Les communautés signalent une diminution du soutien du Fonds mondial et d’autres donateurs
Author:
David Garmaise
Article Type:Article Number: 4
Une économie en croissance n’est pas synonyme d’augmentation du soutien national aux communautés
RÉSUMÉ Dans de nombreuses économies en croissance, les critères d’admissibilité établis par les donateurs ont entraîné le retrait de ces donateurs, selon un rapport préparé pour le Conseil de coordination du Programme ONUSIDA sur les difficultés liées au financement de la riposte communautaire au VIH. Mais une économie en croissance ne se traduit pas automatiquement par une augmentation du soutien national aux communautés.
« Dans les pays qui connaissent une croissance économique, les communautés ont le douloureux sentiment que les donateurs se retirent et les abandonnent… Ce processus, qui est dû aux critères définis par les donateurs pour pouvoir prétendre à des financements, est confirmé par le niveau des décaissements destinés à certains pays. Pourtant, les communautés savent bien que la croissance économique ne s’accompagne pas nécessairement d’une augmentation des financements nationaux affectés aux actions qu’elles mènent contre le VIH. »
C’est là un des nombreux défis du financement de la riposte communautaire au VIH identifiés dans un rapport préparé pour le Conseil de coordination du programme ONUSIDA en novembre 2016 (Rapport du représentant des ONG – La fin de l’épidémie de sida d’ici 2030 : un scénario peu probable sans un financement durable des actions communautaires).
Ce rapport est le résultat de consultations régionales et d’une enquête mondiale en ligne menées par les membres de la délégation représentant les ONG au Conseil de coordination du programme. Les consultations régionales ont pris la forme d’entretiens structurés avec 30 parties prenantes clés. Quant à l’enquête, 156 répondants de plus de 60 pays y ont participé.
Les participants à l’enquête ont indiqué avoir observé une baisse générale des financements provenant de donateurs internationaux. Cinquante-trois pour cent d’entre eux ont déclaré ne plus pouvoir bénéficier du soutien du Fonds mondial, 26 % ont déclaré avoir perdu des financements du système des Nations Unies, 24 % ont déclaré avoir perdu des financements de donateurs privés, 12 % ont déclaré avoir perdu des financements bilatéraux, et 12 % ont déclaré avoir perdu des financements de leur propre gouvernement. Selon le rapport, cette tendance est plus marquée dans les régions où les donateurs se retirent progressivement de pays qui seraient en train de passer du statut de pays à faible revenu ou de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure à celui de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ou de pays à revenu élevé.
« Le Fonds mondial se désengage de la région [Europe orientale et Asie centrale] », a déclaré Michael Krone d’AIDS Action Europe (tel que cité dans le rapport). « La plupart des pays en transition, ou ceux qui ont déjà dû s’affranchir de l’aide du Fonds mondial, ne mettent pas en place les mécanismes permettant de remplacer l’argent du Fonds par des ressources nationales pour financer le travail de prévention, en particulier celui qui est effectué par les communautés. La plupart des ressources nationales sont consacrées aux traitements. Le réseau Open Society Foundations et d’autres bailleurs de fonds privés ont mis fin à leurs activités en Russie et il est difficile pour les communautés et la société civile d’accéder à des fonds provenant de ces sources dans d’autres pays en raison du contexte politique ou juridique difficile. »
En octobre 2016, le Fonds mondial a préparé une liste de 34 composantes de 25 pays qui étaient soit devenues inadmissibles depuis les allocations 2014/2016, soit dont on prévoyait qu’elles deviendraient inadmissibles d’ici 2025. Selon le rapport préparé pour le Conseil de coordination du programme ONUSIDA, ces composantes représentent environ un cinquième à un quart de tous les pays récipiendaires de subventions du Fonds mondial. « Ce sont (…) pays dans lesquels les activités des communautés et des populations clés risquent fortement de ne plus être financées », peut-on lire dans le rapport.
« Cela signifie non seulement moins de moyens pour les activités, mais aussi la disparition complète de certaines activités, comme la sensibilisation et la prestation de services, et de certaines organisations », selon M. Krone.
Note de la rédaction : Bien qu’il soit exact de dire que ces 25 pays représentent environ un cinquième à un quart de tous les pays récipiendaires, il convient de noter qu’en termes de financement réel, les 34 composantes ont reçu 2,1 pour cent à peine des allocations totales pour 2014/2016.
« Ce que nous voyons dans le pays depuis que les budgets ont diminué, ce sont des provinces ou des districts, qui dans le passé proposaient des services. Maintenant, ces services ne sont plus assurés que dans cinq districts », commente pour sa part Shiba Phurailatpam, coordinatrice régionale du Réseau des personnes vivant avec le VIH dans la région Asie-Pacifique (APN+). « En plus, dans le passé, vous aviez 20 travailleurs de proximité contre seulement trois maintenant. Ce genre de changement est très visible pour les réseaux de personnes vivant avec le VIH. »
« Le pire [dans les pays où le Fonds mondial cesse d’intervenir], c’est que les autres donateurs suivent le mouvement et réduisent aussi leurs budgets pour cette activité », déplore Igor Gordon, qui dirige l’équipe de renforcement des effectifs et des communautés d’Eurasian Harm Reduction Network.
On peut lire dans le rapport que dans la riposte au VIH, ‘il n’y a pas assez de coordination parmi les donateurs ou les structures de soutien aux communautés pour atténuer suffisamment les effets des baisses de financement sur les communautés concernées.
« La réalité de la « transition » est une possible disparition de la riposte communautaire », indique le rapport. « Il y a là une absence de logique, au vu du consensus mondial sur l’importance de la riposte communautaire au VIH… Une menace sérieuse pèse sur notre aspiration à mettre fin à l’épidémie de sida d’ici 2030 et même 2080. L’affirmation de l’importance des communautés dans la riposte doit être accompagnée d’une augmentation des investissements, et non de leur diminution. »
Financement des activités de sensibilisation
Pour les bailleurs de fonds, les activités de sensibilisation sont souvent plus « souhaitables » que « nécessaires », selon le rapport. « Pour les communautés en revanche, elles sont « tout à fait nécessaires » et l’ont toujours été. À cause de ce décalage, le travail de sensibilisation effectué par les communautés – un travail qu’aucun autre acteur ne fait mieux – est largement sous-financé, voire pas du tout financé. »
Pour les pays en train de planifier leur transition, explique le rapport, il est important de renforcer les capacités de persuasion des communautés, d’autant plus lorsque les gouvernements sont peu enclins à soutenir des populations marginalisées. « Les donateurs internationaux sur le point de se désengager d’un pays devraient soutenir en priorité les activités de sensibilisation. »
Le rapport suggère d’exiger des récipiendaires les plus importants des subventions du Fonds mondial qu’ils réservent une partie des fonds pour les programmes de sensibilisation, plutôt que simplement les inciter à le faire, comme cela est le cas actuellement.
Dans la mesure où ses propres capacités tendent à diminuer, l’ONUSIDA devrait, d’une part, transférer le rôle de ses bureaux de pays en matière de politique et de coordination à des structures communautaires solides et dotées de moyens, et d’autre part, s’assurer que ces structures sont en place avant de réduire ses effectifs ou de quitter le pays. Le rapport estime qu’à l’appui de ces financements, les donateurs devraient investir dans une évaluation globale des programmes de sensibilisation, afin que l’impact de ces programmes puisse être démontré encore plus clairement.
Le rapport remarque que l’architecture du financement de la riposte au VIH a changé la dynamique du pouvoir au sein de la communauté, en ce qu’elle a dépolitisé l’action communautaire en réunissant prestation de services et activités de sensibilisation. Lorsque des organisations acceptent des fonds pour financer la prestation de services, leur capacité à être assumer le rôle pourtant nécessaire de porte-parole de leurs communautés est souvent compromise.
Autres difficultés
Le rapport identifie notamment les autres difficultés suivantes :
- Attentes et priorités des donateurs. Les donateurs ont tendance à nourrir pour les récipiendaires des attentes qui ne sont pas alignées sur les capacités ou la réalité des organisations à assise communautaire. Les financement vont généralement aux organisations qui répondent le mieux aux attentes des donateurs, et sont souvent acheminés par le biais de grandes ONG ou des gouvernements. Cela peut avoir pour conséquences d’isoler la plupart des associations locales ou de réduire considérablement le montant des financements qui parviennent aux communautés. Si les organisations communautaires veulent survivre, elles doivent accepter les priorités et les indicateurs de réussite des donateurs. Les organisations communautaires devront peut-être aussi réorienter une partie importante de leur travail pour satisfaire aux exigences contraignantes des donateurs en matière de suivi et de rapports, ce qui aura pour effet de les éloigner de leur activité principale.
- Les environnements politiques et juridiques défavorables sont peut-être le problème le plus important et le plus difficile auquel sont confrontées les organisations communautaires, en particulier celles qui travaillent pour des populations clés et vulnérables. Il est urgent que les institutions et les États membres des Nations Unies mènent une enquête approfondie et prennent des mesures en ce qui concerne les obstacles politiques, juridiques et portant atteinte aux droits de l’homme qui persistent dans tous les pays. Les environnements dans lesquels la riposte communautaire au VIH rencontre des problèmes sont généralement caractérisés par un piètre bilan en matière de droits de l’homme, une criminalisation des personnes vivant avec le VIH ou plus exposées au risque d’infection, et une faible participation de la société civile dans son ensemble aux processus décisionnels. Les menaces et autres complications liées à la mise en œuvre de programmes destinés à des populations criminalisées peuvent, d’une part, dissuader les organisations communautaires de simplement demander des financements, et d’autre part, les grandes ONG de mettre en œuvre des programmes pour ces communautés. Ces conditions peuvent en outre inciter, voire forcer, des donateurs internationaux à se désengager prématurément du pays.
- Accès au financement. Les participants à l’enquête venant de pays à revenu faible ou intermédiaire ont indiqué dans leur grande majorité que les communautés devaient généralement collaborer avec une grande ONG ou un autre organisme non communautaire pour accéder à des financements. Pour pouvoir prétendre aux financements de la plupart des donateurs, les organisations doivent avoir un statut officiel et avoir mis en place des procédures de contrôle financier. Bien que la nécessité de telles garanties apparaisse évidente, les attentes des bailleurs de fonds sont en décalage avec la réalité de nombreux acteurs de la riposte communautaire. Pour certains groupes clés, se faire enregistrer ou mettre en place des protocoles financiers solides peut s’avérer impossible, car il ne s’agit pas d’organisations au sens traditionnel du terme, mais plutôt de réseaux ou d’associations informelles regroupant des personnes concernées.
- La gestion des risques est une préoccupation commune des donateurs et des communautés. Cependant, les donateurs exigent trop souvent des communautés des scénarios comportant un minimum de risques voire aucun, des scénarios qui cherchent à faire appliquer par de petits groupes communautaires les règles de grandes structures complexes et dotées de moyens importants. Cette approche, qui place la barre trop haut, est en décalage avec la nature et les atouts des organisations communautaires. L’action communautaire est vouée à l’échec car les donateurs ne tiennent pas compte des risques réels associés au contexte dans lequel opèrent les communautés.
Dans sa stratégie 2017/2022, le Fonds mondial déclare que « la société civile et les communautés doivent jouer un rôle central dans la conception, la mise en œuvre et le suivi stratégique de la riposte, y compris la prestation de services au niveau communautaire ».