LA MAURITANIE, LE FONDS MONDIAL ET LA DISCRÈTE INCLUSION DES HOMOSEXUELS DANS LA RÉPONSE AU SIDA
Author:
Robert Bourgoing
Article Type:Article Number: 4
RÉSUMÉ Encouragée par les nouvelles exigences du Fonds mondial d’inclure les populations clés au cœur des demandes de financement pour le sida, la République islamique de Mauritanie s’ouvre discrètement à sa communauté homosexuelle, exercice délicat dans une société très conservatrice.
Dans la cour intérieure d’un bâtiment sans signe distinctif de la périphérie de Nouakchott, des hommes répondent à tour de rôle à un questionnaire anonyme rempli par deux employés de l’ONG S.O.S. Pairs Educateurs. Ils appartiennent à un groupe sans existence officielle auquel on se réfère uniquement par son acronyme, les ‘HSH’, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Ils participent à l’Enquête comportementale et biologique du Secrétariat exécutif national de lutte contre le sida (SENLS) destinée à informer la nouvelle demande de financement de la République islamique de Mauritanie auprès du Fonds mondial.
Sept ans après la dernière enquête, il s’agit de faire un état des lieux du sida dans la population générale et les groupes les plus exposés aux risques de transmission. Parmi ces populations clés, telles que les ‘professionnelles du sexe’ ou ‘PS’, prisonniers, camionneurs, policiers et militaires, migrants, marins et pêcheurs, les HSH représentent le groupe le plus délicat à recenser dans une société très conservatrice.
« C’est impossible de dire le mot homosexuel en public », explique Fatimata Ball, représentante des personnes vivant avec le VIH au sein du CCM de Mauritanie. F. Ball est l’une des deux seules personnes en Mauritanie qui témoignent à visage découvert de leur statut séropositif. La tête haute, elle se bat contre les discriminations à l’endroit des personnes séropositives dans son pays et les tabous qui compliquent tout, particulièrement en ce qui concerne les homosexuels, « des personnes ‘maudites’ qu’il ne faut pas côtoyer. Certains disent qu’il ne faut pas leur serrer la main, sans quoi, pendant quarante jours, vos prières ne servent à rien. »
Le ‘problème des étrangers’
Officiellement, la République islamique de Mauritanie est l’un des onze pays où l’homosexualité est encore passible de la peine de mort. En réalité, ce châtiment n’est plus appliqué depuis 1987, ni contre des homosexuels ni contre quiconque. De l’avis général, le niveau d’intolérance contre les gays n’est pas comparable avec des pays comme l’Iran, ou même le Sénégal voisin. Et le poids de la religion, bien réel, n‘explique pas tout, selon Fatimata Ball. « Les grands leaders religieux vous disent que même si l’Islam condamne ces pratiques, ce sont des êtres humains qui ont droit au traitement. Mais ce que je déplore, c’est que ce n’est pas dit à la radio, dans les journaux ou lors des prêches. La société a peur. »
« On ne veut pas faire de bruit autour de notre travail. La société n’aime pas le tapage médiatique », confirme Jibril Sy, président de S.O.S. Pairs Educateurs, la principale ONG qui travaille auprès de ces hommes depuis 2001, des activités qu’elle exerce dans une grande discrétion. « Quand on a commencé à travailler avec les HSH, on savait stratégiquement qu’on ne pouvait pas attaquer la loi. Alors on est passé surtout par leur droit à la santé. Que tu sois un tueur ou un étranger, tous les Mauritaniens tolèrent ton droit à la santé. »
Pour expliquer la présence du VIH en République islamique, il est de bon ton, parmi les Mauritaniens de souche, de pointer un doigt accusateur vers les étrangers. Selon eux, l’homosexualité concernerait principalement des Sénégalais et des Gambiens chassés de chez eux et réfugiés en Mauritanie. Parmi ceux-ci, certains seraient peu respectueux des sensibilités locales selon Amadou Seye Ndiaye, lui-même d’origine sénégalaise. « Si tu te comportes normalement, tu n’as pas de problèmes. Mais les nouveaux HSH nous emmènent des problèmes. Ils portent des habits de femmes, ils mettent des produits [du maquillage] et se font des mariages, comme au Sénégal. »
Amadou S. Ndiaye dit être un représentant de la communauté gay, dont il affirme connaître environ 400 membres, incluant plus de 100 Mauritaniens. Parmi ceux-ci, plusieurs fréquentent la maison qu’il loue, un des principaux lieux de rencontres des HSH dans la capitale qu’il a ouvert à S.O.S. Pairs Educateurs pour l’enquête sur le VIH. Dans leurs tenues traditionnelles, les Mauritaniens Yacoub et Ahmed (noms d’emprunt) confirment les propos de A. S. Ndiaye. « Il y a beaucoup de HSH mauritaniens mais nous restons très discrets. On anime les cérémonies de mariage et de baptême mais on n’attire pas l’attention. Les Sénégalais font beaucoup de provocation. Ça se voit et ça choque les gens, ce qui les amène à se révolter contre eux. »
Sortir de l’ombre et faire entendre sa voix
« On voit de plus en plus de HSH venir chercher des services auprès des structures de la société civile », constate Aliou Diop, de S.O.S. Pairs Educateurs. Si on tolère que des associations comme la sienne leur viennent en aide, selon lui, « c’est que l’Etat a un peu compris que dans le cadre de la réponse nationale, on a besoin de mettre l’accent là où ça fait problème ». En effet, les statistiques compilées en 2014 pas encore publiques, indiquent une nette augmentation de la prévalence du VIH parmi les HSH depuis 2007 (elle était de 5% en 2007) et démontrent l’importance d’agir dans un pays où l’épidémie, pour l’instant concentrée, menace la population générale.
Pour l’instant, « il n’y a pas concrètement d’activités au niveau du terrain », souligne Jibril Sy, en raison des détournements de fonds qui ont entraîné la suspension de la subvention VIH du Fonds mondial en 2009 (en savoir plus) et paralysé les efforts de prévention auprès des homosexuels. Dans le cadre du nouveau modèle de financement du Fonds mondial, la Mauritanie s’apprête à demander plus de 11 millions de dollars pour financer de nouveaux programmes de lutte contre le sida en 2015-2017. Mais pour être admissible, le Fonds exige désormais que les groupes à risque comme les HSH soient consultés afin de définir les priorités de la lutte contre la maladie. Des priorités telles que l’accès aux préservatifs que les ONG mauritaniennes, compte tenu du contexte local, doivent distribuer secrètement par le biais de personnes qui acceptent d’être des points de ‘distribution silencieuse’ (PDF – 600 Ko – p. 16) dans leur communauté.
Sauver les apparences ou sauver des vies
Comment faire participer des hommes qui vivent dans l’ombre et la peur, régulièrement victimes d’arrestations arbitraires et de harcèlement? « Nous devons nous unir, affirme le Sénégalais Madieng. Si nous faisons un bloc, nous aurons une coalition forte. Il faut une tête de liste, quelqu’un qui connaît les problèmes et peut parler en notre nom. » « Nous ne pensons pas que nous regrouper serve à quelque chose, lui répondent les Mauritaniens Yacoub et Ahmed, parce que nous nous entraidons entre frères. Nous n’avons pas de problème spécifique qui nécessite que nous soyons dans une association ou que nous soyons représentés par qui que ce soit. »
A court terme, pour établir les priorités de la demande de subvention, l’idée retenue par l’instance de coordination nationale et approuvée par le Fonds mondial est l’organisation de « focus groups » recrutés parmi les répondants de l’enquête sur le VIH/sida mobilisés par S.O.S. Pairs Educateurs. Pour le Secrétariat de Genève, où l’on souligne la nécessité de s’adapter aux sensibilités locales, en Mauritanie comme ailleurs, il n’est pas essentiel que les personnes consultées parmi les HSH témoignent par le biais d’associations formelles ou même publiquement.
Les futures subventions du Fonds mondial donneront-elles un coup d’accélérateur à la reconnaissance des droits des homosexuels en Mauritanie ? Pour Fatimata Ball, il ne faut pas se faire d’illusion. « Avec ou sans fonds, il n’y aura jamais une reconnaissance juridique des HSH et des PS. Ce n’est pas négociable dans un pays islamique. » « L’argent ne va pas changer le regard des Mauritaniens. Ce sont les HSH eux-mêmes qui peuvent s’aider, ajoute Madieng. Nous n’attendons pas que la société nous accepte, mais juste qu’on nous laisse en paix, qu’on nous traite comme des êtres humains. »