LES AGENTS FISCAUX RÉDUISENT LES RISQUES FINANCIERS ASSOCIÉS AUX SUBVENTIONS DU FONDS MONDIAL, MAIS SANS RENFORCER LES CAPACITÉS DES BÉNÉFICIAIRES
Author:
Djesika Amendah
Article Type:Article Number: 3
Un concept robuste mais un modèle qui gagnerait à être amélioré
RÉSUMÉ Les agents fiscaux font partie du système de gestion des risques financiers du Fonds mondial dans les pays où les risques fiduciaires existent. Les agents fiscaux ont réussi à réduire les risques financiers associés à la faible capacité de gestion financière des partenaires de mise en œuvre des subventions du Fonds mondial. Cependant, les agents fiscaux ne parviennent pas à renforcer les capacités de ces acteurs, contrairement à ce qu’indique leur mandat.
Depuis 2012, les agents fiscaux font partie du système de gestion des risques financiers du Fonds mondial dans les pays où les risques fiduciaires sont élevés ou modérés. Selon les directives du Fonds mondial sur la gestion des risques financiers, les agents fiscaux réduisent les risques financiers liés à la faible capacité de gestion financière des bénéficiaires principaux ou des bénéficiaires secondaires des subventions du Fonds mondial. Cet article a pour but d’aider à comprendre le positionnement des agents fiscaux dans les subventions du Fonds Mondial, ainsi que les réussites et les défis qui sont associés à ce poste.
Les données de cet article proviennent des documents publics de politique du Fonds mondial, des rapports du Bureau de l’Inspecteur général, d’entretiens avec les Départements de la gestion des risques et de la gestion financière au niveau du Secrétariat du Fonds mondial, de l’Instance de coordination nationale (ICN) du Burkina Faso et du Malawi (exemples de pays qui ont des agents fiscaux) ainsi que des fournisseurs d’assistance technique aux subventions du Fonds mondial.
Les agents fiscaux – une mesure destinée à atténuer les risques
Les agents fiscaux sont présents dans 23 pays, dont 15 qui sont classés à haut risque ou à risque très élevé, selon le rapport du BIG sur la gestion des subventions du Fonds mondial dans les environnements à haut risque. Selon les directives du Fonds mondial sur la gestion des risques financiers, les agents fiscaux ont pour objectif premier « d’atténuer le risque de fraude ou d’utilisation abusive des fonds des subventions et de minimiser les dépenses non conformes sur les subventions du Fonds mondial ». Dans ce rôle, les agents fiscaux vérifient que les demandes de financement sont bien alignées avec les politiques des partenaires de mise en œuvre et du Fonds mondial. Une fois les paiements effectués, les agents fiscaux évaluent la pertinence des pièces justificatives et veillent à ce que les dossiers soient correctement tenus. Les agents fiscaux ont également pour objectif d’engager les partenaires de mise en œuvre à produire des rapports précis et dans les délais impartis. L’un des principes du Fonds mondial est le financement basé sur la performance : les organismes de mise en œuvre soumettent régulièrement, généralement tous les six mois, un rapport d’étape et une demande de décaissement contenant l’état des réalisations financières et programmatiques par rapport aux objectifs fixés. Les agents fiscaux devraient aider à renforcer les capacités des partenaires de mise en œuvre à gérer la subvention au fil du temps. Une partie des responsabilités de l’agent fiscal est d’appuyer le bénéficiaire principal (BP) ou le bénéficiaire secondaire (BS) à développer et mettre en œuvre des politiques de bonne gestion financière.
Les agents fiscaux fonctionnent selon deux modalités. Selon la première modalité, ils sont signataires du compte bancaire du BP sur lequel est versé le financement du Fonds mondial. Lorsque cette modalité de cosignature n’est pas acceptable pour le BP (ce qui est parfois le cas avec les BP gouvernementaux en raison de la législation nationale), selon la seconde modalité, les agents fiscaux signent les bons d’achats préparés par le BP afin d’approuver les dépenses avant que l’argent du Fonds mondial ne soit décaissé du compte bancaire du BP.
Souvent, les agents fiscaux sont mis en place après que l’agent local du Fonds (LFA ou ALF) et que les audits externes découvrent des problèmes de gestion financière, et que le Secrétariat et l’ICN décident de maintenir le BP ou BS, soit parce que le Fonds mondial estime que les risques financiers identifiés peuvent être atténués ou parce que les risques apparaissent en plein période de mise en œuvre, et qu’il serait difficile de changer un partenaire de mise en œuvre à ce moment-là.
Bien que les agents fiscaux soient distincts des partenaire de mise en œuvre, ils travaillent au quotidien avec le personnel du BP. Les agents fiscaux sont souvent de grandes entreprises et leur personnel rend des comptes chaque trimestre à la fois au Secrétariat du Fonds mondial et à leur propre siège. Selon le Secrétariat, les agents fiscaux sont sélectionnés dans le cadre d’un processus de mise en concurrence. La société de conseil GFA, qui a son siège en Allemagne, détient 44% des agents fiscaux du Fonds mondial.
Schéma 1: L’agent fiscal dans le processus de gestion des risques avec les parties prenantes
CAT: équipe d’évaluation des capacités, ALF: agent local du Fonds, ICN : instance de coordination nationale
Source: Directives du Fonds mondial sur la gestion des risques financiers
(traduction du texte dans le schéma)
Identification du risque ====== CAT/ALF/Audit : communication ICN/RP
Mise en place d’une mesure d’atténuation ======Mesure temporaire : agent fiscal, etc.
Elaboration d’un plan de renforcement des capacités =====Appui technique, appui des partenaires, etc.
Faire le suivi du plan de renforcement====== évaluation des progrès, communication à l’ICN/au RP
Fin de la mesure d’atténuation du risque selon le plan de transition, une fois que le plan de renforcement est accompli = retrait de la mesure temporaire en suivant le plan de transition en cas d’évaluation positive
Les autres mesures du Fonds mondial destinées à atténuer les risques
Le Fonds mondial a mis au point d’autres mesures d’atténuation des risques qui viennent ajouter des garanties et du personnel supplémentaires aux opérations menées par les partenaires de mise en œuvre. Trois de ces mesures méritent d’être mentionnées : les agents fiduciaires, les agents d’approvisionnement et les agents de paiement.
Les agents fiduciaires rendent des comptes au BP ; ils sont responsables des postes financiers au sein du BP. Les agents d’approvisionnement rendent des comptes au Secrétariat ; ils sont responsables de l’achat des produits autres que les produits de santé (les produits de santé sont souvent achetés par le biais du mécanisme des achats groupés géré au niveau central par le Secrétariat). Les agents d’approvisionnement suivent la politique de gestion des achats du Fonds mondial, qui applique le principe de compétition et les valeurs d’impartialité, de transparence et de redevabilité. Enfin, les agents de paiement réalisent « les paiements en espèce dans les zones à haut risque et où les services bancaires sont limités », destinés aux bénéficiaires de la part du BP. Les récipiendaires des subventions du Fonds mondial font appel à des agents de paiement lorsque les paiements en espèce sont nécessaires à cause de la faiblesse des services bancaires et des contrôles.
Des succès notables de la part des agents fiscaux dans certains pays
Selon plusieurs rapports publiés par le Bureau de l’Inspecteur général du Fonds mondial, les agents fiscaux ont obtenu d’assez bons résultats dans leur rôle principal de réduction des risques de fraude et de malversations avec l’argent du Fonds.
La fraude et autres malversations affectant les financements du Fonds mondial étaient autrefois monnaie courante sur les subventions au Nigéria. Le pays est l’un des plus importants portefeuilles du Fonds mondial en raison de la taille de sa population (environ 190 millions d’habitants) et de la forte prévalence du paludisme. Cependant, un audit du BIG en 2016 n’a détecté aucune irrégularité, suite à l’élargissement du périmètre de travail des agents fiscaux, au changement du RP et à la mise en place de mesures de gestion des risques en 2014, à l’initiative du Secrétariat. La présence d’agents fiscaux a été couronnée de succès puisqu’elle a permis au Secrétariat de continuer à financer les activités de la subvention par l’intermédiaire de quelques sous-récipiendaires au Nigéria, alors même que les récipiendaires principaux avaient été suspendus en raison d’une mauvaise gestion financière.
Selon le Secrétariat, le respect des délais de soumission des rapports par les BP qui disposent d’agents fiscaux s’est également amélioré. Un autre avantage lié aux agents fiscaux est que leur présence permet aux BP gouvernementaux (qu’ils soutiennent souvent) de continuer de gérer la subvention. (Lorsque la performance d’un BP est mauvaise, ce BP peut être changé ; lorsque ce BP est une entité gouvernementale, telle qu’un ministère de la Santé, il est courant que le Fonds mondial contractualise avec une organisation non gouvernementale internationale ou une agence des Nations unies pour qu’elle soit BP à la place du gouvernement.)
A titre d’illustration, au Malawi, les agents fiscaux aident le ministère de la Santé, BP des subventions VIH/tuberculose et paludisme, à soumettre des rapports sans erreur et dans les délais impartis, selon Maziko Matemba, le vice-président de l’instance de coordination nationale. Les deux subventions sont à présent notées A1 et A2 (les deux meilleures notes sur cinq). Maziko Matemba explique que les agents fiscaux assurent le suivi des activités prévues et rappellent aux BP de les conduire dans les temps. Ils assistent même aux réunions de l’ICN en qualité d’observateurs, écoutant les discussions sans y prendre part afin de recueillir d’importantes informations qui peuvent leur être utiles dans leur travail.
Les limites des agents fiscaux
La fraude et les malversations financières se produisent encore sur les subventions qui ont des agents fiscaux, mais la fréquence et l’échelle de ces malversations en sont nettement réduites. Il existe deux raisons à cela : d’une part, les agents fiscaux se concentrent uniquement sur les aspects financiers des subventions, et laissent les aspects programmatiques aux autres mécanismes d’assurance, notamment les agents locaux du Fonds ; d’autre part, les agents fiscaux ne peuvent en aucun cas contrôler tous les aspects financiers des subventions, ils se concentrent plutôt sur les domaines qui sont considérés comme ayant un risque plus élevé.
Un fournisseur d’appui technique à une subvention du Fonds mondial, qui n’a pas pu faire de déclaration officielle mais qui reste au fait des contextes de mise en œuvre dans plusieurs pays d’Afrique, a fourni un exemple de la façon dont la fraude et les malversations financières peuvent encore se produire. Il explique que les exécutants accoutumés au détournement des ressources du Fonds mondial et habitués aux processus de rédaction et de soumission des subventions du Fonds mondial orchestrent parfois l’inclusion de certaines activités dans la subvention au moment de l’écriture de la note conceptuelle, ou de l’élaboration de la subvention. Ensuite, une fois que ces activités sont approuvées et font partie du programme, les agents fiscaux, dont le mandat se concentre uniquement sur l’atténuation des risques financiers, n’ont pas la possibilité de les annuler. Cela reste vrai même lorsque les agents fiscaux ont de sérieuses suspicions sur le fait que ces activités aient été incluses pour permettre de détourner des fonds.
Un autre exemple fourni par le Secrétariat du Fonds mondial illustre les limites des agents fiscaux : un agent fiscal basé dans le bureau d’un BP au niveau central autorise les dépenses pour la conduite d’une formation dans une zone rurale. Le personnel du BP prend l’argent destiné à la formation et en détourne une partie par le biais de factures gonflées ou de fausses factures. Dans un tel cas, les agents fiscaux ne sont pas tenus responsables et le BP doit rembourser le Fonds mondial. Le rapport du BIG sur la gestion des subventions dans les pays à haut risque, cité plus haut, a également mis en lumière le fait que sept subventions sur quatorze ont reçu des « opinions d’audit avec réserve » pour cause de dépenses inéligibles et sans pièces justificatives.
Les problèmes liés aux agents fiscaux
Le concept d’agent fiscal est confronté à plusieurs problèmes fondamentaux.
Le premier problème est le manque de plans et de jalons clairs pour la sortie des agents fiscaux. L’appui des agents fiscaux est censé être temporaire mais peut parfois devenir incontournable dans la subvention. Cette conclusion est étayée par la revue du BIG en Afrique occidentale et centrale, qui a constaté qu’une fois installé dans un pays, l’agent fiscal y reste pendant plusieurs années ou plusieurs cycles de subvention sans avoir de plan de sortie clair. Des agents fiscaux appuient les subventions au Burkina Faso, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Niger et au Sierra Leone depuis 2013, ou depuis au moins six ans (sans compter l’année 2019 en cours), comme le montre le tableau 1 ci-dessus extrait du rapport du BIG (les cases en gris indiquent la présence d’un agent fiscal).
Années | ||||||
Pays | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 |
Burkina F aso | ||||||
République centrafricaine | ||||||
Congo | ||||||
Congo (République Démocratique) | ||||||
Côte d’Ivoire | ||||||
Guinée | ||||||
Guinée Bissau | ||||||
Libéria | ||||||
Niger | ||||||
Sierra Leone |
Source: Rapport consultatif du BIG sur la mise en œuvre des subventions en Afrique occidentale et centrale (AOC) – Surmonter les obstacles et améliorer la performance dans une région difficile
La sortie des agents fiscaux du Burkina Faso et du Bangladesh est à présent prévue, selon le Secrétariat et le président de l’ICN du Burkina Faso. Cela a été prévu suite aux critiques récurrentes du BIG à propos des lacunes de ces agents fiscaux dans différents pays comme le Tchad, la Guinée, ou dans des groupes de pays comme les pays à risque élevé. Un autre problème fondamental lié aux agents fiscaux est qu’ils renforcent rarement la capacité du BP ou du BS, bien que cette fonction soit essentielle, comme indiqué dans les directives du Fonds mondial sur les risques financiers. Le manque de renforcement des capacités est dû au conflit d’intérêts inhérent aux objectifs des agents fiscaux : renforcer les capacités du BP serait une menace pour leur entreprise. Par conséquent, les agents fiscaux « ont tout intérêt à ce que le BP ait une mauvaise image afin que leur contrat soit prolongé », selon un fournisseur d’appui technique sur plusieurs subventions du Fonds mondial ayant un agent fiscal, qui a requis l’anonymat pour parler à Aidspan. Le manque de renforcement des capacités est aggravé par un taux élevé de départ du personnel au sein des sociétés d’agents fiscaux ou au niveau du BP, selon le Secrétariat.
Enfin, il existe peu de coordination entre les agents fiscaux et les autres institutions qui offrent des garanties au Fonds mondial. Par exemple, les agents fiscaux n’ont pas de mécanisme régulier de consultation avec l’agent local du Fonds (ALF) ni avec l’instance de coordination nationale (ICN) qui leur permettrait de comprendre ou de régler des risques existants ou émergents. Ce manque de réunions formelles et systématiques a été reconnu à la fois par le Secrétariat et les représentants de l’ICN qui en ont parlé à Aidspan. Le BIG a également souligné les évaluations incohérentes des agents fiscaux par les équipes pays.
Il faut noter que les agents fiscaux sont financés sur les fonds de la subvention, ce qui signifie que leur présence réduit le montant disponible pour la mise en œuvre de la subvention.
La marche à suivre
Selon le Secrétariat, la marche à suivre est de « conserver le concept d’agent fiscal tout en en améliorant le modèle », par exemple en définissant clairement les mesures du succès et les potentielles stratégies de sortie. Par ailleurs, selon une recommandation de la revue du BIG en Afrique occidentale et centrale, le rôle d’agent fiscal ne devrait pas inclure le renforcement des capacités.
Lectures complémentaires :
– Revue du BIG Directives du Fonds mondial sur la gestion des risques financiers, Novembre 2017, Genève, Suisse
– Rapport d’audit – La gestion des subventions du Fonds mondial dans les environnements à risque élevé – 23 janvier 2017 (GF-BIG-17-002)
– Enquête du BIG Rapport final de l’enquête sur les subventions du Fonds mondial au Nigéria – Première partie: Récipiendaire principal Centre Yakubu Gowon pour l’unité nationale et la coopération internationale (YGC) 31 octobre 2011 (GF-OIG-11-011)
– Revue du BIG Mise en œuvre des subventions en Afrique occidentale et centrale (AOC) – Surmonter les obstacles et améliorer la performance dans une région difficile 31 mai 2019