Subscribe To Our Newsletter
Abonnez-vous Ć  notre bulletin
Le maintien des liens familiaux sociaux et familiaux est une composante essentielle de la lutte contre le VIH
OFM Edition 155

Le maintien des liens familiaux sociaux et familiaux est une composante essentielle de la lutte contre le VIH

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 3

Cet article met en lumière le rÓle prépondérant les liens familiaux et sociaux dans la lutte contre le VIH/SIDA.

Dans les annĆ©es 90, l’annonce de la sĆ©ropositivitĆ© Ć©tait trĆØs souvent suivie d’une rupture des liens sociaux et familiaux. Les reprĆ©sentations mortifĆØres autour de ce virus gĆ©nĆ©raient la stigmatisation, la marginalisation et la discrimination des personnes malades ou vivant avec le VIH (PVVIH). MĆŖme si ces personnes sont mieux acceptĆ©es depuis quelques annĆ©es, certaines reprĆ©sentations, perceptions et pratiques stigmatisantes et discriminatoires persistent. La sĆ©ropositivitĆ© est encore pour de nombreuses personnes l’expĆ©rience des prĆ©jugĆ©s, des commĆ©rages, des agressions verbales (les injures, l’utilisation d’un langage dĆ©sobligeant), des comportements d’évitement (le refus de partager la nourriture, de tenir la main ou de s’asseoir Ć  proximitĆ©), du rejet social (la marginalisation, le fait de tenir Ć  l’Ć©cart des Ć©vĆ©nements sociaux, des opinions ignorĆ©es, le dĆ©classement social), de la dĆ©liaison, de la rupture, de la sĆ©vĆØre condamnation hygiĆ©niste et morale et des abus physiques. Outre cette stigmatisation infligĆ©e par les autres, les PVVIH sont souvent en proie Ć  Ā« l’auto-stigmatisation Ā». Celle-ci se caractĆ©rise par de profonds sentiments de honte, de mĆ©sestime de soi, de culpabilitĆ©, etc. qui, chez les PVVIH, entrainent quelques fois la dĆ©pression, voire le suicide.

 

Le portait ci-dessus présenté est particulièrement manifeste en Afrique où les préjugés confortablement installés dans les esprits continuent de nécroser la vie de milliers de PVVIH.

 

La discrimination et la stigmatisation Ć  l’égard des PVVIH sont persistantes.

 

Le Rapport 2016 de l’étude nationale de l’index de stigmatisation et discrimination envers les personnes vivant avec le VIH en CĆ“te d’Ivoire rĆ©vĆØle que 40,4% de PVVIH estiment avoir vĆ©cu au moins une expĆ©rience de stigmatisation et/ou de discrimination. « 660 PVVIH interrogĆ©s sur 1323 ont ressenti au moins un des sentiments d’auto-stigmatisation citĆ©s ci-dessous, soit un taux d’auto-stigmatisation de 49,9%. La honte (33,2%), la culpabilitĆ© (30,8%), l’autocensure (26,0%), la piĆØtre estime de soi (13,6%), le blĆ¢me des autres (10,2%), le dĆ©sir de suicide (8,7%), l’autopunition (7,0%)Ā Ā» (p. 87).

 

Ces chiffres agrĆØgent en rĆ©alitĆ© des douleurs immenses. Le tĆ©moignage ci-dessous de deux PVVIH (pp. 61-62) de la ville de BouakĆ© en CĆ“te-d’Ivoire est Ć  cet Ć©gard Ć©loquentĀ :

  1. Ā« Moi j’ai commencĆ© ma maladie quand j’étais Abidjan dans ma belle-famille, bon j’ai commencĆ© par une tuberculose, bon j’étais trĆØs affaibli je partais au CAT d’AdjamĆ© lĆ , en tout cas c’était difficile, Ć  cause de la tuberculose seulement mĆŖme, eux-mĆŖmes savaient pas que c’était le vih, j’avais mes deux enfants avec moi lĆ -bas, ils ont voulu sĆ©parer les deux enfants de moi, mais le plus petit lui il pouvait pas mais le plus grand lui il disait si vous dites que ma maman a sida lĆ  en ce moment j’avais pas encore fait le test, si vous dites que ma maman a sida lĆ  si moi je meurs de Ƨa c’est normal, parce que lui il Ć©tait un peu plus grand il avait neuf ans, donc souvent il prend mes habits parce que j’étais trĆØs affaiblie. Quand il veut laver mes habits, on vient le chicoter. Laisse elle-mĆŖme elle va laver, je dis houm Ƨa lĆ  si je reste ici je vais mourir. Donc, j’ai appelĆ© mon mari. J’ai dit ah je suis malade, je viens Ć  BouakĆ©. Il dit vient. Donc, depuis je suis venue mĆŖme sans mĆ©dicament sincĆØrement mais avec le soutien que lui il m’apporte Ƨa fait que je me suis retrouvĆ©e. J’ai commencĆ© Ć  prendre mes mĆ©dicaments. Ā»
  2. Ā« …Il y a une autre aussi lĆ  c’est ces propres parents, tu sais quand on a dĆ©pistĆ© positive ils ont tous mis Ć  l’écart, en tout cas c’est pas facile, moi-mĆŖme quand je suis partie chez elle lĆ  vraiment en tout cas c’est pas facile, mais elle a pu surmonter, son assiette Ć  manger en tout cas tout Ć©tait Ć  part, tout est Ć  part, elle a eu quelqu’un qui devrait la marier ils sont venus dit que ah faut pas venir lĆ  et il n’a plus mariĆ©. Ā»

 

En RĆ©publique centrafricaine c’est le mĆŖme son de cloche.Ā 45,6% des enquĆŖtĆ©s en 2018 « indiquent avoir vĆ©cu, Ć  cause de leur statut sĆ©rologique, au moins une des diffĆ©rentes formes de stigmatisation de la part d’autres personnes. […] Les formes de stigmatisation les plus dĆ©criĆ©es par les enquĆŖtĆ©s sont par ordre de prioritĆ© le commĆ©rage (49,5%), l’injure ou menace verbale (34,3%), le harcĆØlement physique (17,2%) et dans une moindre mesure l’agression physique (13%). Ces quatre formes de stigmatisation sont le plus souvent exercĆ©es par l’entourage et les membres de la famille du PVVIH. […] Ces rĆ©sultats rĆ©vĆØlent un affaiblissement progressif des liens sociaux et familiaux de solidaritĆ© traditionnels entre les membres de la communautĆ© Ā» (p. 37).

 

Aujourd’hui, c’est bien moins la maladie en elle-mĆŖme (qui est de mieux en mieux prise en charge par la recherche et l’accessibilitĆ© des antirĆ©troviraux) que la crise du lien qui gĆ©nĆØre la mort. En fait, Ā« l’évidence Ā» du lien humain est Ć  diffĆ©rents endroits remis en cause par les reprĆ©sentations autour du VIH. Les Ā« cadres Ā» traditionnels et collectifs gĆ©nĆ©rateurs de liens, ceux-lĆ  qui faisaient tenir les humains ensemble malgrĆ© les cas de maladies, sont fragilisĆ©s par les imaginaires macabres qui entourent le VIH. Tout cet Ć©ventail de reprĆ©sentations sociales mortifĆØres et d’expĆ©riences stigmatisantes laisse assurĆ©ment sur la vie, la santĆ© et le bien-ĆŖtre des personnes vivant avec le VIH des traces dĆ©lĆ©tĆØres. Pire encore, ces reprĆ©sentations et expĆ©riences entravent considĆ©rablement la riposte au VIH Ć  chaque Ć©tapeĀ : prĆ©vention, dĆ©pistage prĆ©coce du VIH, adhĆ©sion Ć  la mĆ©dication, la rĆ©tention dans les soins, etc. (pp. 17-18).

 

Autant dire que l’ambiance et la toxicitĆ© du milieu familial s’avĆØrent parfois plus prĆ©occupante que la chronicitĆ© de la maladie elle-mĆŖme. En fait, nous touchons lĆ  l’une des principales difficultĆ©s de la lutte contre le VIH en AfriqueĀ : l’acte nĆ©crologique d’une PVVIH est souvent prĆ©cĆ©dĆ© d’une importante dĆ©tĆ©rioration de ses liens familiaux et sociaux. ƀ partir de ce constat on arrive inĆ©vitablement Ć  la conclusion que la sĆ©ropositivitĆ© en Afrique est loin d’être un dĆ©fi posĆ© au seul monde mĆ©dical Autrement dit, la lutte contre le VIH/SIDA ne saurait ĆŖtre rĆ©duite Ć  la seule dimension bio-mĆ©dicale. La « cliniqueĀ Ā» de l’accompagnement et du rĆ©tablissement des malades ou PVVIH exige des liens empreints d’attention, de bienveillance, de sollicitude, de soutien ou Ć  tout le moins de respect. PrĆ©server les liens avec les PVVIH contribue Ć  prĆ©server leur santĆ© ou Ć  soigner le sujet malade. C’est l’idĆ©e d’une Ć©thique des vertus au cœur de laquelle le lien en tant que participant du soin, contribue Ć  faire basculer le rapport Ć  la sĆ©ropositivitĆ© du cĆ“tĆ© non plus de la mort, mais de la vie.

 

Lier pour soigner

 

La restauration d’un individu Ć©prouvĆ© mentalement par la dĆ©couverte de sa sĆ©ropositivitĆ© exige du lien, c’est-Ć -dire une relation d’attention phorique. L’attention nous engage Ć  l’égard de ce qui est abattu, fragile, diminuĆ©, marginalisĆ© ou exclu. C’est une bĆ©quille qui permet de soutenir l’être en convalescence tout en lui offrant la possibilitĆ© de se rĆ©approprier progressivement sa mobilitĆ©, son indĆ©pendance, son estime de soi, son bien-ĆŖtre ou son goĆ»t pour la vie.

 

Le lien, disions-nous Ć©galement, revĆŖt une dimension phorique. Le terme Ā« phorique Ā» vient du grec ancien phorein qui veut dire Ā« porter Ā». Il renvoie aussi bien Ć  l’idĆ©e de transporter un objet qu’à celle de porter un nouveau-nĆ© ou une personne malade qui ne peut se dĆ©placer toute seule d’un endroit Ć  un autre. Mieux encore, la fonction phorique est selon la belle dĆ©finition de Pierre Delion « une sorte de philosophie du soin qui consiste Ć  accueillir l’autre et Ć  la porter tout le temps nĆ©cessaire, jusqu’à ce qu’il puisse se porter lui-mĆŖme, physiquement et psychiquementĀ Ā». C’est le cas de beaucoup de PVVIH, lesquelles ont bien souvent besoin de soutien psychologique dans le processus d’acceptation de leur statut sĆ©rologique. La fonction phorique engage donc une pensĆ©e du soin en articulation avec les liens sociaux et familiaux. ƀ rebours de la dĆ©liaison et de l’exclusion que le VIH secrĆØte encore dans de nombreux contextes africains, l’éthos du lien invite Ć  renforcer l’attention phorique Ć  l’égard des PVVIH. En clair, la lutte contre VIH n’est pas seulement une lutte contre un virus qui menace d’affaiblir irrĆ©versiblement un systĆØme organique, c’est aussi concomitamment la lutte contre le virus des prĆ©jugĆ©s, de la stigmatisation, du rejet, etc. Vivre en santĆ© en Afrique avec le VIH dĆ©pend largement du soutien, du respect de votre entourage, de la qualitĆ© des liens familiaux, amicaux et professionnels. Le lien est primordial pour la santĆ© mentale et physique des PVVIH. Pour les personnes malades, le lien permet de vivifier la fonction soignante et le processus de guĆ©rison.

 

PrĆ©cisons immĆ©diatement que lorsqu’on parle de lien, il ne s’agit aucunement de commisĆ©ration ou de pitiĆ©, mais de respect et de considĆ©ration Ć  l’égard des personnes dont la maladie ou la sĆ©ropositivitĆ© ne saurait remettre en question leur dignitĆ© intrinsĆØque. Ā« J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider Ć  se lever Ā», disait Gabriel Garcia Marquez. Le lien en tant qu’il est indissociable de l’existence participe non pas seulement du soin, mais aussi de notre humanisme. PrĆ©server les liens avec l’être vulnĆ©rable participe de l’écriture de notre humanisme. Le lien est un humanisme. Il rĆ©pond de notre capacitĆ© Ć  poĆ©tiser le monde, Ć  lui donner un sens. Ce ne sont d’ailleurs pas les prĆ©ceptes religieux ou les sagesses ancestrales qui nous diront le contraire. Bien au contraire. Elles nous enseignent qu’il n’y a pas d’accomplissement de soi dans l’indiffĆ©rence Ć  l’égard de l’autre.

 

Dans Mathieu 25, 26 par exemple JĆ©sus ditĀ sur fond de promesse de bĆ©nĆ©diction : « J’étais malade et vous m’avez visité ». En l’islam aussi le fait d’entretenir une relation d’attention phorique est prĆ©sentĆ© comme une obligation rĆ©tribuĆ©e par Dieu. Le ProphĆØte Mohamed a dit : Ā« Lorsque l’un de vous entreprend de visiter son frĆØre malade, il cueille les fruits et les fleurs du Paradis jusqu’à ce qu’il en vienne Ć  s’asseoir. Lorsqu’il s’assied, il se voit complĆØtement recouvert par la misĆ©ricorde d’Allah. Si cette visite a eu lieu en matinĆ©e, soixante-dix mille anges imploreront les bĆ©nĆ©dictions d’Allah sur lui jusqu’au soir. Et si elle a eu lieu en soirĆ©e, soixante-dix mille anges imploreront les bĆ©nĆ©dictions d’Allah sur lui jusqu’au matin. Ā».

 

Et il a également dit :

« Le musulman qui rend visite Ć  son frĆØre malade ne cesse de cueillir des fruits du Paradis jusqu’à ce qu’il le quitte. […]Ā Celui qui marche pour aller rendre visite Ć  un malade baigne dans la misĆ©ricorde de Dieu.Ā  Et lorsqu’il s’assoit auprĆØs du malade, ils sont tous deux submergĆ©s de misĆ©ricorde jusqu’à ce qu’il retourne chez lui.Ā Ā»

 

Dans les cosmogonies africaines aussi, la prĆ©sence au monde est faite d’obligations morales de mĆŖme nature que celles Ć©voquĆ©es prĆ©cĆ©demment. L’équilibre de la sociĆ©tĆ© repose bien souvent sur la capacitĆ© des uns Ć  prendre soin des plus fragiles ou des moins nantis. C’est le cas du bissoĆÆsme en RĆ©publique dĆ©mocratique du Congo et de l’Ubuntu en Afrique du Sud.

 

ThĆ©orisĆ© par Tshiamalenga Ntumba, le bissoĆÆsme est une Ć©thique qui considĆØre que la santĆ© et le bien-ĆŖtre du « jeĀ Ā» (ngai, en lingala) dĆ©rivent ou dĆ©pendent du « nousĀ Ā» (bisso, en lingala). En fait, dans le bissoĆÆsme, l’existence du « jeĀ Ā» passe par l’être-ensemble, c’est-Ć -dire le maintien des liens fĆ©conds et solides entre les individus malades ou en santĆ©. Il en va de mĆŖme pour la philosophie de l’Ubuntu.

 

Difficilement traduisible en FranƧais, Ubuntu (lire ouboun-tou) est une notion largement rĆ©pandue en Afrique australe qui signifie « je suis parce que nous sommes. C’est aussi l’idĆ©e d’une solidaritĆ© de destin entre l’individu et son groupe d’appartenance. Elle intĆØgre la personne dans le collectif suivant un schĆ©ma dans lequel l’individualitĆ© se nourrit et prend tout son sens dans son rattachement au collectif. C’est la dimension relationnelle de la personne qui est la clĆ© du dĆ©veloppement de sa personnalitĆ©. Elle se traduit trĆØs concrĆØtement par des actes de fraternitĆ© et de solidaritĆ©.

 

Selon une anecdote trĆØs rĆ©pandue, un anthropologue proposa un jeu Ć  des enfants d’une tribu africaine. Elle dĆ©posa un immense panier de fruits au pied d’un arbre et dit aux enfantsĀ : « le premier Ć  arriver au pied de l’arbre emportera le panierĀ Ā». Au signal, tous les enfants s’élancĆØrent main dans la main vers l’arbre. Puis ils s’assirent ensemble pour profiter de leur rĆ©compense. Lorsque l’anthropologue trĆØs Ć©tonnĆ©e leur demanda pourquoi ils avaient agi ainsi, alors que l’un d’entre eux aurait pu avoir tout le panier Ć  lui tout seul, ils rĆ©pondirent en chœurĀ : « Ubuntu. Comment l’un d’entre nous peut-il ĆŖtre heureux si tous les autres sont tristes? Ā». Comme disait le cĆ©lĆØbre Ć©crivain et ethnologue malien Amadou HampĆ¢tĆ© Bâ : « pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un village Ā».

 

« Dans notre langue africaine, Ć©crit Desmond Tutu, nous disons « une personne n’est une personne que par d’autres personnesĀ Ā». Nous ne saurions ni penser, ni marcher, ni parler, ni nous conduire comme des ĆŖtres humains si nous ne l’apprenions d’autres ĆŖtres humains. Nous avons besoin d’autres humains pour ĆŖtre humain. J’existe parce que d’autres personnes existent. […] Nous le savons, notre humanitĆ© est indissociable de cette des autres. Un ĆŖtre humain isolĆ©, solitaire, est vĆ©ritablement une contradiction dans les termes. […]. La vertu qu’est l’ubuntu rend les gens rĆ©silients, elle leur permet de survivre et de ressortir toujours humains de toutes les entreprises deshumanisation Ā» [1].

 

Le lien entre les humains que nous venons de prĆ©senter Ć  travers les exemples du bissoĆÆsme et de l’Ubuntu n’est pas seulement l’idĆ©e/interprĆ©tation traditionnelle, triviale de l’unanimisme ou de la primautĆ© du groupe sur l’individu qu’on projette souvent de maniĆØre paresseuse sur l’Afrique, mais l’idĆ©e selon laquelle le dĆ©veloppement et la rĆ©silience d’une communautĆ© ne se rĆ©alisent que dans le bien-ĆŖtre de ses membres. Ainsi, on pourrait tour Ć  tour parler de « portance collectiveĀ Ā» et de « lien capacitaireĀ Ā».

 

Suivant la premiĆØre expression, il s’agit de notre capacitĆ© Ć  se « porterĀ Ā» ensemble et suivant la seconde, il s’agirait de ces attentions phoriques qui (re)donnent au sujet malade ou vivant avec le VIH les moyens physiques et psychiques de dĆ©passer son Ć©tat. Un peu Ć  l’image du bananier qui ne doit sa rĆ©sistance aux intempĆ©ries qu’à sa proximitĆ© avec d’autres bananiers, les liens sociaux et familiaux sont gĆ©nĆ©rateurs de guĆ©rison et de vie. En fait, le lien est Ć  comprendre comme une attitude gĆ©nĆ©rique, un levier socio-anthropologique ou religieux qui comprend tout ce que nous faisons socialement pour dĆ©construire le registre maladif, lugubre et mortuaire auquel est spontanĆ©ment associĆ© le VIH.

 

Cas spƩcifique des populations clƩs

 

Les populations clĆ©s, notamment les homosexuels et les hommes ayant des rapports avec des hommes, les personnes transgenres, les professionnel.les du sexe font l’objet d’une stigmatisation croisĆ©e en raison de leur identitĆ© de genre ou de leur orientation sexuelle. Autrement dit, « les identitĆ©s sociales stigmatisĆ©es se chevauchent, ce qui entraĆ®ne des formes multiples et convergentes de stigmatisationĀ Ā». En plus d’être marginalisĆ©es, voire violentĆ©es du fait de leurs orientations ou activitĆ©s sexuelles, ces personnes sont trĆØs souvent stigmatisĆ©es et rejetĆ©es du fait de leur sĆ©ropositivitĆ©. Les donnĆ©es statistiques disponibles et sans doute sous-estimĆ©es sont alarmantes. « Une Ć©tude rĆ©alisĆ©e en Afrique du Sud et en Zambie a montrĆ© que la majoritĆ© des professionnel.les de la santĆ© interrogĆ©(e)s avaient une attitude nĆ©gative Ć  l’Ć©gard des populations clĆ©s. Des Ć©tudes menĆ©es au Malawi, au Botswana et en Namibie ont rĆ©vĆ©lĆ© que lesĀ hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes avaient deux fois plus de chances d’avoir peur de se faire soigner et plus de six fois plus de chances de se voir refuser des services que les hĆ©tĆ©rosexuelsĀ Ā».

 

Les populations clĆ©s vivent pour ainsi dire une double peine aux consĆ©quences extrĆŖmement prĆ©judiciables pour leur santĆ© et leur bien-ĆŖtre. En tant que facteur de comorbiditĆ© sociale, cette double peine dĆ©clenche ou accĆ©lĆØre le dĆ©pĆ©rissement de leur systĆØme immunitaire. Elle s’imprime dans les corps physiques qu’elle finit par abĆ®mer irrĆ©versiblement. C’est la rencontre tragique entre une vie sociale lacĆ©rĆ©e et un corps physique Ć©puisĆ©.

 

C’est sans doute pour pallier cette situation que le Fonds mondial de la lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (p. 46) entend plus que jamais soutenir et Ā« faire valoir le rĆ“le qu’ont Ć  jouer les organisations communautaires (y compris les associations de femmes et de LGBTQ+) dans la conception et la mise en œuvre de programmes visant Ć  remettre en question les normes, les prĆ©jugĆ©s et les stĆ©rĆ©otypes sexuels nĆ©fastes, de soutenir l’intĆ©gration de plans d’action nationaux sensibles au genre dans les stratĆ©gies multisectorielles visant la santĆ© et les trois maladies Ā».

 

Insistons pour le dire: le lien tisse la vie. Ā« Un manque de soutien de la part de la famille et des membres de la communautĆ© peut entraver l’observance du traitement et interfĆ©rer avec la gestion du VIHĀ Ā». LĆ  où la pathologie, la prĆ©caritĆ© sanitaire, la stigmatisation et la discrimination sociale dessĆØche la vie, le lien apporte le soutien et la fraicheur. Bref, lorsque le lien est maintenu avec un sujet malade, convalescent ou porteur du VIH, ses fragiles Ć©cuelles, ses probabilitĆ©s de guĆ©rir et de vivre se potentialisent, s’accroissent inexorablement. La prĆ©servation des liens lui permet en tout cas de faire face Ć  la finitude (la mort) avec dignitĆ©.

 

S’il ne fallait retenir que quelques mots…

 

Retenons en terminant aussi que le lien humain est biface : individuel et collectif. Il y a une dimension instituĆ©e et une dimension informelle (sociale, familiale, professionnelle, amicale). C’est son caractĆØre informel qui aura prioritairement retenu notre attention ici. En insistant sur cet aspect, l’idĆ©e Ć©tait de montrer que la lutte contre le VIH/SIDA n’appartient pas seulement aux professionnels de la santĆ©. C’est une fonction soignante en partage qui va bien au-delĆ  de l’aspect hospitalier. La guĆ©rison ou le bien-ĆŖtre des PVVIH exige beaucoup plus que l’aspect mĆ©dicamenteux ou bio-mĆ©dical. Il implique fortement la dimension Esse ad, c’est-Ć -dire l’être avec. En clair, au cœur de la pandĆ©mie VIH/SIDA, la fabrique de la vie repose sur les liens en tant que constitutifs du soin.

 

L’Éthos du lien sĆ©crĆØte, abrite et dissĆ©mine un potentiel de soin. Il implique une relation d’attention phorique avec des personnes fragilisĆ©es dans leur corps et dans leur esprit, donc limitĆ©es de maniĆØre temporaire ou permanente dans leur capacitĆ© de maniĆØre Ā« normale Ā» ou Ā« autonome Ā» au sein d’une collectivitĆ©. Le lien institue une relation fĆ©conde, humanisante, holistique, vivifiante entre liens, soin et vie.

 

Nul doute que l’articulation ou le renforcement d’une alliance thĆ©rapeutique entre la dimension biomĆ©dicale et l’aspect social/familiale du soin contribuerait assurĆ©ment et efficacement Ć  l’éradication du VIH/SIDA.

 

[1] Desmond Tutu, Dieu fait un rĆŖve. Une vision d’espĆ©rance pour notre temps (2004), trad. Chapdelaine Gagnon, Ottawa, Novalis/DesclĆ©e de Brouwer, 2008, pp. 35-36.

 

NB: Une premiĆØre version de cet article a Ć©tĆ© publiĆ©e dans la lettre d’information du Bureau de la Circonscription Africaine du Fonds Mondial.

 

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Aidspan

Categories*

Loading
Aidspan

Categories*

Loading