UNE ENTREVUE AVEC LE FONDATEUR D’AIDSPAN
Author:
Arlette Campbell White
Article Type:Article Number: 6
Le pĆØre fondateur d'Aidspan, Bernard Rivers, considĆØre Aidspan comme "un chien de garde affectueux".
RĆSUMĆ En 2002, Bernard Rivers a crĆ©Ć© Aidspan comme une voix indĆ©pendante qui expliquerait le nouveau Fonds mondial au monde entier et le pousserait Ć faire preuve de transparence et Ć rendre compte des Ć©normes sommes d'argent qu'il manipule. Il dĆ©crit le rĆ“le d'Aidspan comme celui d'un ami affectueux mais exigeant, qui rapporte plus de bonnes choses que de mauvaises.
Introduction
Bernard Rivers est un Ć©conomiste retraitĆ© possĆ©dant la double nationalitĆ© britannique et amĆ©ricaine. Il a grandi au Royaume-Uni, oĆ¹ il a obtenu un diplĆ“me en mathĆ©matiques et en Ć©conomie Ć l’universitĆ© de Cambridge. Depuis 1978, il vit aux Ćtats-Unis, Ć l’exception d’un sĆ©jour de dix ans au Kenya. Avant de fonder Aidspan, Bernard a eu une carriĆØre diversifiĆ©e, mais toujours fondĆ©e sur l’analyse de donnĆ©es et l’activisme politique et social.
Dans cet entretien, Bernard Ć©voque ce qu’il appelle en riant sa “carriĆØre en dents de scie”, et la faƧon dont il a crĆ©Ć© Aidspan et le Global Fund Observer.
A.CĀ : Bernard, au dĆ©but de votre carriĆØre, vous vous ĆŖtes orientĆ© vers le journalisme d’investigation au Royaume-Uni. Sur quel genre de sujets enquĆŖtiez-vous ?
J’ai obtenu mon diplĆ“me universitaire en 1969, au milieu de la montĆ©e des mouvements pour les droits civiques, des protestations contre la guerre du Vietnam et d’une attitude gĆ©nĆ©rale de contre-culture chez les jeunes. Cette toile de fond a toujours eu une influence sur mes choix de vie.
Au cours des quatre annĆ©es suivantes, le jour, j’Ć©tais planificateur Ć©conomique pour British Airways et la nuit, j’Ć©tais un militant, principalement en ce qui concerne la guerre civile de 1971 dans le pays qui est devenu le Bangladesh.
J’ai bien travaillĆ© chez British Airways, mais ce n’Ć©tait pas pour moi une vocation Ć vie. J’ai donc dĆ©missionnĆ© en 1973 pour devenir journaliste d’investigation indĆ©pendant. J’Ć©tais particuliĆØrement intĆ©ressĆ© par les activitĆ©s des entreprises occidentales en Afrique – j’avais passĆ© mon annĆ©e sabbatique au Nigeria.
Ć l’Ć©poque, la politique de sanctions commerciales des Nations unies Ć l’encontre du gouvernement blanc illĆ©gal de la RhodĆ©sie Ć©tait en pleine vigueur ; pourtant, bien que la RhodĆ©sie soit un pays enclavĆ©, elle parvenait Ć obtenir tout le pĆ©trole dont elle avait besoin – personne ne savait comment. AprĆØs quatre ans de recherches, un collĆØgue et moi avons finalement pu prouver, dans une sĆ©rie d’articles parus dans le Sunday Times de Londres, que Shell, British Petroleum et deux autres compagnies pĆ©troliĆØres fournissaient secrĆØtement le pĆ©trole par une chaĆ®ne d’intermĆ©diaires. GrĆ¢ce Ć notre exposĆ©, un membre du personnel du Sunday Times et nous-mĆŖmes avons Ć©tĆ© nommĆ©s conjointement journalistes de l’annĆ©e lors des British Press Awards.
J’ai ensuite effectuĆ© des recherches sur la faƧon dont le pĆ©trole parvenait Ć l’Afrique du Sud sous l’apartheid, en combinant mon militantisme avec mes compĆ©tences Ć©conomiques et analytiques.
A.C Comment ĆŖtes-vous passĆ© de cette activitĆ© au dĆ©veloppement de logiciels ? Cela semble un peu Ć©loignĆ©Ā ?
J’en avais assez d’ĆŖtre un militant dĆ©muni (notamment parce que j’Ć©tais maintenant mari et que j’avais des enfants), et je m’Ć©tais enthousiasmĆ© pour les ordinateurs, que j’avais appris Ć programmer tout en analysant toutes mes donnĆ©es sur le pĆ©trole.
Ć cette Ć©poque, les petites entreprises et les organisations Ć but non lucratif commenƧaient tout juste Ć utiliser les ordinateurs. J’ai trouvĆ© une niche sur le marchĆ© : je me suis rendu compte que les grandes fondations soutenant les organisations Ć but non lucratif avaient besoin d’aide pour suivre leurs donnĆ©es concernant les propositions reƧues et les subventions approuvĆ©es. J’ai donc Ć©crit un programme appelĆ© The Grants Manager et crĆ©Ć© Riverside Software, Inc. Ć New York, que j’ai dirigĆ© de 1990 Ć 1996. Au final, la sociĆ©tĆ© comptait 15 personnes et son logiciel Ć©tait utilisĆ© par plus de 650 fondations amĆ©ricaines et britanniques.
Je considĆØre que cette pĆ©riode de ma vie a Ć©tĆ© comme un saut dans le grand bain sans savoir nager (c’est-Ć -dire comment diriger une entreprise). J’ai donc “appris Ć nager” tout seul. Mais ensuite, j’ai dĆ©couvert qu’il y avait des requins dans l’eau (c’est-Ć -dire des concurrents). La vie est passĆ©e d’une situation amusante Ć une situation moins amusante. En 1996, j’ai donc vendu Riverside Software Ć Blackbaud, le principal fournisseur de logiciels de collecte de fonds pour les ONG. J’ai ensuite travaillĆ© pour Blackbaud en tant que cadre supĆ©rieur. Mais cela ne me convenait pas. J’avais oubliĆ© ce que c’Ć©tait que d’avoir un patron !
A.CĀ : Et comment est nĆ©e l’idĆ©e d’Aidspan ?
Eh bien, je venais d’avoir cinquante ans. J’ai envisagĆ© de prendre une retraite anticipĆ©e, mais je savais que cela me rendrait malheureux. Je me suis donc accordĆ© deux ans pour rĆ©flĆ©chir Ć ce qui me plairaitĀ et qui fairaitĀ uneĀ diffĆ©rence.
Je me suis demandĆ© s’il existait un moyen de combiner mes expĆ©riences antĆ©rieures en matiĆØre de planification, d’activisme, de journalisme, d’Afrique, d’octroi de subventions, de donnĆ©es, d’informatique et d’ĆŖtre mon propre patron – clairement, un objectif bizarre et fou ! Mon intĆ©rĆŖt pour l’Afrique s’Ć©tait rĆ©cemment accru en raison de la gravitĆ© de la situation du sida en Afrique. Alors : pourrais-je utiliser mes compĆ©tences en rapport avec le sida en Afrique ?
En 2001, un service appelĆ© Break the Silence (BTS) a Ć©tĆ© crĆ©Ć© pour permettre Ć des milliers de personnes intĆ©ressĆ©es par le sida dans les pays en dĆ©veloppement de s’Ć©changer des courriels via ce que l’on appelait alors une liste de diffusion, et j’ai commencĆ© Ć suivre les discussions. Les activistes, ainsi que des voix sympathisantes au sein de nombreux gouvernements, affirmaient que les pays riches du monde devaient trouver des milliards de dollars pour lutter contre le sida, mais la maniĆØre de le faire n’Ć©tait pas claire.
Ć cette Ć©poque, Kofi Annan, alors secrĆ©taire gĆ©nĆ©ral des Nations unies, dĆ©fendaitĀ l’idĆ©e d’une organisation commune, plutĆ“t que de multiples agences bilatĆ©rales, par laquelle les fonds pourraient transiter. Fait remarquable, il a dĆ©clarĆ© que cette nouvelle organisation ne devrait pas faire partie de l’ONU, car elle devrait ĆŖtre contrĆ“lĆ©e non seulement par les gouvernements, mais aussi par des reprĆ©sentants des ONG et des entreprises. Ce concept a Ć©tĆ© activement discutĆ© pendant le reste de l’annĆ©e 2001.
C’est ainsi que le Fonds mondial a Ć©tĆ© crĆ©Ć© au dĆ©but de l’annĆ©e 2002, avec des besoins annuels estimĆ©s entre 2 et 3 milliards de dollars. GrĆ¢ce au BTS, j’ai rencontrĆ© Tim France et Gorik Ooms, des professionnels du dĆ©veloppement militants basĆ©s en ThaĆÆlande et au Mozambique. Ensemble, nous avons crĆ©Ć© ce que nous avons appelĆ© le “cadre des contributions Ć©quitables”. Nous avons pris le montant total dont le Fonds mondial avait besoin et l’avons rĆ©parti en fonction de la richesseĀ des diffĆ©rents pays qui, selon nous, pouvaient et devaient “financer le Fonds”. Nous avons publiĆ© notre document en avril 2002 et l’avons fait circuler auprĆØs de 20 000 personnes dans le monde. (Il est rĆ©imprimĆ© dans ce numĆ©ro).
Ć l’Ć©poque, j’Ć©crivais encore sur la liste de diffusion du BTS, mais je pensais qu’il fallait trouver un moyen de fournir des articles plus structurĆ©s et des commentaires sur les questions relatives au Fonds mondial. C’est ainsi qu’au cours du second semestre 2002, j’ai lancĆ© Aidspan et le Global Fund Observer (GFO). Dans les 24 heures qui ont suivi l’annonce de son existence, le GFO comptait 1 000 abonnĆ©s et dans les deux semaines qui ont suivi, il en comptait 2Ā 000.
A.CĀ : Parlez-moi de ces annĆ©es avec Aidspan et de l’aprĆØs-Aidspan.
J’ai dirigĆ© Aidspan de 2002 Ć 2012. L’organisation a commencĆ© Ć New York et j’Ć©tais le seul employĆ©, mais j’ai dĆ©mĆ©nagĆ© au Kenya en 2007. Pendant la premiĆØre annĆ©e environ, j’ai pu financer Aidspan avec mon propre argent. Ainsi, au lieu de dire aux donateurs potentiels “J’ai un rĆŖve qui pourrait marcher”, je pouvais dire “J’ai un rĆŖve et j’ai prouvĆ© qu’il pouvait marcher”. C’Ć©tait un argumentaire plus sĆ©duisant ! Et il a valu Ć Aidspan son premier donateur, l’Open Society Institute, qui m’a invitĆ© Ć soumettre une proposition de financement. L’OSI nous a donnĆ© 50 000 dollars pour commencer. Cela a ouvert la voie Ć d’autres. Au cours des 10 premiĆØres annĆ©es d’Aidspan, j’ai levĆ© prĆØs de 10 millions de dollars et ma “carte de visite” Ć©tait le GFO comme preuve de pertinence.
L’une des principales raisons pour lesquelles le GFO Ć©tait nĆ©cessaire, du moins pendant ces premiĆØres annĆ©es, Ć©tait que le Fonds mondial n’Ć©tait pas trĆØs douĆ© pour se prĆ©senter et expliquer son fonctionnement. Le Fonds utilisait des termes courants mais Ć©vasifs tels que “mobilisation de ressources” (je prĆ©fĆØre le terme plus honnĆŖte “obtenir de l’argent”), ses formulaires de demande de subvention nĆ©cessitaient pratiquement un doctorat pour ĆŖtre compris, et il Ć©tait rarement franc Ć propos de ses erreurs. En consĆ©quence, de nombreuses personnes qui devaient traiter avec le Fonds mondial ont trouvĆ© dans le GFO, avec ses articles amicaux, francs et directs, une vĆ©ritable bouĆ©e de sauvetage.
AprĆØs avoir cĆ©dĆ© la direction d’Aidspan Ć mon successeur en septembre 2012, j’ai occupĆ© jusqu’en 2014 le poste de chercheur invitĆ© Ć l’universitĆ© de Cambridge et de “Senior Fellow” d’Aidspan, ce qui m’a donnĆ© l’occasion de publier quelques articles supplĆ©mentaires sur le Fonds
“Pendant que je dirigeais Aidspan, la loyautĆ© d’Aidspan n’Ć©tait pas envers le Fonds mondial en tant qu’organisation, mais envers les principes sur lesquels le Fonds a Ć©tĆ© fondĆ© et envers les personnes que le Fonds servait. J’avais un profond dĆ©sir de voir le Fonds rĆ©ussir. Mais si j’avais l’impression que le Fonds en tant qu’organisation ne respectait pas ces principes ou ne faisait pas de son mieux pour ces personnes, j’estimais qu’il Ć©tait Ć la fois appropriĆ© et nĆ©cessaire que le GFO le dise. C’est pourquoi, mĆŖme si j’ai souvent vĆ©rifiĆ© auprĆØs du Fonds l’exactitude factuelle de ce que le GFO prĆ©voyait de rapporter, je n’ai jamais demandĆ© l’approbation du Fonds pour un article Ć venir. Ce point Ć©tait clairement indiquĆ© Ć la fin de chaque numĆ©ro du GFO, qui disait, et dit toujours, “Le Conseil d’administration et le personnel du Fonds mondial n’ont aucune influence sur le contenu du GFO ou de toute autre publication d’Aidspan, et n’en portent pas la responsabilitĆ©”. Bernard Rivers, ancien directeur exĆ©cutif d’Aidspan, sur sa vision de l’indĆ©pendance d’Aidspan et de l’Observateur du Fonds mondial. |
mondial. Depuis lors, ma femme et moi avons passĆ© des moments agrĆ©ables Ć faire choses que les grands-parents retraitĆ©s font si souvent.
Note d’Arlette Campbell:
Comme les lecteurs le savent,Ā Aidspan joue le rĆ“le dāobservateur indĆ©pendant du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il cherche Ć surveiller, Ć expliquer et Ć critiquer le Fonds mondial, dans le but d’accroĆ®tre son efficacitĆ© et celle des personnes qui mettent en Åuvre ses subventions. Aujourd’hui, Aidspan est surtout connu pour son bulletin d’information en ligne GFO, qui compte prĆØs de 15 000 abonnĆ©s, pour la plupart des professionnels du dĆ©veloppement, des parties prenantes, des bĆ©nĆ©ficiaires de subventions du Fonds mondial, du personnel et des exĆ©cutants du Fonds mondial, ainsi que des donateurs et des partenaires thĆ©matiques et techniques. Aidspan couvre son budget annuel de plus d’un million de dollars par des subventions de fondations et de gouvernements. Elle n’accepte pas d’argent du Fonds mondial, ne fait pas de travail de consultation rĆ©munĆ©rĆ© et ne facture aucun de ses produits.
La biographie de Bernard se trouve Ć l’adresseĀ http://bernardrivers.com/about/