INTÉGRATION, VOUS AVEZ DIT INTÉGRATION ? MAIS DE QUOI PARLE T-ON EXACTEMENT ?
Author:
Christelle Boulanger
Article Type:Article Number: 4
RÉSUMÉ L’intégration des services pour une offre de soins centrée sur le patient est un concept multiforme qui se décline de plusieurs manières. Offre de soins disponible dans un même lieu, parcours de soins fluide à tous les niveaux de la pyramide sanitaire, services complémentaires offerts par différents ministères, les options sont multiples. Mais pour parvenir à ce schéma de prise en charge, des prérequis sont indispensables en matière de gouvernance, de solidité des piliers tels que la chaîne d’approvisionnement et en matière de planification et de coordination. Cet article revient sur ces éléments et donne des pistes pour que les requêtes de financement intègrent ces activités, en particulier dans la dimension de renforcement du système de santé.
Introduction
Les derniers documents produits par le Fonds mondial de lutte contre la tuberculose, sida et paludisme dans le cadre de l’élaboration des requêtes de financement pour le soutien au système de santé résilient et pérenne font tous la part belle à la question des soins intégrés. Qu’ils s’agisse de la note technique sur le coût-efficacité des interventions, la note d’information sur l’établissement des systèmes résistants et pérennes pour la santé, ou enfin la note d’information technique sur l’appui stratégique aux interventions en faveur de la santé reproductive, maternelle, néonatale, infantile et adolescente (SRMNIA), toutes citent l’intégration des soins comme l’une des activités prioritaires pour le Fonds mondial.
Dans un contexte de recherche d’impact maximal pour un coût le plus faible possible, l’intégration des services liés aux trois maladies, qui permettrait la mutualisation des ressources (équipements, ressources humaines) apparaît comme une bonne idée. Le soutien aux plateformes intégrées offrant des services dans le domaine de la santé maternelle, néonatale et infantile est un autre axe prioritaire du Fonds mondial. Enfin, les notes conceptuelles destinées à soutenir le renforcement du système de santé peuvent contenir des éléments qui contribueront à préparer les piliers du système à la mise en place de services de soins intégrés, notamment en matière de systèmes d’informations sanitaires ou encore dans la gestion des ressources humaines et de la chaîne d’approvisionnement.
Cet article vise à rappeler la définition d’un concept assez large : celui des soins intégrés, et de rappeler les grands principes pour la mise en place graduelle et cohérente de soins intégrés.
Définition du concept de soins intégrés
Les soins intégrés ne sont pas un concept nouveau, mais les discussions sont relancées par le consensus croissant que les objectifs du développement durable et la couverture universelle santé ne seront pas atteints sans des approches plus horizontales et des systèmes de santé plus solides. Les soins intégrés prennent de nombreuses formes différentes et restent difficiles à définir, car ils ont une signification différente dans chaque contexte. D’une manière générale, les soins intégrés sont axés sur le patient, non seulement en tant que bénéficiaire, mais aussi en tant que coproducteur et intégrateur de ses propres services de santé. Ses principaux objectifs sont les suivants :
- améliorer la couverture effective en services de santé de bonne qualité ;
- améliorer l’efficacité des services de santé, en contribuant une amélioration observables des principaux indicateurs de santé ;
- rendre les services accessibles, acceptables et abordables pour la population ;
- et assurer la continuité des soins et fournir une gamme de services de santé complets grâce à un système d’orientation fonctionnel. Contrairement aux programmes spécifiques à une maladie, les soins intégrés favorisent une approche globale pour traiter les problèmes de santé en investissant dans le renforcement des services de santé existants sur le long terme.
Les différentes formes d’intégration des services
Les services intégrés ne signifient pas que tout doit être aligné car il existe de nombreuses formules permettant un continuum de soins. En d’autres termes, on cherche à ce que les services soient organisés de manière à qu’ils ne soient pas disjoints et qu’ils soient faciles à comprendre et pratiquer pour l’utilisateur. Cela signifie aussi qu’il faut des conditions préalables quant à la solidité du système de gestion (par exemple, systèmes d’achat et de chaîne d’approvisionnement, systèmes d’informations sanitaires, systèmes de gestion financière, etc.) en place pour favoriser l’intégration et optimiser les ressources. L’intégration peut prendre diverses formes :
- Paquets d’interventions intégrées : c’est le cas des paquets à destination des enfants, des jeunes ou des femmes enceintes : prise en charge intégrée des maladies infantiles
(PCIME), gestion intégrée de la grossesse et de l’accouchement (IMPAC), gestion intégrée des maladies de l’adolescent et de l’adulte (IMAI). L’objectif de cette forme d’intégration est de permettre aux individus d’un groupe cible potentiellement vulnérable de bénéficier de toutes les interventions appropriées.
- Les “services de santé intégrés” peuvent se référer à des points de prestation de services polyvalents : une gamme de services pour une population de bassin est fournie en un seul lieu et sous la direction d’un seul responsable. Citons par exemple les cliniques, les centres de santé polyvalents et l’hôpital avec la gestion de tous ces services regroupés sous un seul responsable. Le principal avantage pour le patient réside dans la possibilité de recevoir des soins coordonnés, plutôt que d’avoir des visites distinctes pour des interventions distinctes.
- L’intégration peut également se référer à l’intégration verticale de différents niveaux de service, par exemple, les hôpitaux de district, les centres de santé et les postes de santé. Dans cette forme de services de santé intégrés, le directeur général est responsable d’un réseau d’installations et de services de santé. Par exemple, un médecin chef de district supervise le travail des responsables des différentes formations sanitaires. Du point de vue du patient, une caractéristique essentielle de ce type de service de santé intégré est une procédure efficace pour les références entre les différents niveaux du système et entre les prestataires de soins publics et privés.
- Enfin, l’intégration peut signifier travailler dans plusieurs secteurs. Elle se produit lorsqu’il existe des mécanismes institutionnalisés pour permettre la mise en place de services intersectoriels. Cette recette est déjà appliquée dans la coordination des services sociaux et de santé, par exemple pour les soins de longue durée aux personnes âgées, ou avec les services d’éducation pour développer des campagnes efficaces de promotion de la santé dans les écoles, par exemple.
On voit bien que le concept d’intégration des services recouvre des réalités très diverses, et que le point commun réside dans une approche centrée sur le patient, pour faciliter son parcours de soins et la réponse à des besoins qui sont multiples. Dans le cadre des financements du Fonds mondial, les actions visant à offrir des soins intégrés sont encouragées, et l’on identifie déjà les potentiels d’intégration les plus évidents : soins de santé maternels et infantile dans lesquels sont offerts le dépistage du VIH et de la syphilis, activités d’immunisation permettant de mettre les enfants nés de mères séropositives sous traitement préventif et de diagnostiquer la TB pédiatrique, utilisation combinée des laboratoires et des équipements (notamment les GenExpert) pour le dépistage du VIH/TB et la mesure de la charge virale, distribution de moustiquaires durant la vaccination ou encore la mise en place de supervisions intégrées.
Il s’agit d’une application au niveau primaire du concept de soins intégrés, mais pour que cela fonctionne, il est nécessaire que tous les éléments du système soient pensés dans une vision d’alignement.
Défis de l’alignement
Source : présentation du Fonds mondial, février 2020.
Ce schéma illustre le besoin de créer un environnement favorable nécessaire à la mise en place de services de soins intégrés. Sans une gouvernance satisfaisante, qui repose sur des plans stratégiques holistiques et coordonnés de manière cohérente, il est difficile d’imaginer des plateformes de services intégrés. De même, les piliers habituels du système (chaîne d’approvisionnement, système d’informations sanitaires, laboratoires, ressources humaines en santé) doivent pouvoir soutenir cet effort d’alignement, et abandonner la gestion en silo par programme au profit d’une vision intégrée. Ce sont des prérequis très ambitieux qui requièrent d’une part un alignement des stratégies au travers de plans d’action intégrés, des espaces d’échanges entre les différents programmes et les directions techniques, et d’autre part des systèmes transversaux suffisamment robustes pour répondre à l’ensemble des besoins.
Face à ces objectifs très ambitieux, l’OMS recommande de planifier, de manière très graduelle, l’évolution vers les soins intégrés, dans une démarche analytique suivant le schéma présenté ci-dessous :
Source : note technique sur l’intégration des services, OMS, 2020.
Phase 1 : planification parallèle spécifique par maladie
Les programmes verticaux, ou spécifiques maladie, se traduisent souvent par une duplication des efforts, une prestation de services de santé non coordonnée, des inefficacités et une fragmentation du système de santé. C’est la réalité de nombreux pays, en particulier des pays à faible et moyen revenu, où les programmes verticaux financés par les bailleurs extérieurs ont entraîné un engagement insuffisant des ministères dans leur ensemble, et des populations visées, dans la planification et la mise en œuvre des activités.
Phase 2 : identification des synergies à tous les niveaux du système de santé
Les expériences existantes suggèrent que des synergies appropriées entre le VIH, la tuberculose, la santé mentale et certaines maladies transmissibles au niveau de la gouvernance, du financement de la santé, de la gestion des systèmes et de la prestation de services peuvent améliorer l’efficacité et les résultats sanitaires en encourageant un certain degré d’intégration entre les programmes verticaux existants.
En effet, il existe de nombreuses activités transversales entre le VIH, la tuberculose, le paludisme et d’autres maladies transmissibles qui peuvent être planifiées et exécutées en parfaite coordination, y compris, par exemple : le renforcement des capacités des personnels de santé, les partenariats public-privé, la sensibilisation des communautés, la communication, les activités de recherche et le suivi des patients et la supervision des activités au niveau primaire. De même, il est également possible d’identifier des activités transversales liées à la gestion des systèmes de santé pour l’alignement fonctionnel des systèmes, y compris la gestion des achats et de la chaîne d’approvisionnement, les systèmes d’informations sanitaires, les ressources humaines en santé, et les systèmes de laboratoire, pour exemple.
Phase 3 : intégration des maladies dans une plateforme de services de soins de santé primaire
L’intégration des maladies, y compris le VIH, la tuberculose et le paludisme, dans les soins de santé primaires, constitue une étape essentielle vers des services de santé intégrés centrés sur les personnes. Il existe une relation essentielle entre les programmes de contrôle des maladies et les soins de santé primaire. Le traitement et la prévention des maladies se font souvent au niveau des soins primaires et, lorsque les services ne sont pas fournis directement, les soins de santé primaires servent de centre de coordination pour les soins secondaires et tertiaires spécialisés. Il existe divers arguments logiques en faveur de l’intégration du VIH, de la tuberculose et du paludisme dans les services de soins de santé primaire[ih1] . À titre d’exemple, l’intégration favorise l’accès aux soins, favorise un meilleur diagnostic du VIH, de la tuberculose et des co-infections VIH/tuberculose, permet la prévention du paludisme chez les femmes enceintes et facilite l’amélioration de la qualité des soins. Il existe de solides arguments en faveur de la fourniture de soins conjoints pour le VIH et la tuberculose, et il existe également des liens étroits entre la santé sexuelle et génésique (SSR) et le VIH ainsi qu’entre la nutrition et le VIH et la TB.
Phase 4 : services de santé intégrés centrés sur le patient
Dans cette perspective, les fonctions clés (c’est-à-dire la gouvernance, le financement de la santé et les systèmes de gestion de la santé, y compris les ressources humaines, les médicaments essentiels et les systèmes de données) sont coordonnées et soutiennent la prestation de services de santé qui répondent aux besoins et aux préférences des patients. Contrairement à la programmation verticale, les approches intégrées sont axées sur la coordination, l’engagement et l’autonomisation des personnes et des communautés.
Source : note technique sur l’intégration des services, OMS, 2020.
Conclusion
Le Fonds mondial invite les pays à se tourner petit à petit vers une approche des soins intégrés, qui réponde au mieux aux besoins des patients. Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans les pays de la sous-région d’AOC, avec la production de plans stratégiques intégrés, la création de plateformes de renforcement du système de santé, ou encore de systèmes d’informations sanitaires multi maladies. Le chemin à parcourir est encore long, depuis une véritable complémentarité et un dialogue entre les programmes verticaux a sein du Ministère de la santé et de la part des bailleurs internationaux de la santé, qui doivent coordonner leurs efforts et leurs politiques de financement, à la recherche d’une gouvernance du ministère de la santé qui permette le décloisonnement actuel. Les financements pour des systèmes résilients et pérennes pour la santé du Fonds mondial sont une réelle opportunité pour entrer dans ce processus, de même que le rapprochement des programmes de santé y compris la santé maternelle, néonatale et infantile. C’est également dans la mise en œuvre que les directions peinent à mettre en œuvre les activités, d’où le besoin d’un partage des expériences réussies dans les pays où elles ont eu lieu.
[ih1]Soins de sante primaire? Il faut eviter trop d’abbreviation