous les utilisons. La seconde est la façon dont nous devons réagir face à des gouvernements dysfonctionnels et/ou tyranniques. Il n’est pas aisé de trouver une solution à ces énigmes.
Données
J’ai récemment eu la chance d’assister à une formation d’une journée dispensée par une organisation caritative britannique appelée Full Fact. Il s’agit d’une équipe de vérificateurs de faits et de militant(e)s indépendant(e)s qui trouvent, exposent et réfutent les mauvaises données, car « les mauvaises informations suscitent la haine, nuisent à la santé des gens et compromettent la démocratie ».
Le cours était intense mais limité. Nous avons appris à manipuler des ensembles de données et à les faire chanter et danser de manière effective. Je recommanderais ce groupe et sa formation à toutes et tous. Toutefois, pour les personnes travaillant dans le domaine de la santé publique, elle ne va pas assez loin. D’où viennent les données? Sont-elles fiables? Quels sont les biais et les politiques? Comme le disait Louis Pasteur, « l’agent pathogène n’est rien, le terrain est tout »(the pathogen is nothing, the terrain is everything).
Dans les premières années de la pandémie de SIDA, les seules données disponibles étaient le nombre de cas de SIDA (des dizaines, des centaines et des milliers à l’époque). Avec l’avènement des tests, il est devenu possible d’évaluer les niveaux d’infection. Au départ, il s’agissait de la prévalence du VIH (le nombre d’infections dans une population), puis de l’incidence (le nombre de nouvelles infections sur une période donnée).
Même à cette époque, ces données étaient politiques. Le premier exemple, et le plus flagrant, que j’ai rencontré est celui de la politisation des données au Zimbabwe. En 1987, le gouvernement a déclaré au Programme mondial de lutte contre le SIDA de l’OMS à Genève qu’il comptait plusieurs centaines de cas de SIDA. Quelques semaines plus tard, les autorités sud-africaines, toujours l’odieux gouvernement d’apartheid à cette époque, ont signalé 120 cas. Dans les jours suivants, le Zimbabwe a annoncé qu’il avait commis une erreur et qu’il n’y avait en fait que 119 cas de SIDA dans le pays. Nous en avons fait état dans une lettre d’information AIDS Analysis Africa: Southern Africa (Vol 1, No 1 6 juin/juillet 1990 page 6). Actuellement, les débats sur les données et la politisation de celles-ci sont observés dans le cadre de la pandémie de COVID. Par exemple, combien de cas existe-t-il en Chine? Qui dissimule l’information et pourquoi?
Face à la stagnation et au déclin du financement de la lutte contre le VIH et le SIDA, nombreux sont ceux et celles qui ont cherché de nouveaux moyens de maintenir l’attention mondiale sur cette pandémie et d’assurer le flux des ressources, notamment en mettant en avant les données. Est-ce la bonne option? Je suis toujours troublé par le fait que, lors des reconstitutions des ressources, le Fonds mondial annonce un gros montant d’argent qui permettra de freiner la propagation de la pandémie et de la faire reculer. Si cet objectif n’est pas atteint, cela peut-il être interprété comme un échec? Manifestement non, car le même phénomène se produit à chaque reconstitution.
La septième reconstitution des ressources a été présentée comme: « l’opportunité pour le monde de relever le défi et de prendre des mesures audacieuses pour protéger tout le monde, partout, des maladies infectieuses les plus mortelles ». L’objectif était de mobiliser au moins 18 milliards de dollars. Le Fonds mondial a déclaré que c’était le minimum pour remettre le monde sur la voie de l’éradication du VIH, de la tuberculose et du paludisme. L’argumentaire de la reconstitution des ressources indique que, de 2024 à 2026, le monde a besoin d’un total de 130,2 milliards de dollars, dont 18,6 milliards devraient provenir du Fonds mondial, 25,2 d’autres bailleurs de fonds et 58,6 milliards de sources nationales. Le déficit de financement est estimé à 24,4 milliards de dollars. Au moment de la rédaction du présent article, les promesses de dons s’élèvent à 15 668,98 US. Il semble peu probable que l’objectif soit atteint: alors que représente ce chiffre?
Le contexte à la fin de l’année 2022 est celui d’une économie mondiale chancelante et d’un paysage politique en mutation. Par exemple, la Suède a joué un rôle de premier plan dans la mise en place du financement de la lutte contre le VIH et le SIDA. En effet, le siège de la Société internationale du SIDA se trouvait à l’origine à Stockholm. Lors du récent changement de gouvernement, le nouveau Premier ministre a annoncé une réduction de l’aide internationale du pays de 7,3 milliards de couronnes (673 millions de dollars) en 2023, et de 2,2 milliards de couronnes supplémentaires en 2024. Il s’agit là d’une réduction de 15 % par rapport à ce qui avait été prévu. L’objectif de consacrer 1 % du revenu national brut à l’aide publique au développement (APD) a été abandonné et la Suède, huitième plus grand contributeur à l’aide internationale en valeur absolue, va rétrograder de manière spectaculaire.
Heureusement, le plus grand bailleur mondial, les Etats-Unis, a en fait augmenté son financement international de 35,182 millions de dollars à 40,485 millions de dollars. Toutefois, cela dépend de la situation politique au Congrès, et des résultats de la prochaine élection présidentielle. En outre, les États-Unis se sont engagés à soutenir l’Ukraine. En novembre 2022, une aide supplémentaire de 4,5 milliards de dollars a été annoncée. Les États-Unis ont engagé 13 milliards de dollars d’aide au gouvernement ukrainien depuis février 2022. Les ressources ne sont pas infinies et il faudra probablement procéder à des arbitrages.
Politique
Je vais utiliser l’exemple de l’Eswatini pour illustrer mon propos. En fait, j’ai grandi au Swaziland, (aujourd’hui Eswatini), dans les années 1960 et 1970. L’excitation était grande lorsque le pays a obtenu son indépendance en 1968. En 1975, j’ai quitté le pays pour poursuivre des études et je n’y ai plus vécu depuis lors. Cependant, ce pays occupe une place spéciale dans mon cœur. J’ai rejoint l’université de Natal en 1983 et j’ai noué de nombreux liens professionnels avec le pays. En 1992, nous avons préparé le premier rapport sur “l’impact socio-économique du SIDA” pour le gouvernement. Par la suite, j’ai travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement à travers la production de nombreux autres rapports et documents.
Au cours de ces dernières années, j’ai constaté que les manifestations et la violence se sont multipliées dans le pays et que la réaction de l’État est de plus en plus violente. Les grèves et les protestations au niveau national sont fréquentes. Les médias nationaux, sud-africains et internationaux en parlent à peine. Un seul média indépendant rapporte la situation depuis l’Afrique du Sud. Il fait état d’une répression croissante (et de plus en plus violente). Le 30 novembre, une attaque sans précédent a été perpétrée contre un camp militaire.
Rappelons qu’il s’agit du pays où le niveau de prévalence du VIH est le plus élevé au monde. En 2019, dernière année pour laquelle il existe des données, les niveaux de prévalence chez les adultes s’élevaient à 27,1 % (le deuxième pays ayant le taux le plus élevé est le Lesotho avec 23,1 %).
L’Eswatini a eu l’une des meilleures ripostes nationales au monde. Le ministère de la santé a mis en place le programme national de lutte contre le SIDA du Swaziland (SNAP) dès le début de l’épidémie. Le SIDA étant considéré comme une crise, le Parlement a créé en 2001 le Conseil national d’intervention d’urgence sur le VIH et le SIDA(NERCHA), un organisme parapublic. Il est chargé d’assurer le leadership de l’intervention d’urgence multisectorielle contre le VIH et le sida en Eswatini. Cette expérience a permis de mettre en place une riposte rapide et éclairée à la COVID, avec le “Rapport sur la situation économique #1—COVID-19” produit le 30 mars 2020 et un plan de relance économique en 2021. Toutefois, ce plan est menacé par la situation politique et économique.
Dans le cadre de nos travaux sur le VIH dans les années 1990 et au début des années 2000, nous nous sommes interrogés sur les liens entre l’épidémie de VIH et la stabilité politique (Whiteside, A., A. de Waal and T. Gebre-Tensae. 2006. ‘AIDS, security and the military in Africa: A sober appraisal’. African Affairs 105 (419): 201–18. And Mattes, R., & Manning, R. (2004). ‘The Impact of HIV/AIDS on Democracy in Southern Africa: What We Know, What We Need to Know and Why?’ In N. Poku, & A. Whiteside (Eds.), The Political Economy of AIDS in Africa (pp. 191-214). La majeure partie de cette étude était purement spéculative, même si nous nous sommes appuyés sur les données de l’Afro-Baromètre. Il a fallu probablement du temps pour que l’impact se développe et puisse être mesuré et analysé. À mon avis, le SIDA contribue à la crise politique.
Et en conclusion
Les problèmes liés aux données ne sont pas nouveaux. Ce qui l’est, c’est le volume accru d’informations et la capacité à les analyser. Malheureusement, cette évolution suscite toujours plus de “bruits” et le tri des informations est complexe. Des organisations telles que Full Fact et Aidspan, doivent être plus nombreuses. Nous devons tous travailler sur la manière de mieux communiquer nos constats, en particulier face aux ” données alternatives”.
La politique sur la pandémie et les ripostes à celle-ci revêtent une importance croissante. L’époque où le SIDA était le principal problème de santé publique est révolue. La réalité montre que les trois maladies, et maintenant la préparation aux pandémies et le renforcement des systèmes de santé, financés par le Fonds mondial, constituent des priorités concurrentes en matière d’allocation des ressources. Elles sont également en concurrence avec d’autres défis sanitaires et les conséquences de la COVID. Quel est le bon équilibre entre prévention et traitement? Quelle est la place du VIH, de la tuberculose et du paludisme dans les priorités des ministères de la santé et des organismes de financement, quelle est la place de la santé dans les priorités gouvernementales? Ces questions ne sont pas nouvelles, mais il est plus urgent que jamais d’y répondre. La nécessité d’un “examen approfondi” de celles-ci s’impose, mais qui en assurera la réalisation et le financement?
Enfin, le célèbre livre d’Alan Paton intitulé Cry, beloved county, publié en 1948, avait pour cadre le Natal. C’est ce que je ressens lorsque je regarde la crise qui se déroule en ce moment au Swaziland. Je suis plein d’admiration pour les travailleurs du gouvernement et des ONG qui se battent pour fournir des services. Ils méritent notre soutien, mais pas le régime kleptocrate. Telle est l’énigme.
* Le Professeur Alan Whiteside, OBE, est membre du Conseil d’administration d’Aidspan.