La conférence 2022 de la Société internationale du SIDA à Montréal: un aperçu personnel
Author:
Alan Whiteside
Article Type:Article Number: 2
Le manque d'engagement du Canada était palpable, mais le véritable problème est l'incertitude concernant le financement de la lutte contre le SIDA.
RÉSUMÉ Le professeur Alan Whiteside, membre du conseil d’administration d'Aidspan, s’exprime au sujet de la conférence internationale sur le SIDA, AIDS 2022, qui s'est tenue à Montréal du 29 juillet au 2 août. Il s'agissait de la première conférence sur le SIDA de l'ère COVID-19 et elle n'était pas sans poser de problèmes, comme en témoignent les personnes absentes pour des raisons de visa.
Le monde du SIDA a réussi à tenir la première conférence de l’ère COVID-19, en partie en présentiel, à Montréal du vendredi 29 juillet au mardi 2 août. En plus de l’événement principal, avec des présentations en plénière, des exposés et affiches axés sur des résumés, il y a eu des pré-conférences, des sessions satellites, des réunions au Village global et dans la zone d’exposition, et évidemment un certain nombre de manifestations.
Les participants à la réunion était moins nombreux qu’à l’époque d’avant la COVID-19. Néanmoins, les programmes étaient complets et des milliers de délégués étaient présents, tous portant des masques, ce qui rendait difficile la reconnaissance des amis et des collègues. La plupart des sessions étaient disponibles en ligne, mais certaines étaient seulement virtuelles. Lors des précédentes réunions, de volumineux livres présentant le programme de la conférence ont été produits, énumérant les sessions et les intervenants. À Montréal, il y avait juste un minuscule livret contenant uniquement la liste des sessions, même si les détails étaient disponibles en ligne. Pour les délégués qui n’avaient pas d’appareils portables, ou qui n’étaient pas toujours en ligne, le choix des sessions nécessitait une planification minutieuse.
Le présent article de synthèse pour le numéro spécial de l’OFM sur la conférence est assez personnel, et je ne peux couvrir que les événements auxquels j’ai assisté. Néanmoins, l’équipe d’Aidspan, composée de deux personnes (nous aurions dû être trois, voir ci-dessous), notre collaborateur Samuel Muniu et moi-même en tant que membre du conseil d’administration, vous fera part de certains des points saillants qui intéressent nos lecteurs.
La COVID est incontournable
La COVID-19 a dominé tant au niveau personnel que programmatique. J’ai eu la malchance d’être infecté, au cours d’un vol intercontinental, quelques semaines avant la réunion, signifiant que ma présence était hypothétique. Heureusement, j’ai ensuite été testé négatif et j’ai récupéré à temps pour pouvoir voyager et assister aux réunions. C’était frappant de voir le nombre important de mes interlocuteurs qui avaient eu la COVID-19 au cours des derniers mois. La pandémie est loin d’être terminée. La conférence pourrait bien être un événement à forte propagation malgré les masques obligatoires. Heureusement, les taux d’hospitalisation et de létalité ont chuté. Il est fort à craindre que le fait de réunir en un même lieu des délégués et des variantes du virus provenant du monde entier ne conduise à l’apparition de nouvelles variantes. Espérons que ce ne soit pas le cas.
La situation scandaleuse concernant les visas a empêché de nombreux acteurs importants de participer à la conférence.
Les pays riches et l’industrie étaient bien représentés. De nombreux délégués des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (PRITI) manquaient à l’appel. Les raisons de cette situation sont abordées dans nos deux derniers articles de l’Observatoire du Fonds mondial (OFM): dans l’OFM 131 Les populations clés, les communautés et la société civile font face à des obstacles pour assister aux réunions internationales et l’OFM 132, les voix de ceux qui n’ont pas pu obtenir de visa et la réponse des organisateurs de la conférence de l’IAS.
Et ce ne sont pas seulement la société civile, les communautés et les populations les plus vulnérables des PRITI qui se sont vu refuser des bourses et des visas, mais aussi d’autres personnes qui pouvaient plus facilement prouver leur solvabilité économique, comme la Directrice exécutive d’Aidspan, Ida Hakizinka, qui n’a pas obtenu son visa à temps. Voir également https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/montreal-aids-conference-2022-visa-problems-1.6536449.
En outre, le ministre canadien du développement international, Harjit Sajan, a annulé sa participation à la réunion. Cette décision était sage du point de vue politique, car il aurait été confronté à des protestations et à des chahuts s’il avait participé. Cela a renforcé les messages sur le manque d’engagement du Canada dans la lutte contre la pandémie du SIDA. C’est un commentaire désolant compte tenu des conférences précédentes car l’une des premières réunions internationales sur le SIDA s’est tenue à Montréal en 1989; elle a été suivie par celle de Vancouver en 1996 où le développement d’un traitement efficace a été annoncé; et la réunion de 2006 à Toronto a marqué l’intensification du traitement. Je note, en passant, que le Premier ministre de l’époque, Stephen Harper, avait décidé de ne pas assister à la conférence de 2006. Il était membre du Parti conservateur du Canada, ce n’est donc pas surprenant. Toutefois, l’enthousiasme des hôtes et la présence de Stephen Lewis avaient compensé cette absence.
Le message économique
Je suis arrivé à Montréal quelques jours avant la conférence principale pour assister à la pré-conférence du Réseau international pour l’économie du SIDA (International AIDS Economics Network (IAEN)). Cette réunion d’économistes a lieu avant les rencontres de l’IAS depuis 2000. Le site Internet de l’IAEN est www.iaen.org et les présentations auxquelles il est fait référence seront bientôt mises en ligne. Le message clé de l’IAEN est que l’analyse économique se poursuit et est de plus en plus sophistiquée. Les participants à la réunion ont discuté de la prise de décision par les gouvernements, de l’impact de la COVID sur le financement et de la programmation à long terme dans le domaine du VIH, des approches innovantes, du calcul des coûts par activité et de l’allocation des ressources en direction des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des utilisateurs de drogues injectables.
Une session a été consacrée aux effets d’entraînement des investissements du Fonds d’urgence du Président des Etats-Unis pour la lutte contre le SIDA (US President’s Emergency Fund for AIDS Relief (PEPFAR)) sur des indicateurs tels que la mortalité, la santé et la situation macro-économique. Il est clair que la COVID-19 a eu un impact dévastateur sur l’allocation, les flux et la programmation des ressources.
La publication du numéro spécial de l’African Journal of AIDS Research, le Sida à l’ère de la COVID, est particulièrement opportune et comprend mon éditorial ainsi qu’un article d’Arlette Campbell White, rédactrice en chef de GFO d’Aidspan. Il est en accès libre et est disponible sur https://www.tandfonline.com/toc/raar20/current avec une version PDF sur https://www.nisc.co.za/media/docs/165901845028.pdf.
Situation effrayante du SIDA due aux événements de ces deux dernières années
Un certain nombre d’institutions ont publié de nouveaux rapports, au premier rang desquels le rapport du Programme commun des Nations Unies sur le SIDA (ONUSIDA), Le rapport 2022 sur le SIDA dans le monde, intitulé de manière lapidaire “En danger“. Pour ceux qui n’ont pas assisté à la conférence et qui préfèrent lire un résumé plutôt que l’intégralité du rapport, nous vous en proposons un résumé dans l’article 4 de ce numéro spécial, ainsi que plusieurs autres articles couvrant les principaux communiqués et messages.
L’argent, et le manque d’argent
Ce sujet m’amène au principal point que j’ai retenu: le financement. Il est clair que la tendance du financement international de la pandémie de SIDA est à la baisse. L’ONUSIDA a noté qu’à la fin de l’année 2021, la somme de 21,4 milliards de dollars était disponible pour la lutte contre le SIDA dans les PRITI, dont 60 % provenaient de sources nationales. Selon les estimations, 29 milliards de dollars seront nécessaires d’ici 2025 pour la riposte contre le SIDA dans les PRITI. Presque en aparté, le rapport note que cela inclut “les pays autrefois considérés comme des pays à revenu élevé”, en d’autres termes, les nations qui ont vu leur PIB se contracter considérablement de manière à changer leur classement. Il convient également de noter que l’objectif international consistant à consacrer 0,7 % du PIB à l’aide publique au développement (APD) ne sera probablement pas atteint et que la baisse du niveau des PIB entraînera une réduction proportionnelle de l’APD.
Un thème récurrent de la réunion était le manque de ressources des bailleurs ainsi que des gouvernements et les paiements directs des citoyens ordinaires. La COVID-19 implique une restriction de tous les budgets. Un point important de l’alphabétisation économique est de comprendre les prévisions de croissance du PIB. A titre d’illustration, la croissance au Royaume Uni était d’un taux anémique de 1,7 % en 2019; en 2020, elle a plongé à -9,4 %. Les données pour 2021 montrent un rebond de 7,5 %, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une croissance à partir d’une base plus faible et qu’il faudra peut-être des années avant de retrouver les niveaux de 2019. Cette tendance s’observe à l’échelle mondiale.
Le Directeur exécutif du Fonds mondial, Peter Sands, s’est montré optimiste quant à la prochaine reconstitution des ressources du Fonds mondial au cours des différentes réunions de la conférence, mais il ne peut que l’être. Le Fonds mondial souhaite des promesses de financement d’au moins 18 milliards de dollars lors de la septième reconstitution qui sera organisée par le président Biden aux États-Unis en septembre.
Malheureusement, alors que le thème était le déficit de ressources financières, peu de documents économiques ont été présentés. En réalité, ceux-ci avaient tendance à se pencher sur le rapport coût-efficacité, c’est-à-dire sur la meilleure façon d’utiliser les fonds existants. Compte tenu de la contraction du financement, il s’agit là d’un jeu à somme nulle. Ce qu’il faut introduire dans la conversation, c’est l’analyse coût-bénéfice: pourquoi il est logique d’allouer advantage de ressources à la santé en général et au VIH en particulier.
Si la COVID-19 n’était pas survenue, nous serions entrain de célébrer des progrès constants dans la lutte contre le SIDA et l’espoir que les chiffres continuent de baisser. Les progrès réalisés ces dernières années sont désormais remis en question et le SIDA devra rivaliser avec de nombreux autres problèmes, de la COVID-19 et d’autres maladies, à la pauvreté et l’inflation. L’avenir sera difficile.
*Le professeur Alan Whiteside, OBE, est professeur émérite à l’Université du KwaZulu-Natal et membre du conseil d’administration d’Aidspan.