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Battez-vous pour ce qui compte ! Et le peuple du Mali en vaut la peine !
OFM Edition 136

Battez-vous pour ce qui compte ! Et le peuple du Mali en vaut la peine !

Author:

Christelle Boulanger

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 4

Le Fonds mondial est confrontƩ Ơ une double exigence Ʃthique : renforcer sa prƩsence dans les pays fragiles tout en sƩcurisant ses investissements.

RƉSUMƉ Le Fonds mondial est un acteur majeur de la santĆ© dans les pays fragiles, ce qui lui donne la responsabilitĆ© d'agir au plus prĆØs des populations in extremis, mĆŖme dans les zones d'instabilitĆ© oĆ¹ seuls les actrices et acteurs humanitaires sont prĆ©sent(e)s. ƀ l'heure oĆ¹ les demandes de financement pour le prochain cycle vont bientĆ“t ĆŖtre Ć©laborĆ©es, il est important de s'interroger sur le modus operandi pour atteindre ces zones instables et de renforcer notre partenariat avec les acteurs humanitaires. Le Mali, qui bĆ©nĆ©ficie de ce partenariat depuis 2021, est un bon exemple dont il faut s'inspirer, notamment en discutant d'autres types de modalitĆ©s de mise en œuvre, plus flexibles et adaptĆ©es aux besoins des populations dans les zones oĆ¹ les services publics ne sont plus disponibles.

ƀ l’occasion de l’ouverture de la ConfĆ©rence de reconstitution des ressources du Fonds mondial Ć  New York, le Dr Bintou Dembele, directrice exĆ©cutive de l’organisation non gouvernementale (ONG) malienne ARCAD SantĆ© Plus, devenue rĆ©cipiendaire principal (RP) pour les activitĆ©s communautaires des subventions VIH et tuberculose au dĆ©but du cycle actuel (2021), est intervenue. Elle a rappelĆ© les dĆ©fis majeurs auxquels est confrontĆ©e la population malienne dans un contexte sĆ©curitaire qui ne cesse de se dĆ©grader depuis plusieurs annĆ©es, et les difficultĆ©s rencontrĆ©es pour continuer Ć  rĆ©pondre aux besoins dans certaines zones du pays. Son plaidoyer s’est rĆ©sumĆ© Ć  quelques mots simples : Ā« N’abandonnez pas le Mali, la population a besoin du Fonds mondial Ā».

Et inversement, le Fonds mondial a besoin que le Mali continue Ć  se lancer des dĆ©fis, pour se rassurer qu’il se bat pour ce qui en vaut la peine. Car si cette puissance mondiale, qui a rĆ©ussi il y a quelques jours Ć  mobiliser plus de 14 milliards de dollars, n’est pas du cĆ“tĆ© des plus vulnĆ©rables dans les pays les plus touchĆ©s par la pauvretĆ©, la guerre et le changement climatique, Ć  quoi sert-elle ?

Le Fonds mondial, un acteur majeur de la santĆ© dans les Ɖtats fragiles

Contrairement aux idĆ©es reƧues, le Fonds mondial n’est plus une organisation qui travaille en marge des contextes humanitaires, focalisĆ©e sur l’Ć©limination des maladies et saupoudrant quelques dollars sur le systĆØme de santĆ©. Il est vrai que les acteurs humanitaires ne se tournent pas instinctivement vers le Fonds mondial, habituĆ©s qu’ils sont Ć  traiter avec ECHO, les canaux de financement d’urgence de certains donateurs ou des Nations Unies, ou Ć  mobiliser la gĆ©nĆ©rositĆ© du public par des appels aux dons pour des urgences spĆ©cifiques. En effet, ces donateurs appliquent des mĆ©canismes simplifiĆ©s de mobilisation des ressources, et les demandes de fonds sont faites sur la base d’enquĆŖtes rapides et d’Ć©valuations des besoins immĆ©diats, plutĆ“t que sur la base de programmes pluriannuels, comme ECHO le nĆ©gocie annuellement avec les acteurs humanitaires.

Cependant, ce systĆØme prĆ©sente une faiblesse majeure : l’appel aux dons se fait sur une base annuelle, et du fait des crises et de la lassitude face aux crises rĆ©currentes ou durables, les acteurs humanitaires peinent actuellement Ć  mobiliser des fonds.

Le tableau ci-dessous montre les dĆ©ficits de financement par pays. ƀ l’exception de la RĆ©publique centrafricaine, aucun pays ne reƧoit plus de 45 % de ses besoins pour faire face Ć  la crise humanitaire qu’il traverse.

Tableau 1. Financement d’urgence en Afrique Centrale et de l’Ouest, Bureau de la coordination des affaires humanitaires : situation au 3 octobre 2022.

Dans de nombreux Ɖtats fragiles, oĆ¹ la fatigue des donateurs dans le secteur de l’urgence se fait sentir, le Fonds mondial est prĆ©sent avec des enveloppes importantes et croissantes, dĆ©montrant un engagement d’une rare constance, qui doit ĆŖtre cĆ©lĆ©brĆ©.

Prenons l’exemple du Mali : OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, s’inquiĆØte de la dĆ©saffection des donateurs, qui entraĆ®ne des lacunes croissantes dans la rĆ©ponse aux besoins. La tendance est claire depuis sept ans, les besoins ne sont jamais financĆ©s au-delĆ  de 54%, avec des annĆ©es sombres peu financĆ©es comme 2015 ou 2021.

Figure 1. Ɖvolution du financement humanitaire au Mali, 2015 Ơ 2022

Au Mali, le fossĆ© Ć  combler se creuse d’annĆ©e en annĆ©e, et le graphique ci-dessus montre que les besoins ne sont jamais financĆ©s Ć  plus de la moitiĆ©. Si l’on s’intĆ©resse aux secteurs sous-financĆ©s, on constate que la santĆ© est en mauvaise posture, avec seulement 15% des besoins estimĆ©s effectivement financĆ©s.

Figure 2. Financement humanitaire par groupe de pays en 2021

En revanche, le Fonds mondial continue de soutenir ces pays en augmentant ses allocations, comme le montre le cas du Mali.

Figure 3. Allocations du Fonds mondial au Mali, cycles de financement 2017/19 et 2021/23

Allocation 2017-2019 Allocation 2021-2023

GrĆ¢ce Ć  sa planification triennale, il donne de la visibilitĆ© aux acteurs qui mettent en œuvre des interventions financĆ©es par le Fonds mondial. Les six ONG humanitaires qui ont signĆ© un accord avec le Fonds mondial pour Ć©tendre leur offre de services aux trois maladies dans les rĆ©gions du centre et du nord du Mali s’accordent toutes sur l’opportunitĆ© que reprĆ©sente ce partenariat.

D’une part, elles ajoutent les trois pandĆ©mies Ć  leur paquet minimum de soins de santĆ© primaires et de soins de santĆ© maternelle et infantile. Cela reprĆ©sente une valeur ajoutĆ©e pour elles, car la plupart ne connaissait pas le VIH,Ā la tuberculose et mĆŖme le paludisme. D’autre part, ces ONG ont reconnu que la planification, notamment Ć  l’aide d’outils financiers, reprĆ©sente une nouvelle faƧon de travailler qui demande certes des efforts mais aussi de la rigueur et de la finesse dans la conception et la planification des activitĆ©s.

Enfin, parce que si certaines difficultĆ©s restent Ć  rĆ©soudre, elles ont apprĆ©ciĆ© la flexibilitĆ©, la capacitĆ© d’Ć©coute et d’adaptation de l’Ć©quipe pays du Mali et du Fonds mondial en gĆ©nĆ©ral. Elles espĆØrent que l’expĆ©rience sera renouvelĆ©e, avec quelques amĆ©liorations pour rĆ©pondre aux problĆØmes apparus dans la pratique. Pour ces organisations, le Fonds mondial a sa place dans leur Ć©cosystĆØme et elles sont prĆŖtes Ć  se rapprocher des acteurs soutenus par le Fonds mondial, afin de rendre des comptes Ć  lā€™Instance de coordination nationale du Mali et amĆ©liorer la coordination et les Ć©changes avec le rĆ©cipiendaire principal, ARCAD, auquel elles sont rattachĆ©es.

Le Fonds mondial, un donateur humanitaire en devenir ?

Quelle bonne nouvelle en perspective ! Le Fonds mondial serait un outsider dans le secteur humanitaire, celui qu’on n’a pas vu venir, qui ne participe pas aux clusters de l’ONU, ne tient pas de rĆ©unions avec ECHO ou le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les RĆ©fugiĆ©s, n’a pas de reprĆ©sentation de ces entitĆ©s dans ses organes de gouvernance. Et pourtant, il devient un donateur convoitĆ© et en expansion : pour l’instant, le Fonds mondial finance le paquet des trois maladies et certaines activitĆ©s de lutte contre les violences basĆ©es sur le genre (notamment la crĆ©ation de deux guichets uniques supplĆ©mentaires au Mali pour accueillir les survivantes de violences sexuelles). Dans le cadre d’un investissement de plus en plus intĆ©grĆ© et centrĆ© sur le patient, il est possible que les activitĆ©s financent Ć  lā€™avenir la santĆ© des femmes en Ć¢ge de procrĆ©er et de leurs nouveau-nĆ©s, et pourquoi pas la nutrition dans des pays oĆ¹ la crise alimentaire est endĆ©mique et oĆ¹ cette derniĆØre reprĆ©sente une crise sanitaire, parfois la plus urgente de toutes.

Au Mali, les derniers acteurs humanitaires constatent la recrudescence de l’insĆ©curitĆ© et s’alarment de l’augmentation des besoins. Selon le ReprĆ©sentant spĆ©cial du SecrĆ©taire gĆ©nĆ©ral pour le Mali, El-Ghassim Wane, plus de 1,8 million de personnes au Mali devraient avoir un besoin immĆ©diat d’aide alimentaire d’ici la fin de l’annĆ©e, soit le niveau le plus Ć©levĆ© enregistrĆ© depuis 2014. Il a Ć©galement rappelĆ© que d’ici 2022, 7,5 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire dans le pays, contre 5,9 millions en 2021 et 3,8 millions en 2017.

Dans ce contexte, le Fonds mondial peut-il rester Ć  la marge ? Bien sĆ»r que non, surtout quand l’institution promet de dĆ©centraliser la gestion des trois maladies – pour un plus grand impact, soutient la structuration de la santĆ© communautaire (notamment dans les zones reculĆ©es)Ā et intĆØgre de plus en plus d’autres questions de santĆ©, notamment la santĆ© reproductive.

Les sceptiques diront que ce n’est pas le mandat du Fonds mondial et que le Fonds ne peut Ć  lui seul rĆ©soudre tous les problĆØmes. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas vrai non plus, car la responsabilitĆ© de sauver des vies et la nouvelle stratĆ©gie – qui promeut une approche centrĆ©e sur le patient – auxquelles est attachĆ© le Fonds mondial indiquent la voie Ć  suivre.

Quelles sont les consƩquences pour le Fonds mondial ?

Cette entrĆ©e prudente mais cruciale dans le domaine humanitaire nĆ©cessite un changement de pratique et, bien sĆ»r, une Ć©volution du cadre de risque. Car les activitĆ©s dans les zones instables sont par nature risquĆ©es, et les donateurs qui financent le secteur humanitaire le savent. En s’engageant dans ce secteur encore peu connu du Fonds mondial, les Ć©quipes entrent dans un secteur qui est lui-mĆŖme traversĆ© par les mĆŖmes questions : comment garantir la transparence dans la gestion des fonds ? Comment mesurer l’impact et la qualitĆ© de l’action humanitaire ? Les ONG qui reƧoivent des fonds publics et privĆ©s sont soumises aux mĆŖmes exigences de responsabilitĆ©, leur relation avec les donateurs est prĆ©cieuse et leur garantit un accĆØs rĆ©gulier aux fonds d’urgence. Elles ne sont donc pas fermĆ©es sur ce sujet, et ont dĆ©veloppĆ© des mesures de contrĆ“le et de bonne gestion qui appliquent les mĆŖmes principes de gestion des risques : audits annuels systĆ©matiques des projets, service de contrĆ“le interne, contrĆ“leurs de gestion dans chaque dĆ©partement gĆ©ographique, comitĆ© des donateurs ; de nombreuses formules sont proposĆ©es pour Ć©viter au maximum la fraude et rendre des comptes aux donateurs publics et privĆ©s.

Si les Ć©quipes nationales du Fonds mondial veulent maintenir un modĆØle de mise en œuvre dans des pays ou des rĆ©gions instables, elles doivent chercher des solutions lĆ  oĆ¹ elles existent, plutĆ“t que d’essayer d’adapter le cadre de risque Ć  un contexte qui ne s’y prĆŖte pas.

En termes de responsabilitĆ© programmatique, des ajustements sont nĆ©cessaires Ć  mesure que la nature des activitĆ©s change. Dans les zones oĆ¹ les services de base ont disparu (santĆ©, Ć©ducation, administration publique), et oĆ¹ les fonctionnaires sont partis faute de salaire et de sĆ©curitĆ©, il n’est plus temps de chercher Ć  renforcer les structures. Il s’agit avant tout de donner accĆØs Ć  un minimum de services dĆ©livrĆ©s “ad hoc” sur la base d’une distribution d’urgence. Les indicateurs sont moins fins que ceux habituellement utilisĆ©s, car la gestion de l’activitĆ© elle-mĆŖme est un dĆ©fi et une rĆ©ussite en soi. Les programmes se concentrent sur le maintien en vie des populations, en fournissant de la nourriture, des mĆ©dicaments essentiels et les services les plus nĆ©cessaires, comme la santĆ© reproductive et la vaccination des enfants. Cela signifie que dans ces rĆ©gions, le Fonds mondial doit adapter ses ambitions et son cadre de performance. Et il travaille au niveau central pour soutenir la dĆ©centralisation des services de santĆ©, notamment par le biais de la santĆ© communautaire.

Si la situation sĆ©curitaire venait Ć  s’amĆ©liorer, le Fonds mondial pourrait encore changer de modalitĆ© et revenir Ć  un autre mode opĆ©ratoire. Mais aujourd’hui, au vu de la dĆ©tĆ©rioration de la situation dans de nombreux Ɖtats fragiles, il n’est plus questionĀ de s’interroger sur la nĆ©cessitĆ© de travailler diffĆ©remment : il est temps de le faire. Ouvrez la discussion sur les procĆ©dures et les approches opĆ©rationnelles, rapprochez les acteurs humanitaires de l’Ć©cosystĆØme du Fonds mondial, tentez de nouvelles expĆ©riences dont nous tirerons collectivement des enseignements (faites l’Ć©loge de l’Ć©chec, ainsi nous apprenons souvent davantage de nos succĆØs), acceptez de faire des erreurs et recommencez. La vie de millions de bĆ©nĆ©ficiaires en dĆ©pend.

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