INQUIÉTUDES AU KENYA SUR LA MULTIPLICATION DES CAS DE TUBERCULOSE MULTIRÉSISTANTE
Author:
Stéphanie Braquehais
Article Type:Article Number: 3
RÉSUMÉ L’augmentation de la résistance aux traitements, en grande partie parmi les réfugiés somaliens, menace les progrès accomplis par le Kenya dans la lutte contre la tuberculose. Elle met en lumière l’importance d’adopter une approche régionale et une meilleure intégration aux programmes SIDA.
D’immenses efforts ont été réalisés au Kenya dans la lutte contre la tuberculose, faisant chuter la prévalence entre 2006 et 2012 de 335 à 299 cas pour 100 000 habitants, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). “Nous observons une baisse du nombre de nouveaux cas”, affirme le docteur Jackson Kioko, directeur de l’unité Tuberculose au ministère de la Santé, qui rapporte un taux de détection de 79%, bien au-delà de l’objectif fixé par l’OMS de 70%.
Cependant, l’augmentation de la tuberculose multirésistante met en péril ces progrès. 550 patients sont actuellement en traitement au Kenya, dont 87 à Dadaab, près de la frontière somalienne, un ensemble de camps où s’entassent plus d’un demi-million de réfugiés, et où 8 nouveaux cas sont enregistrés chaque mois, selon Maureen Kamene, coordinatrice de la tuberculose multirésistante au ministère de la Santé.
32 millions de dollars ont été approuvés en janvier par le Conseil d’administration du Fonds mondial qui a financé la majeure partie du traitement contre la tuberculose en Somalie. Un des objectifs est de commencer à soigner les cas de tuberculose multirésistante dont la prévalence est de 5,2% parmi les nouveaux cas de tuberculose et 40,7% parmi les patients tuberculeux ayant nécessité une deuxième série de traitement (voir l’article – en anglais).« Dans un pays en guerre depuis plus de vingt ans, la population est toujours en mouvement, il n’y a pas de contrôle de qualité des médicaments anti-tuberculeux. Beaucoup ont commencé des traitements qu’ils n’ont pas terminés, ce qui a créé beaucoup de résistance », affirme Maureen Kamene.
Le Kenya est un pays attractif car le traitement est moins cher et disponible en plus grande quantité que dans les pays voisins. L’Ouganda a seulement commencé à soigner les patients atteints de tuberculose multirésistante en 2012 (représentant 1,4% des nouveaux cas de tuberculose en 2011), la Tanzanie encore plus récemment avec environ 1000 nouveaux cas en 2012 selon l’OMS.
Au total, 30% des cas de tuberculose multirésistante concernent les réfugiés, principalement somaliens. “Le Kenya est littéralement en train d’importer cette forme de la maladie”, estime Lucy Chesire, Directrice exécutive du TB ACTION Group, une organisation kényane représentant des patients vivant avec la tuberculose et/ou le VIH. “Sur le plan des droits de l’homme, il est hors de question de refuser un traitement à une population dans le besoin. Mais la surveillance et la sensibilisation doivent s’intensifier.”
Du coup, quantifier les besoins en médicaments reste un défi. “Le calcul se fait sur la base de la population kenyane, note Jackson Kioko, et ne tient pas compte du nombre de réfugiés”. Etant au stade le plus avancé dans la lutte contre cette forme de la maladie, le Kenya constitue une destination privilégiée dans la région, d’autant plus que les médicaments sont peu ou pas disponibles dans les pays voisins. Or, le traitement, très lourd et long (des injections tous les jours pendant huit mois), est cinquante à cent fois plus cher selon les pays.
Le Fonds mondial fournit 1,8 millions de dollars pour les programmes de lutte contre la tuberculose multirésistante entre 2013 et 2015, tandis que le gouvernement estime les besoins à 12,7 millions pour la même période, selon Bernard Langat, responsable la recherche et de la planification à l’unité tuberculose, lèpre et maladies pulmonaires du ministère de la Santé. Un coût élevé qui se justifie notamment par le prix du traitement (2500 dollars, soit cent fois plus qu’un traitement de base).
Eléments de riposte: approche régionale, décentralisation et intégration aux programmes VIH
Les moyens pour diagnostiquer la résistance doivent augmenter. “Le plan d’ici 2016 est d’avoir 440 sites dotés de la machine GeneXpert, qui fournit un diagnostic en l’espace de 2 heures (contre 4 à 6 avec les systèmes traditionnels)”, dit Maureen Kamene. Afin de se conformer aux meilleures pratiques de diagnostic, le Kenya envoie régulièrement une sélection d’échantillons à Brisbane en Australie mais “les résultats mettent longtemps à nous parvenir et le processus coûte cher”, affirme-t-elle.
“Il faut une approche transfrontalière”, estime Joseph Sitienei, directeur du département de prévention des maladies transmissibles au ministère de la Santé. “L’Afrique de l’Est devrait signer un protocole pour que tous les pays se dotent du même traitement. Si un malade se retrouve au Rwanda ou en Ouganda et qu’il n’a pas emporté assez de doses, il court le risque de ne pas en trouver et d’interrompre sa thérapie.”
Plus les personnes sont mobiles, comme les conducteurs de transports publics ou de poids lourds, les migrants et les populations nomades, plus le suivi thérapeutique est complexe, souligne Joseph Sitienei. “La ceinture de la tuberculose résistante suit l’autoroute entre Mombasa et l’Ouganda.”
Une révision du plan national stratégique, censé être finalisé d’ici le mois de juin, a justement pour but d’améliorer l’accès au traitement et d’identifier les groupes vulnérables. Une des pistes de travail est de tirer bénéfice de la décentralisation prévue par la constitution et mise en place depuis les élections de 2013 pour aller au plus près du patient.
Jackson Kioko insiste sur la nécessité d’une intégration avec les programmes de lutte contre le VIH, une approche qui ne se concrétise vraiment que depuis l’année dernière. “Il y a beaucoup d’avantages. Le coût est moindre, on gagne en temps et en efficacité, mais c’est une question de mentalité. Quand vous voulez changer un système, vous faites face à des blocages. La peur de perdre son emploi, de perdre des ressources ou d’être dissous dans un autre programme.”
Une réunion s’est justement tenue entre le 22 et le 27 avril dans la ville de Kisumu avec le Comité de Coordination Inter Agences (CCIA) la société civile et des différents responsables au sein des gouvernements locaux du pays. Le but était d’ouvrir le dialogue et identifier les domaines nécessitant une planification conjointe entre les programmes VIH et tuberculose. Le Kenya doit en effet soumettre une proposition au Fonds mondial pour répondre au taux élevé de comorbidité des deux maladies. Selon Dr Kamene, en 2011, la comorbidité atteignait 39% et, parmi les patients atteints de tuberculose multirésistante, l’incidence de co-infection était de 27%.
Dans cette réunion, les discussions ont également porté sur le renforcement des systèmes communautaires, les droits de l’homme et le genre, autant de thèmes qui seront abordés dans une note d’intention censée être envoyée au premier trimestre 2015.
“Il faut changer cette perception que l’initiative est forcément verticale, c’est à dire qu’elle doit venir de la capitale, et inciter les gouvernements locaux particulièrement affectés par la maladie à déterminer des priorités de financement”, conclut Lucy Chesire.