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FEMMES ET VIH EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE
OFM Edition 134

FEMMES ET VIH EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 3

RƉSUMƉ Le prĆ©sent article met en lumiĆØre les facteurs socio-politiques qui exposent de faƧon disproportionnĆ©e les femmes et les jeunes filles au VIH en Afrique (centrale et de l’Ouest) et rappelle quelques solutions existantes pour sortir de cette pandĆ©mie particuliĆØrement fĆ©minicide.

Issue d’un milieu social dĆ©favorisĆ©, ChaĆÆdana est une jeune katamalanasienne sĆ©ropositive dĆ©cĆ©dĆ©e en 2015 Ć  l’âge de 19 ans. En dĆ©pit de ses brillants rĆ©sultats scolaires, elle a Ć©tĆ© contrainte trois ans avant son dĆ©cĆØs d’abandonner ses Ć©tudes, de renoncer Ć  sa relation amoureuse pour Ć©pouser un homme – de 20 ans son ainĆ©- qu’elle connaissait Ć  peine. Ce mariage forcĆ© fĆ»t un moment extrĆŖmement douloureux pour ChaĆÆdama. Ce d’autant plus que quelques mois aprĆØs la cĆ©lĆ©bration du mariage, ChaĆÆdana constata les infidĆ©litĆ©s rĆ©pĆ©tĆ©es de son conjoint. Pire encore, elle faisait face Ć  la violence conjugale. Kamga, son conjoint, n’hĆ©sitait pas Ć  la frapper pour un oui ou pour un non. Cette atmosphĆØre de violence empĆŖchait ChaĆÆdana d’exiger de lui des rapports sexuels protĆ©gĆ©s. C’est ainsi qu’à l’âge de 18 ans, lors des premiers examens relatifs Ć  sa grossesse, elle dĆ©couvrit qu’elle Ć©tait sĆ©ropositive. InquiĆØte et apeurĆ©e par les prĆ©jugĆ©s, la discrimination et la stigmatisation qui pesaient sur les femmes sĆ©ropositives dans sa communautĆ©, ChaĆÆdana dĆ©cida de ne rĆ©vĆ©ler son statut sĆ©rologique Ć  personne. La mĆ©connaissance de ses droits et l’absence des services juridiques et para juridiques communautaires achevaient de la dĆ©semparer. Elle fit Ć©galement l’impasse sur le traitement antirĆ©troviral de peur d’attirer les soupƧons de son conjoint. Mais un mois avant la date prĆ©vue pour son accouchement, une agente de santĆ© de l’hĆ“pital dans lequel ChaĆÆdana se rendait rĆ©guliĆØrement pour le suivi de sa grossesse rĆ©vĆ©la son statut sĆ©rologique Ć  quelques rĆ©sidents du quartier. En l’espace de quelques jours, la nouvelle se rependit comme une trainĆ©e de poudre. Et lorsque Kamga apprit la nouvelle, il accusa ChaĆÆdana de l’avoir infectĆ©. TerrorisĆ©e par les mots et les coups de son conjoint, elle se sauva un matin pour aller rejoindre ses parents au village. Mais l’oasis d’espĆ©rance qui l’habitait au moment de franchir le seuil de la maison parentale fĆ»t immĆ©diatement assĆ©chĆ©. Sans jamais manquer de lui rappeler qu’aucun mariage n’était exempte de problĆØmes, ses parents lui ordonnĆØrent de retourner chez son mari. Quelques jours aprĆØs son retour, ChaĆÆdana (et le fœtus) trouva la mort aprĆØs avoir Ć©tĆ© battue une Ć©niĆØme fois.

L’histoire de ChaĆÆdana est une fiction mĆ©thodologique qui rend cependant compte de la fin tragique Ć  laquelle est exposĆ©e quotidiennementĀ une part importante de femmes et jeunes filles africaines.

Alors qu’elles ne reprĆ©sentent que 10Ā % de la population subsaharienne, les adolescentes et les jeunes femmes (Ć¢gĆ©es de 15 Ć  24 ans) constituaient 25Ā % des infections par le VIH en 2020 selon ONUSIDA.


SourceĀ :Ā https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/2021-global-aids-update_fr.pdfĀ (p. 26).

La situation est encore plus alarmante en Afrique centrale et de l’Ouest. Toujours en 2020, les femmes et les jeunes filles (Ć¢gĆ©es de 15 Ć  49 ans) de ces deux rĆ©gions reprĆ©sentaient 65% des nouvelles infections au VIH. Fait majeurĀ : la frĆ©quence des infections au VIH chez les jeunes femmes de 15 Ć  24 ans est supĆ©rieure de 60% Ć  celle observĆ©e chez les jeunes hommes du mĆŖme Ć¢ge.


SourceĀ :Ā https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/2021-response-to-hiv-in-western-central-africa_fr.pdfĀ (p. 3 et p. 6)

 

Le VIH s’épanouie Ć  l’ombre des inĆ©galitĆ©s et de la violence basĆ©e sur le genre.

La collecte continue et sans cesse affinĆ©e des donnĆ©es statistiques a permis de constater que l’exposition accrue et disproportionnĆ©e des femmes au VIH est due Ć  une convergence de plusieurs facteursĀ : l’inĆ©galitĆ© des genres, la subordination Ć©conomique et politique des femmes, la violence basĆ©e sur le genre (VBG), les lois et politiques punitives, les pratiques abusives des forces de l’ordre, la persistance de certaines normes sexospĆ©cifiques (croyances religieuses, pratiques culturelles, etc.) discriminatoires et stigmatisantes. Les Ć©carts dans la riposte au VIH, les infections qui en rĆ©sultent et le taux de mortalitĆ© par les maladies opportunistes suivent trĆØs souvent la ligne de faille des VBG et des inĆ©galitĆ©s hommes-femmes.

Dans certains pays africains, jusqu’à 45 % des adolescentes dĆ©clarent que leur premiĆØre expĆ©rience sexuelle a Ć©tĆ© forcĆ©e (https://www.unwomen.org/fr/what-we-do/hiv-and-aids/facts-and-figures). ƀ l’instar de ChaĆÆdana, nombreuses sont ces femmes et jeunes filles qui ne peuvent nĆ©gocier des relations sexuelles sans risque avec leurs partenaires, ni dĆ©cider de faƧon libre et autonome de l’usage d’un contraceptif. MariĆ©es pour la plupart avant leur dix-huitiĆØme anniversaire (https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/global-partnership-hiv-stigma-discrimination_fr.pdfĀ , p. 9), celles-ci ne disposent que d’un accĆØs trĆØs restreint aux informations de prĆ©vention du VIH. ƀ l’échelle continentale, sur 10 adolescentes et jeunes femmes de 15 Ć  24 ans, seulement 3 d’entre elles ont des connaissances complĆØtes et exactes sur le VIH. Or, Ć  en croire ONU-FEMMESĀ :

Ā« Le manque d’informations sur la prĆ©vention du VIH et l’impossibilitĆ© d’utiliser de telles informations dans le cadre de relations sexuelles, y compris dans le contexte du mariage, compromettent la capacitĆ© des femmes Ć  nĆ©gocier le port d’un prĆ©servatif et Ć  s’engager dans des pratiques sexuelles plus sĆ»res Ā».
VIH/sida : quelques faits et chiffres. Prévalence et nouvelles infections. Source : https://www.unwomen.org/fr/what-we-do/hiv-and-aids/facts-and-figures

C’est dans l’optique de lutter contre de telles injustices systĆ©miques que le Fonds mondial Ć  lancer l’initiativeĀ : « Lever les obstaclesĀ Ā». Il s’agit de verser « des fonds de contrepartie Ć  effet catalyseur et [de fournir] un soutien technique pour stimuler le dĆ©veloppement et la mise en œuvre de programmes nationaux de lutte contre les injustices qui continuent de nuire aux avancĆ©es dans l’éradication du VIH, de la tuberculose et du paludisme Ā» (p. 2). En dĆ©pit de nombreux obstacles liĆ©s notamment Ć  la Covid-19, l’initiative semble tenir la promesse de fleurs. Le Rapport d’évaluation Ć  mi-parcours de l’initiative constitue dĆ©jĆ  une puissante boussole et un prĆ©cieux rĆ©pertoire de pratiques inspirantes.

Les vies des femmes comptent

Puisant dans les donnĆ©es recueillies dans les 20 pays dans lesquels l’initiative est menĆ©e, le Rapport montre que le succĆØs de la lutte contre le VIH passe nĆ©cessairement par une dĆ©fense plus importante des droits humains. Il s’agit trĆØs concrĆØtement de lutter contre la stigmatisation et la discrimination, ainsi que contre les autres obstacles juridiques et sociaux et barriĆØres liĆ©es aux droits et au genre, qui rendent les populations clĆ©s et les empĆŖchent d’accĆ©der aux services de prĆ©vention, de traitement, de soins contre le VIH (p. 6.).

Le programme VIVA+ citĆ© le Rapport est un exemple et une pratique Ć©loquente dont pourrait s’inspirer d’autres paysĀ :

 

« Soutenu par le Fonds mondial, le projet Viva+ a atteint 100 000 femmes, filles, femmes transgenres et hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes par des sĆ©ances d’éducation aux droits humains qui comprenaient des modules axĆ©s sur la santĆ© sexuelle et reproductive et la violence fondĆ©e sur le genre. Cette dĆ©marche a Ć©tĆ© saluĆ©e comme un Ć©lĆ©ment essentiel des efforts considĆ©rables et soutenus du Mozambique visant Ć  rĆ©duire la charge disproportionnĆ©e du VIH sur les jeunes femmes et les filles, y compris les travailleuses du sexe.Ā Ā»

Le Rapport prĆ©sente Ć©galement d’autres mesures intĆ©ressantes pour sortir de cette spirale particuliĆØrement meurtriĆØre pour les femmes et les jeunes filles.

Associer les concernƩes.

L’initiative « Lever les obstacleĀ Ā» montre qu’il y a un gain d’efficacitĆ© chaque fois que l’on « autonomise les personnes vivant avec le VIH et la tuberculose, les survivants de la tuberculose et d’autres populations clĆ©s, en les mobilisant Ć  titre d’assistants juridiques pairs et pour assurer la surveillance des atteintes aux droits humainsĀ Ā» (p. 7). En fait, l’initiative postule implicitement que les dĆ©cisions prises suivant cette approche participative seront d’autant meilleures qu’elles auront Ć©tĆ© soumises Ć  l’apprĆ©ciation des premiĆØres concernĆ©es, en l’occurrence ici les femmes et les jeunes filles. Plus largement, l’épithĆØte Ā« participative Ā» ramĆØne l’enjeu de la lutte contre le VIH Ć  une Ć©chelle de proximitĆ© beaucoup plus prĆ©cise, inclusive et engageante. Il permet de d’accroitre la motivation et de mettre en selle l’empowermentĀ des femmes dans une perspective de lutte durable contre la pandĆ©mie.

Accroitre les investissements

Le Rapport nous apprend aussi, ce qui est en rĆ©alitĆ© connu de tous, que l’argent demeure l’élĆ©ment clĆ© de la lutte contre les maladies. Si on veut vaincre le VIH, il faut accroitre le financement destinĆ© Ć  la prĆ©vention, au dĆ©pistage et au traitement. ƀ l’échelle mondiale, la collecte d’au moins 18 milliards de dollars US au terme de la septiĆØme Reconstitution des ressources du Fonds mondial permettrait Ć  cet Ć©gard de s’attaquer aux dĆ©terminants structurels qui rendent certaines personnes particuliĆØrement vulnĆ©rables Ć  la maladie et les empĆŖchent d’accĆ©der aux services de santĆ© dont elles ont besoin.

Pour terminer, il n’est peut-ĆŖtre pas inutile de rappeler que la mobilisation des fonds pour la lutte contre le VIH, tuberculose et paludisme n’est pas une dĆ©pense, mais un investissement nĆ©cessaire et crucial dans la mesure où elle permettrait, si l’on en croit laĀ StratĆ©gie du Fonds mondial (2023-2028)(Ā https://www.theglobalfund.org/media/11786/publication_seventh-replenishment-investment-case_summary_fr.pdf),Ā de rĆ©duire les inĆ©galitĆ©s en matiĆØre de santĆ©, notamment les obstacles liĆ©s aux droits humains et au genre qui entravent l’accĆØs aux services (p. 79). La vie de millions de jeunes filles et femmes africaines en dĆ©pend.

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