Le Burkina Faso sous mesure de sauvegarde supplémentaire du Fonds mondial : À qui le tour ?
Author:
Aidspan
Article Type:Article Number: 2
RÉSUMÉ Le secrétariat du Fonds mondial a placé le Burkina Faso sous Politique de Sauvegarde Additionnelle. Sur fond d'inquiétude, Aidspan interroge la pertinence d’une telle décision. Celle-ci est loin de tomber sous le sens. Plus largement, ce bref article souhaite susciter le débat autour des conditions d’application de cette Politique.
Contexte
En décembre 2022, le ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique du Burkina Faso a reçu un message provenant de la Division de gestion des subventions du Fonds mondial lui expliquant que le Fonds mondial a décidé d’invoquer la Politique de Sauvegarde additionnelle (PSA) en ce qui concerne le portefeuille ses investissements et ce, à partir de 2023. Les raisons évoquées par le Fonds mondial pour justifier cette invocation sont étroitement liées au contexte sécuritaire et socio-politique qui prévaut depuis plusieurs mois dans le pays. « L’index risque du Burkina Faso, écrit très précisément le Fonds mondial, a été jugé très élevé et correspondant à la catégorie des pays à Contexte d’Intervention difficile ».
Très concrètement, le Fonds mondial estime que la sauvegarde de ses investissements et la continuité de ses programmes ne sont plus garanties. « Les difficultés d’accès à plusieurs zones du pays affectant la distribution des soins et des produits de santé, les défis liés à la distribution des moustiquaires dans le cadre de la campagne de masse, la fermeture et le fonctionnement à minima de plusieurs formations sanitaires privant ainsi une grande partie de la population de soins de santé » font partie des arguments mobilisés par le Fonds mondial pour justifier sa décision.
Les conséquences de l’invocation de la PSA
Notons que l’invocation de la PSA donne un certain nombre de prérogatives importantes au Fonds mondial. En effet, la lettre adressée au ministre de la Santé stipule que :
« 1. Le Secrétariat du Fonds mondial travaillera avec le Ministère de la Santé et le CCM renouvelé, les Récipiendaires Principaux, les programmes et les Partenaires pour identifier et contractualiser avec les Organisations humanitaires, internationales et locales pertinentes (par le biais de contrat de prestation de services) afin d’assurer la mise en œuvre des activités dans les zones à défis sécuritaires pendant la période restante de mise en œuvre des subventions en cours ; soit jusqu’en fin décembre 2023.
2. Le Secrétariat du Fonds mondial pourra, par l’intermédiaire des Récipiendaires Principaux, explorer et contracter avec des Organisations Humanitaires, Internationales et locales (si possible) en tant que prestataires de services, pour assurer la couverture en soins et produits de santé des personnes déplacées dans les différentes régions du pays.
3. Le Secrétariat du Fonds mondial étudiera la possibilité de passer des contrats, si nécessaire, par l’intermédiaire des Récipiendaires Principaux ; avec des ONG humanitaires et des Agences des Nations Unies du Cluster Logistique ainsi que des entités privées pertinentes, pour soutenir la distribution sécurisée des produits de santé aux populations déplacées ou difficiles à atteindre.
4. Le Secrétariat du Fonds mondial pourra décaisser directement les fonds aux Organisations prestataires de services pour la mise en œuvre des activités ciblées objet des contrats.
5. Le Secrétariat du Fonds mondial décidera d’une approche de sélection du ou des Récipiendaires Principaux pour la période d’allocation 2023-2025 et désignera ou sélectionnera si nécessaire le ou les Récipiendaires Principaux pour la prochaine période de mise en œuvre des subventions. »
Le Secrétariat du Fonds mondial s’est également prononcé sur les conditions que devra remplir le Burkina pour espérer sortir de ce qui ressemble manifestement à une mise sous tutelle. Ces conditions sont les suivantes :
« 1. Un CCM éligible est installé, les nouveaux membres sont pleinement intégrés et les documents de gouvernance sont renouvelés conformément aux recommandations du Fonds mondial et à la politique du CCM du Fonds mondial.
2. La situation sécuritaire dans le pays s’améliore ; l’agent local du Fonds mondial et les Récipiendaires Principaux peuvent se déplacer pour les activités de supervision et d’assurance dans au moins 75 % du territoire national. Le Fonds mondial pourra évaluer les améliorations en matière de sécurité à l’aide d’indicateurs reconnus au niveau international (indice de paix global, UNDSS, etc.).
3. Les transactions financières peuvent être effectuées par l’intermédiaire d’institutions financières ou de paiements électroniques sur au moins 80 % du territoire national.
4. L’assurance que les risques actuels (programmatique, gestion des produits de santé, financier, gouvernance) ont été atténués de manière adéquate suite à l’évaluation et à l’appréciation du Secrétariat du Fonds mondial. »
Quelques questions autour des mesures de sauvegarde additionnelle
S’il est vrai que les raisons évoquées par le Fonds mondial pour placer le Burkina Faso sous le régime de la Politique de Sauvegarde Additionnelle ne sont pas dénuées de pertinence, il n’en demeure pas moins que ladite pertinence n’évacue pas pour autant toutes les questions et inquiétudes qui accompagnent inéluctablement une telle décision.
Pour lever l’application de la Politique de Sauvegarde Additionnelle, le Secrétariat pose comme condition, disions-nous plus haut, la capacité pour le Burkina de garantir la sécurité sur au moins 75% de son territoire. Cette condition interroge à plus d’un titre. En effet, il est loisible de constater que la guerre, l’instabilité politique ou l’insécurité généralisée sévissent actuellement dans de nombreux pays qui font actuellement le cœur de l’actualité. Sont-ils pour autant sous mesures de sauvegarde additionnelle ? Faut-il rappeler ici que d’après les audits du Bureau de l’Inspecteur Général (Voir les investigations du Fonds au Nigéria, en République Démocratique du Congo, au Soudan), de nombreux partenariats contractés par le Secrétariat du Fonds mondial dans les pays sous sauvegarde additionnelle ont eu des effets très mitigés ?
Aussi, notons que cette Politique est généralement invoquée à la suite de problèmes de malversations. Or, jusqu’à présent, une telle accusation n’a été portée sur un récipiendaire principal ou secondaire du Burkina Faso. Doit-on dès lors considérer la décision du Fonds mondial comme un précédent qui en appelle d’autres? Le Burkina serait-il un cas si spécifique au point de susciter une application atypique de la PSA? Le Burkina Faso parviendra-t-il à s’émancipera des mesures de sauvegarde additionnelle ? Cette question est loin d’être anodine. Ce d’autant plus que peu de pays africains parviennent à révoquer la PSA une fois que celle-ci est invoquée. À titre d’exemple, cette politique est en vigueur depuis 2003 au Soudan du Sud (qui faisait alors partie du Soudan), 2011 en Mauritanie, 2012 en Guinée, 2016 au Nigeria et au Tchad.
Quels sont les effets de cette mesure sur la réputation du Fonds mondial ?
En 2020, des membres de la société civile nigériane ont publié des articles extrêmement critiques à propos de cette Politique. À ce sujet, Aidspan a donné la parole à un membre de la société civile il y a quelques mois. Plus récemment, des membres de la société civile mauritanienne ont écrit une lettre à certains partenaires et responsables du Fonds mondial afin de dénoncer la mise en œuvre de la PSA actuellement en vigueur dans leur pays. Cette politique, disaient-ils alors en pointant un doigt accusateur vers le Fonds mondial, ne tenait pas compte des intérêts des populations clés. (Aidspan a pu consulter la lettre). Pour le Fonds mondial qui se targue de faire avancer les droits et la représentation des populations clés, ces accusations sont malvenues.
À qui profite réellement cette Politique de Sauvegarde Additionnelle ? Jusqu’à quand le Conseil d’administration du Fonds mondial pourra-t-il continuer à ignorer les plaintes et récriminations des pays africains sous Politique de Sauvegarde Additionnelle ? Le Fonds mondial est peut-être convaincu d’être en tout point de vue sur la bonne voie. Mais comme dit le proverbe : « L’enfer est quelques fois pavé de bonnes intentions ». N’est-il pas temps pour le Fonds mondial de procéder à une sorte d’aggiornamento sur la question ? N’est-il pas temps de revoir de fond en comble cette Politique ? (À quelles conditions faut-il l’appliquer? Pour quelle durée ? Quand et comment abroger son application dans un contexte donné ? etc.).
Une telle mise à jour ne serait-elle pas une excellente façon de gérer les risques réputationnels que cette Politique fait courir au Fonds mondial ? Osons ouvrir le débat.
NB : L’article a été mis à jour avec les informations additionnelles reçues.