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Se risquer ou ne pas se risquer, telle est la question ?
OFM Edition 125

Se risquer ou ne pas se risquer, telle est la question ?

Author:

Aidspan

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 2

Pourquoi notre difficultĆ© Ć  incarner le risque menace aujourd’hui notre intelligence collective et notre engagement

RƉSUMƉ Le cadre de gestion des risques a Ć©tĆ© revu l’an dernier suite Ć  l’accroissement des risques engendrĆ©s par la COVID-19. Cependant, au-delĆ  des documents et des outils mis en place par le Fonds mondial, il est urgent d’ouvrir la discussion au sein de l’institution, depuis le Board jusque sur le terrain, afin de changer de perspective, de passer d’une politique de rĆ©pression Ć  une rĆ©flexion sur la responsabilitĆ© des acteurs, et de placer le curseur sur le risque opĆ©rationnel des retards de mise en œuvre, qui affectent de nombreux pays, au dĆ©triment des bĆ©nĆ©ficiaires.

2022 est une annĆ©e de Reconstitution des ressources au Fonds mondial, une annĆ©e charniĆØre pour tous les acteurs de la lutte contre les 3 pandĆ©mies. Comme l’a rappelĆ© le Directeur GĆ©nĆ©ral Peter Sands lors de son rapport au conseil d’administration en novembre dernier, cette reconstitution est celle de tous les dangersĀ : elle intervient alors que le Fonds mondial n’a cessĆ© de rĆ©colter des fonds ces deux derniĆØres annĆ©es dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, dans un contexte Ć©conomique mondial fragilisĆ© par 2 ans de pandĆ©mie, et soutenu par un bilan moins flatteur que prĆ©vu. A cela s’ajoute la crainte, vĆ©cue tous les 3 ans, que les allocations octroyĆ©es aux pays ne soient pas dĆ©pensĆ©es, aggravĆ©e par l’arrivĆ©e des fonds de riposte Ć  la COVID, dont la mise en œuvre a dĆ©butĆ© poussivement au dernier trimestre 2021.

Ce cycle frĆ©nĆ©tique, qui se rĆ©pĆØte tous les 3 ans, et la pression Ć  laquelle est soumis le SecrĆ©tariat, de dĆ©penser les fonds de maniĆØre stratĆ©gique et sans risque financier, ont de nombreuses consĆ©quences sur la qualitĆ© de la mise en œuvre, les opportunitĆ©s de rĆ©orientation d’activitĆ©s jugĆ©es dĆ©passĆ©es, ou encore la capacitĆ© Ć  s’interroger sur le bien-fondĆ© de nos modus operandi. Victimes d’injonctions contradictoires, les parties prenantes sont priĆ©es de mettre en œuvre le plus rapidement possible, tout en veillant Ć  ce que les fonds soient gĆ©rĆ©s correctement, et que les risques soient maĆ®trisĆ©s. Or, gestion des risques et agilitĆ© de la mise en œuvre sont inversement proportionnels, et cette discussion sur la nature du risqueĀ (rĆ©putationnel, financier et opĆ©rationnel) n’a pas lieu dans les pays. On le regrette, car elle responsabiliserait les acteurs de mise en œuvre et les pays bĆ©nĆ©ficiaires, au lieu de les placer gĆ©nĆ©ralement dans une position d’élĆØve pris en faute par les agents du Fonds mondial. Elle n’a pas vraiment lieu non plus au SecrĆ©tariat, la peur d’être pris en dĆ©faut de surveillance prenant le pas sur le reste. Enfin, elle n’est discutĆ©e au Board que sur un registre global de l’appĆ©tence au risque, dont on sent que celle-ci reste trĆØs faible. Mais Ć  trop embrasser on Ć©treint peu… l’ambition du risque financier 0 tue celle d’un risque opĆ©rationnel maĆ®trisĆ©.

La gestion du risque financier peut-elle être revue et devenir une priorité des acteurs du pays ?

Le cadre de gestion des risques est trĆØs complet et il a Ć©tĆ© revu en 2021 suite aux risques croissants encourus par le Fonds mondial dans le contexte de la COVID-19. Une Ć©quipe est en place Ć  GenĆØve pour crĆ©er et mettre Ć  jour les outils, et soutenir les Ć©quipes pays dans les activitĆ©s d’attĆ©nuation des risques. Par ailleurs, les agences fiscales et les Agents locaux du Fonds travaillent dans les pays bĆ©nĆ©ficiaires afin d’encadrer l’engagement des dĆ©penses, leur bonne justification, traquer la fraude, et vĆ©rifier que les effets attendus sont bien visibles. Le Bureau de l’Inspecteur GĆ©nĆ©ral quant Ć  lui lance une dizaine d’audits chaque annĆ©e et publie les rapports sur le site du Fonds mondial. On comprend que la gestion du risque, en particulier financier, est trĆØs encadrĆ©e et qu’elle gĆ©nĆØre tout un Ć©cosystĆØme d’acteurs et de modĆØles utiles mais coĆ»teux. Une partie de ces dĆ©penses est financĆ©e par la subvention (notamment le travail de l’agence fiscale et les audits annuels), cā€˜est-Ć -dire par les pays bĆ©nĆ©ficiaires, qui n’en n’ont pourtant pas la maĆ®trise. Or, nous devons reconnaĆ®tre que ce systĆØme prĆ©sente d’importantes faillesĀ :

D’abord, cet ensemble de procĆ©dures et d’acteurs de vĆ©rification n’empĆŖche pas la fraude, il la rend plus difficile, et de ce fait plus Ć©laborĆ©e et inventive. La simple lecture des 10 derniers rapports d’audit du BIG montre l’envergure de certaines fraudes, autant commises par des acteurs locaux qu’au sein de bĆ©nĆ©ficiaires principaux internationaux. Les niveaux de corruption atteints dans certains pays sont tels qu’il est presque impossible de les juguler, car ils pĆ©nĆØtrent tout le systĆØme et sont devenus des modus operandi Ć  part entiĆØre avec lesquels les acteurs du systĆØme composent. Dans ce cas, on sait que les mesures d’attĆ©nuation des risques sont utiles, mais pas suffisantes. Ce serait pire sans ces mesures, mais le prix (coĆ»t des agence fiscales, des LFA, des audits, retard dans la mise en œuvre des activitĆ©s, abandon dĆØs le grant making des activitĆ©s jugĆ©es trop « dangereusesĀ Ā» alors qu’elles sont pertinentes sur le plan programmatique) est Ć©levĆ©.

Ensuite, cet ensemble de procĆ©dures et d’acteurs est descendante, plaƧant toujours les acteurs de mise en œuvre dans une position de suspect potentiel, habitĆ© par la crainte qu’une action mal menĆ©e ne leur soit reprochĆ©e. La gestion du risque n’est pas « enseignĆ©eĀ Ā» sur le terrain ni mĆŖme aux Ć©quipes pays, elle n’est pas un sujet de discussion pendant le dialogue pays, ni pendant le grant making. Le pays propose, et l’agent local du Fonds dispose, dans ce cas, il choisit de recommander -ou pas- ce qui lui semble Ć  la fois pertinent et facilement contrĆ“lable. Durant la mise en œuvre, l’agent fiscal reprend toutes les activitĆ©s et corrige les erreurs, sans toujours prendre le temps d’expliquer et de former. Les agents fiscaux rĆ©pondent Ć  leur siĆØge en Europe ou aux Etats-Unis, ils savent que toute erreur leur est fatale, et ils agissent plus comme des traqueurs d’erreurs que comme des coachs. Quant Ć  l’agent local, il rĆ©pond directement au Fonds mondial et se tient en marge des acteurs de mise en œuvre, dont il Ć©value le travail. LĆ  encore, il s’agit d’une relation descendante, et asymĆ©trique. On se demande dans quelle mesure cette architecture, où tout le monde semble craindre la fraude, produit de l’intelligence collective. Les donateurs au Board sont le plus souvent dĆ©jĆ  confrontĆ©s Ć  la corruption dans les activitĆ©s qu’ils financentĀ : les partenaires bilatĆ©raux financent des milliers de projets dans les pays en dĆ©veloppement et savent parfaitement que le risque existe. On les mĆ©nage, afin de s’assurer qu’ils continueront de contribuer, mais ils ne sont pas suffisamment mis Ć  contribution pour chercher des solutions qu’ils mettent peut-ĆŖtre en place dans les programmes financĆ©s par leurs pays. Les Ć©quipes pays et le dĆ©partement du risque craignent d’être pris en dĆ©faut, alors qu’il est difficile – voire impossible – de gĆ©rer le risque depuis GenĆØve. Sur le terrain, agent fiscal et agent du Fonds travaillent sous la double pression de leur hiĆ©rarchie (qui souhaite sauvegarder sa place de prestataire de services du Fonds mondial) et de l’équipe pays du Fonds mondial, avec une efficacitĆ© remise en question parfois par les audits du BIG.

Or la question du risque, en particulier financier, incombe Ć  tous, comme celle de la sĆ©curitĆ© ne dĆ©pend pas uniquement du point focal du mĆŖme nom. Chaque membre d’une Ć©quipe de PR et de SR, chaque ministĆØre, chaque Cour des comptes, Inspection GĆ©nĆ©rale de la SantĆ©, est en fait concernĆ©e par cette question. Ils savent mieux que personne les risques qu’ils encourent, et ils doivent prendre leur part de responsabilitĆ©, pas juste payer lorsque la fraude est avĆ©rĆ©e. Si le risque est traitĆ© comme un sujet parmi d’autres, et pour lequel chacun d’entre nous a sa part, qui renforce la gouvernance, la transparence et la confiance que les bailleurs ont dans un pays, il fera peut-ĆŖtre son nid. Ne pas faire de la gestion du risque un sujet « venu de GenĆØveĀ Ā», prĆ©sentĆ© comme contraignant, inutilement complexe, porteur de relations inĆ©gales parfois mĆŖme perƧues comme nĆ©ocolonialistes est urgent. C’est une des maniĆØres de rendre ce sujet pĆ©renne, et de renvoyer en premier lieu la responsabilitĆ© aux dirigeants des pays bĆ©nĆ©ficiaires. Pas uniquement Ć  l’heure de l’addition quand il faut rembourser, mais dans l’exercice ardu de la mise en place de bonnes habitudes de gestion, de discussions autour des mesures d’exemplaritĆ©, de la notion de redevabilitĆ© envers les bĆ©nĆ©ficiaires. Sortir en quelque sorte la question du risque du seul caractĆØre financier, pour en faire un sujet plus large de politique au sens le plus nobleĀ : l’organisation des services dans la citĆ©.

La gestion du risque opƩrationnelle, ouvrons franchement la discussion

Les 2 annĆ©es de COVID-19 ont fait courir de grands risques aux activitĆ©s planifiĆ©es durant le cycle actuel du NFM3. Et l’ajout des activitĆ©s des subventions issues du mĆ©canisme de rĆ©ponse d’urgence C19RM en 2020 et 2021 a amplifiĆ© ce risque puisque ce sont les mĆŖmes bĆ©nĆ©ficiaires principaux qui ont Ć©tĆ© choisis. Aujourd’hui, de nombreux PR ont pris du retard, du fait d’une annĆ©e 2021 amputĆ©e par la conduite du processus d’élaboration de la demande de financement C19RM. Ils sont maintenant sommĆ©s d’accĆ©lĆ©rer la mise en œuvre Ć  la fois sur les subventions du NFM3 et de la COVID, dans des contextes ou cette derniĆØre tend Ć  s’amenuir, ce qui rend certaines activitĆ©s caduques ou partiellement inutiles. Mais cette accĆ©lĆ©ration est le plus souvent ralentie par de nombreuses procĆ©dures visant Ć  attĆ©nuer le risque. Les rĆ©visions intempestives de termes de rĆ©fĆ©rence, les demandes d’avis de non-objection qui traĆ®nent, les demandes de justification des avances qui conditionnent le lancement de l’activitĆ© suivante…tout cela produit de nombreux retards, de multiples Ć©changes de mails, discussions tĆ©lĆ©phoniques, obstacles Ć  la mise en œuvre. ƇƠ et lĆ , certains agents fiscaux acceptent de courir un risque ponctuel, pour revenir trĆØs vite Ć  la normale. Et sans que le risque opĆ©rationnel liĆ© aux retards ne soit calculĆ©.

En effet, les taux d’absorption qui ne dĆ©passent pas les 50 ou 60% pour la riposte Ć  la COVID ne sont pas des « économiesĀ Ā» comme les Ć©quipes pays ont l’habitude de les nommer. Ce sont en fait de nombreuses opportunitĆ©s manquĆ©es, d’offrir des services que l’on croyait utiles, aux bĆ©nĆ©ficiaires. Chaque activitĆ© annulĆ©e ou amputĆ©e est un droit retirĆ© Ć  une communautĆ©, au risque de ne plus rĆ©pondre aux besoins identifiĆ©s pendant l’élaboration de la demande. N’est-ce pas lĆ  le risque absolu pour le Fonds mondial et son partenariatĀ ? Risque rĆ©putationnel, celui de ne pas tenir ses promesses de servir les plus vulnĆ©rablesĀ ; risque opĆ©rationnel, de ne pas contribuer Ć  Ć©liminer comme il le devrait les 3 maladiesĀ ? Risque moral, d’avoir certes protĆ©gĆ© les ressources, mais de l’avoir fait au dĆ©triment des plus fragiles.

Pour Ć©viter ce cas de conscience intenable il nous faut rĆ©flĆ©chir en tant que partenaires, sans craindre de regarder les problĆØmes en face, et en plaƧant le dĆ©bat au bon niveau. Les partenaires au Board jouent un rĆ“le fondamentalĀ : les communautĆ©s y sont reprĆ©sentĆ©es, elles doivent questionner le rythme de mise en œuvre, les outils employĆ©s pour gĆ©rer le risque, et faire un plaidoyer pour une simplification des procĆ©duresĀ ; les donateurs doivent regarder le problĆØme du risque en face et reconnaĆ®tre que ce dernier se traduira par des situations inconfortables de fraude, qu’elles analyseront, condamneront, dont elles suivront la rĆ©solution, sans pour autant faire peser sur le SecrĆ©tariat le poids de la menace de leur retraitĀ ; les dĆ©lĆ©gations des pays bĆ©nĆ©ficiaires ont une grande responsabilitĆ© dans la maniĆØre dont elles doivent sensibiliser les ministĆØres des pays de leur zone, les former si besoins est sur les exigences du Fonds mondial, et les inciter Ć  la transparence.

Sur le terrain, il existe des opportunitĆ©s pour que chacun se saisisse de la question du risqueĀ : pourquoi ne pas l’ajouter lors du dialogue paysĀ ? On pourrait Ć©galement envisager de construire de maniĆØre collective une matrice des risques attachĆ©e Ć  la subvention, et sur laquelle chaque acteurs engagĆ© se responsabiliseraitĀ ; Enfin, utilisons les revues mensuelles, trimestrielles et semestrielles pour Ć©voquer le risque opĆ©rationnel, en particulier la non mise en œuvre des activitĆ©s, et la rĆ©orientation nĆ©cessaire d’enveloppes planifiĆ©es parfois 3 ans avant leur utilisation, dans un contexte changeant. La riposte Ć  la COVID est une bonne leƧon et un point de dĆ©part pour cette discussionĀ : doit-on s’entĆŖter Ć  acheter des millions de tests et d’équipements de protection, alors que l’épidĆ©mie ne semble plus ĆŖtre affecter gravement un certain nombre de paysĀ ? Comment rĆ©oriente-t-on les fonds vers des activitĆ©s de renforcement des acteurs de la rĆ©ponse aux urgences et vers le systĆØme de santĆ©, et ce dans un dĆ©lai suffisamment court pour permettre l’exĆ©cution des fonds avant dĆ©cembre 2023Ā ? En quelques mots, comment se risquer Ć  utiliser intelligemment les fonds octroyĆ©s, dans le but d’offrir aux patients des services de santĆ© les plus efficients, Ć©quitables et accessibles possibleĀ ?

La nouvelle stratĆ©gie 2023-2028 et sa mise en œuvre, ainsi que le prochain cycle de financement (NFM4) reprĆ©sentent une chance unique de poser autrement la question du risque, et de renouveler par lĆ -mĆŖme ce partenariat qui a montrĆ© ses succĆØs, mais dont la stratĆ©gie dit qu’il doit Ć©voluer sous peine de montrer ses limites.

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