REDÉFINIR LA RIPOSTE MONDIALE AU SIDA
Author:
Alan Whiteside
Article Type:Article Number: 7
Des événements mondiaux importants nous obligent à reconsidérer le "statu quo".
RÉSUMÉ Alan Whiteside se penche sur la façon dont les événements mondiaux sont non seulement étroitement liés, mais ont un effet multiplicateur, et sur les implications de l’intégration de ces réalités dans l’évolution de notre riposte mondiale au SIDA.
Un proverbe, dont la première mention remonte au 13e siècle, nous rappelle que tout est interconnecté. Il décrit comment un fer à cheval est perdu parce qu’il n’y a pas de clou: cela signifie qu’un message capital n’est pas communiqué et, par conséquent, une bataille, puis le royaume, sont perdus. Il existe actuellement de grands événements mondiaux qui auront un impact significatif sur la riposte au VIH/sida et par conséquent sur le nombre de nouvelles infections et de décès. Certains de ces événements majeurs ainsi que leurs conséquences, sont décrits ci-après.
Pour les personnes vivant au Royaume-Uni, les dix derniers jours, entre le 8 et le 19 septembre, sont passés dans un tourbillon. Le jeudi 8, la mort de la Reine a été annoncée. Les funérailles nationales ont eu lieu le lundi 19, et pendant les dix jours qui se sont écoulés entre l’annonce et les funérailles, la vie et les activités normales ont été suspendues. Sur le plan politique, quelques jours auparavant, Boris Johnson avait rendu visite à la Reine, dans sa résidence de Balmoral, en Écosse, pour présenter officiellement sa démission. La nouvelle Première ministre, Liz Truss, était là quelques heures plus tard pour obtenir la bénédiction de la reine pour la formation d’un nouveau gouvernement. Je commence par ces événements car ils ont fortement marqué le gouvernement britannique et entraîné une interruption du processus décisionnel qui a dépassé le simple cadre du Royaume-Uni. En outre, ils ont attiré toute l’attention des médias du monde entier sur les événements de Londres. J’avoue m’être également plongé dans cette actualité. Personne ne fait de l’apparat comme les Britanniques, et les uniformes immaculés et les défilés soignés étaient en effet spectaculaires.
Cet événement mondial n’était pas le seul à attirer les projecteurs des médias. La guerre en Ukraine, qui a commencé avec l’invasion de la Russie le 24 février 2022, se poursuit. Au départ, il semblait inévitable que la Russie gagne. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le vent a tourné et les forces ukrainiennes gagnent du terrain. Le coût de cette guerre est immense et l’Ukraine n’aurait pas pu y parvenir sans l’énorme soutien financier et matériel de ses alliés occidentaux.
Selon Statista, entre le 24 janvier et le 3 août 2022, les États-Unis ont engagé 10,32 milliards d’euros en aide financière, 9,21 milliards d’euros en aide humanitaire et 25 milliards d’euros en aide militaire, soit un total de 44,53 milliards d’euros. Les institutions de l’Union européenne ont donné 16,24 milliards d’euros au cours de la même période et pour les mêmes catégories d’aide. Bien que ces contributions éclipsent toutes les autres par ordre d’importance, 36 pays ont apporté un soutien bilatéral. Pour rappel, le Fonds mondial recherchait 18 milliards de dollars pour sa septième reconstitution. Personne, sauf peut-être la Russie, n’a budgétisé une guerre et la source est donc en train de tarir.
Au Pakistan, les inondations qui ont commencé à la fin du mois d’août se sont poursuivies. De vastes étendues du pays sont toujours sous les eaux. À ce jour, le nombre de morts est fort heureusement faible, mais plus de 1,14 million de maisons ont été endommagées et beaucoup ont été détruites. On estime que 7,6 millions de personnes ont été déplacées et que 575 000 se trouvent dans des camps de secours. Cette situation a eu un impact énorme sur la production agricole, dont le prix a augmenté de près de 80 % depuis janvier 2022. En septembre, le Japon et Porto Rico ont été dévastés par des tempêtes tropicales. Le rythme des changements climatiques s’accélère.
Au niveau mondial, nous constatons une importante inflation. Aux États-Unis, le taux est estimé à 8,3%, au Royaume-Uni à 9,9% et aux Pays-Bas à 12%. L’Afrique du Sud, le pays qui compte le plus grand nombre de personnes vivant avec le VIH au monde, affiche un taux de 7,8 %. L’inflation a le double effet d’augmenter les prix et de réduire la valeur de l’argent donné ou dépensé, ce qui exerce une pression sur les ministères des finances et/ou les trésors publics. On assiste à une crise mondiale du coût de la vie. L’un des slogans de la campagne de Bill Clinton en 1992 était “c’est l’économie, idiot”. Ce slogan pourrait être modifié en “c’est l’économie nationale, idiot”.
Et l’une des récentes enveloppes financières du Royaume-Uni dotait le pays d’un budget qui mettait encore plus de pression sur les emprunts extérieurs et, en conséquence, la livre sterling est presque à parité avec le dollar américain pour la première fois dans l’histoire fiscale.
Le catalogue des événements peut, à première vue, n’avoir pas grand-chose à voir avec le VIH/SIDA. Il ne faut cependant pas oublier que les budgets des gouvernements sont sous pression partout dans le monde et que nous avons déjà assisté à des baisses significatives de l’aide publique au développement (APD).
Le Programme alimentaire mondial (PAM) décrit 2022 comme une année de faim sans précédent. Le nombre de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë est passé de 135 millions à 345 millions depuis 2019. Dans le même temps, « alors que les besoins sont très élevés, les ressources ont touché le fond ». Le PAM a besoin de 24 milliards de dollars pour atteindre 153 millions de personnes en 2022. Cependant, alors que l’économie mondiale vacille à cause de la pandémie de COVID-19, l’écart entre les besoins et les financements est plus important que jamais. Les inondations au Pakistan ont détruit des centaines de kilomètres carrés de cultures. La guerre en Ukraine a réduit les récoltes de céréales et rendu leur transport de plus en plus difficile.
Et puis, évidemment, il y a l’autre pandémie, la COVID-19. Bizarrement, selon un Rapport de Reuters du 14 septembre 2022, le patron de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) aurait déclaré « la fin est imminente » en parlant de la pandémie aux journalistes lors d’une conférence de presse virtuelle. L’urgence médicale immédiate est peut-être en train de toucher à sa fin, mais les conséquences des années perdues en termes d’éducation et de production, le traumatisme des confinements et l’augmentation de la violence sexiste dureront des années.
Tel est donc le contexte dans lequel s’est déroulée la dernière reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Il est difficile d’être optimiste quand on constate que le troisième plus grand contributeur du Fonds, le Royaume-Uni, ne s’est pas engagé, se contentant d’une vague promesse de le faire à une date ultérieure. Ce dont nous avons besoin, c’est de dépasser l’optimisme exubérant, mais illusoire, des agences sur lesquelles nous comptons pour diriger la riposte à la pandémie du VIH et du SIDA, pour passer à un nouveau réalisme. Nous avons certes besoin de nouveaux engagements, mais nous devons également chercher des moyens de mieux utiliser les ressources dont nous disposons. Cette question a été abordée dans un récent article du BMJ sur les approches visant à améliorer l’efficacité des investissements dans les programmes de lutte contre le VIH.
Dans le prochain article de cette série, j’examinerai ce que ces événements impliquent pour les principaux acteurs du domaine, et notamment le Fonds mondial, le Fonds d’urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le SIDA (PEPFAR) et le Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA). Il existe toutefois une lueur d’espoir. La plus grande partie de l’APD pour la santé provient des États-Unis, tant sur le plan bilatéral que multilatéral. Le dollar américain ayant atteint son plus haut niveau depuis de nombreuses années, cette aide est donc plus substantielle.