Forger une approche régionale commune pour la septième reconstitution des ressources du Fonds Mondial
Author:
Samuel Muniu et Ida Hakizinka
Article Type:Article Number: 4
Les pays d'Afrique subsaharienne se réunissent pour établir un consensus sur la manière d'apporter leur aide
RÉSUMÉ Lors d'une réunion qui s'est tenue du 11 au 13 avril 2022, les délégués des pays africains ont convenu d'une approche régionale commune pour la septième reconstitution des ressources du Fonds Mondial. La réunion a été organisée conjointement par le Bureau africain du Fonds Mondial et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH et le sida. Les participants se sont mis d'accord sur les messages clés à transmettre aux dirigeants de leurs pays respectifs et aux autres parties prenantes pour les sensibiliser à la nécessité de s'engager à soutenir financièrement le Fonds Mondial lors de la septième reconstitution des ressources qui aura lieu plus tard cette année.
Du 11 au 13 avril 2022, le Bureau de circonscription africain pour le Fonds Mondial et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH et le sida (ONUSIDA) ont organisé conjointement une réunion de consultation et de mobilisation des ressources à Nairobi. L’objectif des consultations était de parvenir à un consensus sur une approche commune pour le plaidoyer de l’Afrique en faveur de la réussite de la Septième reconstitution des ressources du Fonds Mondial. Les participants de 19 pays d’Afrique subsaharienne ont discuté des progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Stratégie mondiale de lutte contre le sida (SMLS) 2021-2026, ainsi que des points communs entre la SMLS et la prochaine Stratégie du Fonds Mondial 2023-2028. Ils se sont mis d’accord sur les messages clés à transmettre à leurs gouvernements respectifs et aux autres parties prenantes nationales afin d’encourager et d’influencer leur participation et leur contribution à la septième conférence de reconstitution des ressources qui aura lieu plus tard cette année.
Ont participé à la réunion des hauts fonctionnaires, notamment les directeurs des commissions nationales sur le sida (CNS) et des organisations de la société civile (OSC) d’Afrique du Sud, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, de la République démocratique du Congo (RDC), d’Eswatini, du Ghana, de Guinée-Bissau, du Kenya, du Malawi, du Mali, du Mozambique, du Nigeria, du Rwanda, du Sénégal, du Sud-Soudan, de Tanzanie, d’Ouganda, de Zambie et du Zimbabwe. Parmi les autres participants figuraient le Bureau de circonscription africain pour le Fonds Mondial (ACB), le Fonds Mondial, l’ONUSIDA et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). Les invités d’honneur étaient le Dr Jean-Jacques Mbungani Mbanda, ministre de la Santé publique de la RDC et nouveau membre du Conseil d’administration du Fonds Mondial représentant la région de l’Afrique occidentale et centrale (AOC) ; Eamonn Murphy, directeur exécutif adjoint de l’ONUSIDA ; et Ruth Masha, directrice de NACC Kenya représentant le secrétaire permanent du ministère de la Santé du Kenya.
Un résumé de la réponse au VIH en Afrique subsaharienne
Le Dr Fodé Simaga, de l’ONUSIDA, a déclaré à la réunion qu’au cours des quarante années écoulées depuis le début de l’épidémie de VIH, 76 millions de personnes ont été infectées par le virus et que 33 millions d’entre elles sont mortes du sida. En 2002, il y a eu 1.500.000 nouvelles infections et 680.000 décès. Chaque jour, on dénombre 4 000 nouvelles infections par le VIH, tant chez les enfants que chez les adultes. Sur ce total, 60 % se trouvent en Afrique subsaharienne, 10 % chez les enfants de moins de 15 ans et 90 % chez les adultes de 15 ans et plus, dont 51 % sont des femmes. Les jeunes, en particulier les jeunes femmes, représentent de manière disproportionnée une proportion plus élevée des nouvelles infections par le VIH. En effet, les jeunes de 15 à 24 ans représentent 31% des nouvelles infections au VIH chez les adultes, tandis que les jeunes femmes de la même tranche d’âge en représentent 20%.
Selon M. Simaga, les populations clés représentent 40 % des nouvelles infections au VIH dans la région, tandis que les adolescentes et les jeunes femmes représentent la majorité des 60 % restants. Cependant, il est difficile d’atteindre ces groupes vulnérables par la prévention, le dépistage et le traitement du VIH. Il est donc nécessaire de donner la priorité à la prévention du VIH parmi les personnes vivant avec le VIH et les jeunes femmes si l’on veut atteindre les objectifs de 2025.
M. Simaga a noté que, si des fonds sont disponibles pour la prévention du VIH ciblant ces groupes, les obstacles juridiques et politiques existants dans les pays constituent une contrainte. Il a souligné la nécessité d’un engagement plus important et de meilleure qualité des communautés, y compris des religieux et des guérisseurs traditionnels, pour travailler à une vision partagée d’un programme commun de prévention et de traitement. Il a conclu en indiquant que la demande d’interventions de prévention, telles que la fourniture de préservatifs, a diminué et que les pays devront donner la priorité à la prévention s’ils veulent recevoir davantage de fonds pour les activités liées à la prévention.
Expériences et défis des pays dans la mise en œuvre de la prestation de services différenciée
Depuis 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l’adoption de la prestation de services différenciés (DSD) pour le traitement du VIH. La DSD est définie comme “une approche centrée sur le client qui simplifie et adapte les services de VIH tout au long de la cascade, de manière à la fois à mieux répondre aux besoins des personnes vivant avec le VIH et à réduire les charges inutiles pesant sur le système de santé”. Au cours de la réunion de Nairobi, les participants ont réfléchi aux difficultés rencontrées par leurs pays pour fournir des services de prévention, de dépistage et de traitement du VIH par le biais de modalités de la prestation de services différenciés et ont identifié les possibilités d’améliorer l’état de la mise en œuvre du la prestation de services différenciés.
Le Dr Akudo Ikpeazu, directeur de l’Agence nationale de lutte contre le sida du Nigeria, a déclaré que le DSD avait contribué à aider le pays à faire passer le nombre de personnes utilisant un traitement antirétroviral (ARV) d’environ un demi-million à 1,7 million sur une période de cinq ans. L’intégration du prestation de services différenciésdans les services de lutte contre le VIH a permis au Nigéria d’étendre la fourniture de services de lutte contre le VIH à différents groupes, notamment les femmes enceintes, les mères allaitantes, les enfants, les adolescents et les personnes vivant avec le VIH. Selon M. Ikpeazu, pour une mise en œuvre réussie du prestation de services différenciés, les pays doivent tenir compte des éléments suivants
- Fonder la la prestation de services différenciés sur des politiques, des lignes directrices et des manuels opérationnels solides qui précisent le ” comment ” de la mise en œuvre.
- Établir des mécanismes de coordination des prestations de services différenciés aux niveaux national, sous-national et communautaire pour améliorer la responsabilité à chaque niveau.
- Mettre en place des outils et des systèmes de données appropriés pour aider à saisir et à rendre compte de la mise en œuvre du la prestation de services différenciés
- Améliorer les systèmes de gestion des achats et de la chaîne d’approvisionnement afin de garantir la disponibilité des produits de santé.
- Mettre en place des systèmes de prestation de services de laboratoire appropriés.
Des participants d’autres pays ont fait part de leur expérience de la mise en œuvre des prestations de services différenciés. Par exemple, au Cameroun, la prestation de services différenciés a permis la création d’objectifs supplémentaires qui ont aidé le ministère de la Santé à plaider en faveur d’une augmentation des ressources financières pour couvrir les coûts de traitement des personnes nouvellement diagnostiquées séropositives. La RDC expérimente actuellement l’utilisation de kits d’auto-dépistage du VIH et de tests assistés pour les personnes qui ne peuvent pas s’auto-diagnostiquer. Le pays a élaboré une politique visant à impliquer les communautés dans la mise en œuvre des prestations de services différenciés dans les régions à forte prévalence du VIH ; des chefs communautaires bénévoles ont été formés pour proposer la prestation de services différenciés au niveau communautaire, tandis que les OSC se sont engagées dans la promotion de l’auto-dépistage. En Afrique du Sud, la mise en œuvre des prestations de services différenciés a impliqué le renforcement de la gouvernance et du leadership communautaires pour garantir l’appropriation par la communauté. Cela a été rendu possible par la mise en place du cadre juridique de soutien nécessaire ; par exemple, le pays a instauré la distribution sur plusieurs mois (MMD) en établissant une politique de distribution des médicaments antirétroviraux sur six mois et a fourni un financement pour soutenir la fourniture durable des prestations de services différenciés.
Toutefois, les participants ont également identifié les défis qui entravent la mise en œuvre des prestations de services différenciés. Il s’agit notamment du fait que les programmes de DSD ne sont toujours pas largement acceptés par les ministères de la Santé et le personnel de santé, y compris les médecins, de l’implication insuffisante des OSC et du manque d’implication des communautés dans la répartition et le partage des tâches. Les problèmes liés à l’approvisionnement et à la chaîne d’approvisionnement ont également été relevés comme un facteur clé entravant la réussite des interventions de la prestation de services différenciés.
Messages clés concernant la septième reconstitution des ressources du Fonds Mondial et le financement national
Les participants ont affirmé l’importance pour les pays d’offrir leur soutien à un Fonds Mondial entièrement financé si le monde veut atteindre les objectifs de 2025 et se remettre sur la voie de l’éradication du sida d’ici 2030. Cela signifie que tout le monde doit s’unir pour assurer le succès de la septième reconstitution. Les participants ont également convenu de la nécessité pour les pays de donner la priorité aux programmes VIH fondés sur des données probantes afin de lutter contre les inégalités parmi les personnes les plus vulnérables et les plus touchées par l’épidémie. Ces programmes de lutte contre le VIH doivent utiliser les connaissances, les innovations et les stratégies les plus récentes pour s’attaquer aux inégalités entre les jeunes filles et les jeunes femmes, les personnes âgées, les enfants et les hommes. En outre, les pays d’Afrique doivent cibler les adolescents et les jeunes, les personnes vivant avec le VIH – en particulier celles vivant en milieu fermé – les femmes enceintes et les enfants en leur offrant des services de prévention et de traitement du VIH adaptés au contexte.
La réunion a souligné la nécessité pour les pays d’élargir leur partenariat avec les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) afin de susciter un engagement politique en faveur d’un Fonds Mondial entièrement financé. Outre l’engagement politique nécessaire à la réussite de la reconstitution du Fonds Mondial, les CDC d’Afrique renforcent le financement de la sécurité sanitaire du continent en encourageant la mobilisation des ressources nationales et en incitant le secteur privé à financer les programmes de santé.
Les participants ont également exprimé le besoin d’un leadership, d’une coordination, d’une information, d’un développement politique et d’un partage des connaissances plus forts au niveau mondial pour guider la réponse mondiale au sida. Cet objectif ne peut être atteint sans un financement adéquat des principales institutions mondiales, telles que l’ONUSIDA, et sans la mobilisation des efforts nationaux en faveur de l’impact des investissements du Fonds Mondial à l’échelon national et de l’optimisation des investissements des partenaires nationaux et internationaux dans la lutte contre le VIH.
Sur la base des enseignements tirés de la pandémie de COVID-19, les participants ont noté l’importance de créer un environnement favorable à la production locale de produits et de technologies de santé. Ils ont également souligné la valeur de la mise en place, aux niveaux national et infranational, de systèmes de santé résilients et durables, essentiels à la lutte contre le VIH. Les participants ont également constaté la nécessité d’augmenter le financement national pour assurer la durabilité et l’appropriation par les pays de la lutte contre le VIH, conformément à l’appel à l’action lancé par le sommet de l’AOC sur le VIH pour réinventer la réponse à la pandémie de VIH et mettre fin au sida dans la région. Le sommet de haut niveau, qui s’est tenu du 31 octobre au 2 novembre 2021 à Dakar, au Sénégal, s’est notamment engagé à augmenter de 33 % les ressources nationales et internationales consacrées au VIH dans la région de l’AOC d’ici 2025 et à supprimer les obstacles financiers qui empêchent les personnes vivant avec le VIH d’accéder aux services de santé.
Les participants ont convenu d’utiliser plusieurs canaux pour diffuser les messages de la réunion.
Enfin, la réunion s’est terminée par la décision des participants d’utiliser divers moyens pour transmettre ses messages clés aux chefs d’État, aux ministres de la santé et des finances, aux secrétaires de cabinet, aux OSC et aux organisations bilatérales et multilatérales. Les participants se sont engagés à convoquer une réunion multipartite au niveau national pour faire le point sur la réunion et informer les parties prenantes nationales des possibilités offertes par la septième reconstitution des ressources. Pour lancer cet exercice, les participants examineront l’état des engagements précédents pour la sixième reconstitution des ressources (pour en savoir plus sur l’état des engagements, lisez notre article sur les engagements du président Biden pour la septième reconstitution des ressources du Fonds Mondial dans ce numéro de l’OFM) et, tout en reconnaissant les défis auxquels les pays sont actuellement confrontés, ils plaideront pour que ceux qui n’ont pas respecté leurs engagements le fassent. Ensuite, ils développeront et diffuseront une stratégie de plaidoyer visant à accroître les garanties pour la septième reconstitution, en créant une prise de conscience par le biais, par exemple, de communiqués de presse. Le point culminant de cette démarche sera la préparation d’une participation gouvernementale de haut niveau à la conférence de la septième reconstitution des ressources.
Tout en faisant pression pour une augmentation du financement du Fonds Mondial, les participants plaideront également pour que les pays augmentent leur propre financement national pour le VIH. C’est aussi une occasion pour les parties prenantes de plaider pour que leurs pays fournissent un financement complémentaire à l’ONUSIDA afin d’aider les pays à obtenir les résultats programmatiques nécessaires à partir des investissements dans la lutte contre le VIH ; bien que, compte tenu des contraintes financières existantes résultant de la récession économique causée par le COVID-19, il est peu probable que cela se produise.