POURQUOI LA PROCÉDURE DE SÉLECTION D’UN NOUVEAU DIRECTEUR EXÉCUTIF A-T-ELLE ÉCHOUÉ ?
Author:
David Garmaise
Article Type:Article Number: 1
Tout le monde s’accorde à dire que la procédure a été trop précipitée
RÉSUMÉ Pratiquement tous ceux qui ont commenté la procédure de sélection d’un nouveau Directeur exécutif du Fonds mondial s’accordent à dire qu’elle a été trop précipitée. Que disent-ils d’autre ? Dans cet article, nous offrons nos propres observations, celles de parties prenantes qui se sont exprimées publiquement ou ont adressé des commentaires au Conseil d’administration, ainsi que celles de journalistes et d’autres commentateurs.
Comme on pouvait s’y attendre, les avis divergent quant aux raisons pour lesquelles la procédure de sélection du prochain Directeur exécutif du Fonds mondial a échoué. Bon nombre des personnes que nous avons interrogées en vue de cet article – y compris des membres de délégations au Conseil d’administration – se sont montrées réticentes à commenter la question, encore moins publiquement. C’est pourquoi cet article présente nos propres observations, celles de parties prenantes qui se sont exprimées publiquement ou ont adressé des commentaires au Conseil d’administration, ainsi que celles de journalistes et d’autres commentateurs.
Il était prévu que le Conseil d’administration choisisse un nouveau Directeur exécutif lors de sa retraite des 27 et 28 février. Son Comité des candidatures au poste de Directeur exécutif avait déposé un rapport final comportant trois noms, classés dans l’ordre suivant :
- Dr Muhammad Ali Pate, chercheur invité à l’École Chan de santé publique de Harvard, ancien spécialiste de la santé de la Banque mondiale et ancien ministre de la Santé du Nigeria ;
- Subhanu Saxena, un dirigeant d’entreprise pharmaceutique qui, en août 2016, a démissionné de son poste de Directeur général de Cipla, une importante société pharmaceutique indienne ; et
- Helen Clark, administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et ancienne première ministre de Nouvelle-Zélande.
Comme tout le monde le sait désormais, le Conseil d’administration n’a sélectionné aucun de ces candidats, décidant plutôt de relancer la procédure de recrutement.
Alors, que s’est-il passé ?
Un point sur lequel tous semblent s’accorder est que la procédure a été trop précipitée. Le Conseil d’administration a approuvé la procédure de sélection le 16 novembre 2016. Le délai fixé pour la sélection du nouveau Directeur exécutif était le 1er mars, ce qui représente un délai de 105 jours ou trois mois et demi, fêtes de fin d’année comprises. À titre de comparaison, la procédure qui avait mené à la sélection de Mark Dybul en 2012 a duré 187 jours, soit un peu plus de six mois.
Sachant que M. Dybul a informé il y a deux ans le Conseil d’administration de son départ au terme de son mandat (le 31 mai 2017), pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour que le Conseil lance la procédure de recrutement d’un nouveau Directeur exécutif ?
Dans un post du 2 mars sur le site Web d’Humanosphere, une organisation d’information sans but lucratif et indépendante, Tom Murphy qualifie la procédure de sélection d’« accident ferroviaire ». Il identifie trois causes principales : des fuites, des questions de conflits d’intérêts et une réception plutôt déçue des finalistes. Examinons chacun de ces points.
Fuites
Il y a indéniablement eu des fuites. Il semble qu’une foule de gens ait reçu une copie du rapport final extrêmement confidentiel du Comité des candidatures au poste de Directeur exécutif pratiquement dès son envoi le 13 février aux membres du Conseil d’administration et aux suppléants. Donald McNeil, journaliste de longue date au New York Times, est l’une de ces personnes. M. McNeil a révélé les noms des trois finalistes dans un article paru le 15 février. On peut y lire que les trois candidats risquaient de ne pas être du goût des États-Unis, de loin le plus grand donateur du Fonds mondial, et ce pour différentes raisons. Plusieurs médias ont relevé l’article de McNeil, certains ajoutant des informations au fur et à mesure que celles-ci devenaient disponibles, dans la plupart des cas suite à d’autres fuites.
Dans un article de ScienceInsider publié le 27 février, Jon Cohen cite une personne au fait des délibérations du Conseil d’administration, selon laquelle « il y avait des préoccupations réelles quant à l’équité du processus, compromise par les fuites ».
La fuite du rapport final du Comité des candidatures semble certainement avoir déstabilisé la procédure. Peu après la fuite du rapport, Mme Clark, qui figurait en troisième position sur la liste du Comité, s’est retirée de la course, citant ses préoccupations concernant la procédure. Certains observateurs ont avancé l’hypothèse que c’est parce qu’elle figurait en dernière place.
Que la fuite du rapport final soit ou non à l’origine du retrait de Mme Clark de la course, le Fonds mondial n’apparaissait pas sous un jour favorable. Une procédure qui aurait dû avoir lieu de manière très confidentielle était désormais sous le feu des projecteurs, sans les protections qui auraient probablement entouré une procédure publique, si telle avait été l’intention initiale.
Conflits d’intérêts
Plusieurs conflits d’intérêts ont été évoqués. Dans son article, M. Murphy avance que les liens de M. Saxena avec l’industrie pharmaceutique posaient potentiellement un conflit d’intérêts du fait que le Fonds mondial travaille avec les gouvernements et les fabricants de médicaments en vue de fixer des prix favorables pour l’achat des médicaments essentiels. (Jusqu’il y a peu, M. Saxena était CEO de Cipla, une importante société pharmaceutique dont le Fonds mondial est un client important).
Un courriel anonyme envoyé au Conseil d’administration affirme que M. Pate a un possible conflit d’intérêts du fait qu’il siège au comité consultatif de Merck for Mothers, et que l’actuel Directeur exécutif, Mark Dybul, est membre du Conseil de la Fondation philanthropique Big Win de M. Pate.
Les allégations insinuaient que le Comité des candidatures au poste de Directeur exécutif n’avait pas identifié ni pris en considération ces conflits d’intérêts. Toutefois, dans un mémo adressé aux membres du Conseil d’administration le 18 février, le président du Comité, Jan Paehler, réfute ces allégations. Concernant M. Saxena, M. Paehler y écrit qu’il est inexact d’affirmer que le Comité n’a pas pris en compte ses fonctions passées de CEO de Cipla. Selon Paehler, ce facteur a été « dûment étudié et discuté » par le Comité. « Avoir joué un rôle en tant que fournisseur du secteur privé du Fonds mondial dans le passé ne représente pas un conflit d’intérêts actuel ou futur… ».
M. Paehler ajoute que le rôle de M. Pate au sein du comité consultatif de Merck for Mothers « a en fait été divulgué et soigneusement évalué et commenté par le Comité, avec les conseils du directeur de l’éthique. Prétendre le contraire est inexact. » Enfin, au sujet de M. Dybul, M. Paehler indique que le comité a également été informé qu’il siège au Conseil de la Fondation de Pate et que « prétendre le contraire est inexact ».
Réception des finalistes
La troisième cause de ce que Tom Murphy qualifie d’« accident ferroviaire » est « une réception plutôt déçue des finalistes ».
Divers commentateurs se sont fait l’écho des préoccupations mentionnées dans l’article de Donald McNeil dans le New York Times selon lesquelles les trois finalistes pourraient bien ne pas être du goût des États-Unis. Par ailleurs, dans un post du 24 février sur Devex, une plateforme médiatique s’adressant à la communauté mondiale du développement, Michael Igoe écrivait que Devex avait parlé avec plusieurs dirigeants « bien placés » de la santé mondiale et du développement au sujet de leurs impressions sur les finalistes. « Ils ont tous exprimé des sentiments mitigés et une certaine déception que la procédure de sélection n’ait pas généré de candidats connus pour leur leadership visionnaire dans le domaine de la santé mondiale. »
Autres préoccupations concernant la procédure
« Le Conseil d’administration est résolu à suivre une procédure qui respecte les normes les plus strictes possibles, qui soit équitable, transparente et fondée sur le mérite, et qui soit menée dans des délais raisonnables et avec professionnalisme », a déclaré Norbert Hauser, le Président du Conseil d’administration, dans un communiqué de presse.
Cependant, comme le fait remarquer Tom Murphy dans son article, la procédure a été loin d’être transparente. Les informations sur le statut des candidats ont fait surface à la suite de fuites, pas de communiqués officiels du Fonds mondial. Selon M. Murphy, Mme Clark s’est retirée en partie en raison de la manière dont la procédure s’est déroulée.
Dans une lettre qu’elle aurait adressée à M. Hauser le 14 février, Mme Clark écrit ceci :
« Cela fait un certain temps que je m’inquiète de ce que la nomination d’un dirigeant stratégique de haut niveau, telle qu’envisagée dans le mandat approuvé par le Conseil d’administration du Fonds mondial, ne serait probablement pas le résultat de la manière dont la procédure de sélection a été menée à ce jour.
Le rapport du Comité des candidatures du Conseil, que j’ai pu lire aujourd’hui, confirme mes préoccupations. Je ne crois pas que la procédure engagée ait accordé la priorité au large éventail de compétences envisagé dans le mandat. La procédure de diligence raisonnable entreprise à ce jour a contribué à l’échec auquel je fais allusion. Elle s’est concentrée sur des questions superficielles plutôt que de tenir compte des informations pertinentes et publiques concernant, par exemple, les résultats, les valeurs et l’historique des candidats en matière de médias sociaux. »
L’analyse la plus approfondie de ce qui a mal tourné est celle de John Zarocostas, auteur d’un article publié le 7 mars dans The Lancet.
M. Zarocostas y cite le directeur d’un organisme majeur des Nations Unies basé à Genève, qui aurait dit qu’« étant donné que la procédure était entachée, le Conseil d’administration du Fonds mondial n’avait d’autre choix que de la relancer ».
Selon M. Zarocostas, un cadre dans le domaine de l’aide à la santé qui a suivi la situation a commenté que l’envenimement de la procédure est imputable à un courriel anonyme au Conseil d’administration critiquant la présélection de MM. Pate et Saxena et le manque de diligence raisonnable de la procédure, auquel est venue s’ajouter la fuite du rapport du comité de sélection au New York Times.
L’auteur de l’article rapporte que plusieurs diplomates et cadres de groupes de plaidoyer dans le domaine de la santé ont souligné que « la diligence raisonnable n’a pas été menée avec rigueur », dans ce qu’il appelle une critique voilée de Russell Reynolds Associates (RRA), l’agence de recrutement de cadres chargée d’assister le Comité des candidatures.
M. Zarocostas cite en outre une source proche du Conseil d’administration, selon laquelle « beaucoup au sein du Conseil d’administration étaient d’avis que la procédure de sélection avait été trop rapide, que la diligence raisonnable n’avait pas pu être menée à bien et que de nouvelles informations avaient fait surface ». De ce fait, selon la source, il existait un fort sentiment que le Conseil d’administration estimait que la procédure « ne lui avait pas donné pleine confiance pour arrêter son choix ». Le retrait d’un des candidats, toujours d’après cette source, a contribué à l’impasse dans laquelle le Conseil s’est retrouvé.
M. Zarocostas cite un consultant en santé mondiale, selon lequel il ressort du résultat que chacun des candidats était confronté à une « minorité de blocage » et il n’a pas été possible de parvenir à un consensus. (Le règlement du Conseil d’administration stipule que les candidats doivent bénéficier d’une majorité des deux tiers, tant des circonscriptions relevant des maîtres d’œuvre que de celles relevant des donateurs.)
Enfin, M. Zarocostas cite Ellen ‘t Hoen, chercheuse de l’Unité de santé mondiale de l’hôpital universitaire de Groningue, aux Pays-Bas : « Je pense que, compte tenu du fait que le soutien financier du Fonds mondial dépend du soutien public, plus il y a de transparence, mieux c’est ». Selon elle, la procédure de sélection du Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé « était opaque dans le passé », mais « aujourd’hui, on peut en suivre les développements, et se faire une idée des candidats ». Et d’ajouter qu’il devrait en être de même pour la procédure de sélection d’un nouveau directeur pour le Fonds mondial.
Le 20 février, Allan Maleche et Nataliya Nizova, respectivement président et vice-présidente du groupe des maîtres d’œuvre au Conseil d’administration, ont envoyé une lettre à la direction du Conseil, dans laquelle ils expliquaient que les circonscriptions du groupe des maîtres d’œuvre « nourrissaient de graves préoccupations » quant à la procédure du fait que des« faits clés » sur les candidats avaient été manqués.
« Il est difficile d’évaluer l’ampleur des informations manquées », poursuivait le groupe des maîtres d’œuvre, « car la diligence raisonnable décrite dans la note d’information sur la procédure de sélection du Directeur exécutif n’est pas reprise – ni même mentionnée – dans le rapport final du Comité des candidatures au poste de Directeur exécutif. »
(La note d’information indiquait que la procédure de diligence raisonnable serait décrite en détail dans le rapport final du Comité des candidatures. La procédure comprenait des mesures telles que des entretiens avec les candidats menés par l’agence de recrutement, RRA, l’obtention de références par RRA, ainsi que des tests psychométriques réalisés par un expert indépendant sur les trois finalistes.)
« La décision de ne pas publier les noms des candidats présélectionnés, qui était tout un défi pour le Fonds, a ensuite suscité un intérêt médiatique et des questions de la part des parties prenantes qui ont également contribué à ternir la réputation de l’institution », d’après le groupe des maîtres d’œuvre.
Dans sa lettre, le groupe des maîtres d’œuvre recommande de lancer une nouvelle procédure de sélection, qui soit bien plus ouverte. Il préconise un plus grand engagement du public, lequel pourrait être assuré en annonçant publiquement les noms des candidats présélectionnés, en organisant une séance publique de questions-réponses avec les candidats, en tenant une session d’information pour le personnel du Secrétariat et en offrant des mises à jour régulières sur la procédure de sélection et de nomination.
(La lettre du groupe des maîtres d’œuvre n’a pas été rendue publique. Cependant, dans son deuxième article sur la sélection du Directeur exécutif, Donald McNeil, du New York Times, en reprend des extraits.)
Dans un article antérieur publié dans The Lancet (le 22 février), M. Zarocostas déclare que « la nature opaque de la procédure de sélection du Fonds mondial a été critiquée à la fois par des membres majeurs du groupe des donateurs et par des défenseurs de la communauté de la santé ».
Dans le blog consacré aux politiques en matière de santé mondiale du Center for Global Development, Amanda Glassman déclare que « même si légalement, le Fonds mondial est une fondation suisse privée, son Conseil d’administration ne devrait pas agir en tant que tel. Les défenseurs exercent une grande influence sur le Fonds mondial au travers des médias, et les grands donateurs ont un droit de véto – donc sa procédure de sélection d’un Directeur exécutif se doit de reconnaître la realpolitik et d’examiner les candidats selon une démarche large et publique, tout en prenant dûment en considération la capacité des candidats à faire face aux vents financiers et politiques contraires. »
D’après une personne au fait des délibérations du Conseil d’administration, des inquiétudes ont été exprimées sur le fait que la liste des candidats présélectionnés était trop courte. Dans son rapport final, le Comité des candidatures au poste de Directeur exécutif n’a avancé que trois noms (sur plus de 140 candidats). Il avait été mandaté pour fournir jusqu’à quatre noms. Pendant les délibérations, il a été suggéré que lors de la nouvelle procédure de recherche, il devrait être demandé au Comité de fournir cinq noms.
Cette personne a par ailleurs indiqué que des préoccupations ont été émises quant au fait que dans son rapport final, le Comité des candidatures a classé les candidats retenus selon un ordre donné, et que le sentiment était que cela a pu contribuer à la décision de la candidate classée en troisième position, Helen Clark, de se retirer de la course. Or, il n’avait pas été demandé au Comité de classer les candidats.
Dans une déclaration publiée le 1er mars, la délégation des communautés auprès du Conseil d’administration indique que dans le cadre de la nouvelle procédure de sélection du Conseil, elle « suivra de près » la situation de manière à s’assurer qu’il est fait appel à un groupe de parties prenantes plus diversifié, comprenant notamment les communautés et la société civile, lors de la vérification des références, et à veiller à ce que la procédure tienne compte des antécédents des candidats en matière de droits humains, d’égalité de genre et de renforcement des systèmes communautaires.
Dans l’article du 7 mars de John Decostas dans The Lancet, les paroles suivantes d’un responsable d’un important groupe européen de plaidoyer dans la lutte contre le sida s’exprimant sous la condition de l’anonymat, sont citées : « Nous sommes à la recherche d’un candidat possédant de vastes connaissances en matière de santé mondiale, une grande expérience de gestion et des compétences de mobilisation de fonds ».