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Le vecteur social des maladies
OFM Edition 145

Le vecteur social des maladies

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 4

La lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme est trĆØs souvent axĆ©e sur une approche essentiellement hygiĆ©niste, thĆ©rapeutique ou biomĆ©dicale. Sans remettre en cause l’intĆ©rĆŖt ou la pertinence d’une telle approche, cet article suggĆØre d’élargir rĆ©solument l’ambition de cette lutte jusqu’aux frontiĆØres des inĆ©galitĆ©s sociales.

La santĆ© tout comme la maladie ne sont pas des Ć©tats de fait strictement alĆ©atoires ou naturels. Elles ne dĆ©pendent pas seulement de la constitution biologique, de l’environnement, des comportements individuels ou de la prise en charge mĆ©dicale. Leur distribution est presque toujours fonction du statut socioprofessionnel ou de l’appartenance sociale. Ceux et celles qui sont au sommet de la pyramide sociale jouissent d’une meilleure santĆ© que ceux et celles qui sont directement en dessous d’eux, lesquels eux-mĆŖmes sont en meilleure santĆ© que ceux et celles qui sont juste en dessous …et ainsi de suite jusqu’au plus bas de la pyramide. Autant dire que plus on grimpe dans la hiĆ©rarchie sociale, meilleure est notre Ć©tat de santĆ©. C’est ce qu’on appelle communĆ©ment leĀ gradient social de santĆ©. Ce qui est valable au niveau interne aux Ɖtats l’est davantage au niveau international.

 

Des inƩgalitƩs sociales aux vulnƩrabilitƩs sanitaires

Les lignes qui suivent dĆ©montrent que les inĆ©galitĆ©s sociales renforcent les vulnĆ©rabilitĆ©s sanitaires, prolongent les pandĆ©mies et nourrissent une inĆ©galitĆ© (durĆ©e et qualitĆ©) des vies Ć  l’échelle internationale. On a pu le constater avec la pandĆ©mie COVID-19.

 

Celle-ci a « frappé de manière disproportionnée des centaines de millions de personnes parmi les populations les plus défavorisées, comme celles qui vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, appartiennent à des groupes socialement discriminés ou occupent un emploi informel, ainsi que les filles et les femmes ». Elle a surtout « rappelé une dure réalité : un accès inégal aux revenus et aux opportunités est non seulement source de sociétés injustes, détraquées et malheureuses, mais tue littéralement des gens ».

Jayati Ghosh « Avant-proposĀ Ā» dansĀ Les inĆ©galitĆ©s tuent, Oxford, Document d’information d’Oxfam- janvier 2022, p. 4.

 

Relativement aux VIH, Ć  la tuberculose et au paludisme, le constat est le mĆŖme. Le gradient social de santĆ© revĆŖt, ici Ć©galement, une puissance explicative importante. Les maladies sont plus prĆ©sentes au bas de l’échelle sociale et diminuent au fur et Ć  mesure que l’on monte dans l’échelle. De l’avis mĆŖme du Directeur ExĆ©cutif de Fonds mondial et de la Directrice ExĆ©cutive de l’ONUSIDA, « dans le combat qui vise Ć  mettre un terme aux maladies, les inĆ©galitĆ©s sont souvent le principal obstacle Ā».Ā Car elles aggravent les pandĆ©mies et s’en nourrissent (causation bidirectionnelle). Elles dĆ©nichent les brĆØches dans nos sociĆ©tĆ©s et les agrandissent. Bref, elles rendent les maladies et les pandĆ©mies plus longues, plus mortelles et plus prĆ©judiciables pour les pays en voie de dĆ©veloppement, au rang desquels on retrouve de nombreux pays africains; rĆ©gion du monde qui souffre le plus de pauvretĆ© et qui porte la charge la plus importance de certaines maladies.

 

S’il est vrai qu’avec la recherche et l’accessibilitĆ© des antirĆ©troviraux (ARV) l’espĆ©rance de vie des personnes vivant avec le VIH a globalement augmentĆ© Ć  travers le monde, celle-ci demeure cependant proche de la moyenne propre Ć  chaque pays. Ainsi, quand l’espĆ©rance de vie d’un homme vivant avec le VIH et a href=”https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.LE00.MA.IN?locations=TD”>sous traitement est de 53Ā ans au Tchad et de 54,2 ans pour une personne sĆ©ronĆ©gative nĆ©e en 2019,Ā elle est de 69,4Ā ans au CanadaĀ et 82 ans pour une personne sĆ©ronĆ©gative nĆ©e 2019. Les seize et vingt-huit annĆ©es d’écart respectif entre les deux catĆ©gories des pays citĆ©s ne peuvent pas ĆŖtre attribuĆ©es Ć  la seule loterie naturelle de la vie ou Ć  un dĆ©terminisme religieux du type « c’était son jourĀ Ā» (entendu iciĀ commeĀ : le jour où il devait nĆ©cessairement mourir). S’il est vrai que d’autres facteurs (genre, Ć¢ge, constitution biologique, couleur de peau, handicap, etc.) entrent dans la distribution des vulnĆ©rabilitĆ©s sanitaires, on peut nĆ©anmoins affirmer que les facteurs socio-Ć©conomiques (les inĆ©galitĆ©s de revenus, la prĆ©caritĆ© sociale, l’insuffisance des ressources Ć©tatiques, la faiblesse du systĆØme de santĆ©, etc.) rendent compte de l’âge peu Ć©levĆ© que peuvent espĆ©rer atteindre les Tchadiennes et Tchadiens vivant avec le VIH.

 

ƀ l’échelle internationale, il y a de maniĆØre gĆ©nĆ©rale une corrĆ©lation factuelle, empirique entre le niveau des revenus ou du PIB et la vulnĆ©rabilitĆ© face aux maladies et aux pandĆ©mies. Le niveau de vie subordonne, dĆ©termine, structure de maniĆØre centrale et dĆ©cisive ces vulnĆ©rabilitĆ©s. « Avoir un statut social plus Ć©levĆ©, un emploi plus stable, ĆŖtre plus riche et plus diplĆ“mĆ© ne garantit pas seulement une meilleure situation sociale, une plus grande aisance financiĆØre et des conditions d’existence plus favorable, elle permet Ć©galementĀ une vie plus longue et en meilleureĀ santé ».

 

Compte tenu de l’étroitesse d’un tel article, nous ne pouvons nous livrer d’abondantes prĆ©cisions sur ce point prĆ©cis. Mais on peut retenir qu’il y a une diffĆ©rence importante entre l’espĆ©rance de vie qui rĆ©fĆØre Ć  la durĆ©e et celle qui renvoie Ć  la qualitĆ© de vie. « D’un cĆ“tĆ©, combien d’annĆ©es peut-on espĆ©rer vivre ? De l’autre, que peut-on espĆ©rer de la vie ? Passer de la premiĆØre Ć  la seconde formulation dĆ©place radicalement la perspective. Parler d’inĆ©galitĆ© des vies n’est plus seulement s’interroger sur les disparitĆ©s de leur durĆ©e, mais considĆ©rer les diffĆ©rences entre ce qu’elles sont et ce que les individus sont en droit d’en attendre. On ne parle plus lĆ  de quantitĆ©, mais de qualitĆ©, non plus de longĆ©vitĆ©, mais de dignité »,

Didier Fassin,Ā L’inĆ©galitĆ© des vies, LeƧon inaugurale prononcĆ©e au CollĆØge de France le jeudi 16 janvier 2020.

 

Les inƩgalitƩs mondiales tuent en Afrique

En fait, ce sont les structures Ć©conomiques domestiques et surtout internationales qui gĆ©nĆØrent ces inĆ©galitĆ©s profondes. Les effets sont particuliĆØrement criants en Afrique subsaharienne. L’insĆ©curitĆ© sanitaire – et partant l’inĆ©galitĆ© des vies – qui fait le lot quotidien du continent c’est avant tout l’échelle croissante des inĆ©galitĆ©s mondiales.

 

Prenons un autre exemple pour illustrer notre propos. Imaginons le cas d’une femme kenyane qui prĆ©sente depuis plusieurs semaines les symptĆ“mes suivantsĀ : inconfort physique, amaigrissement progressif, fiĆØvre, toux prolongĆ©e, ganglions lymphatiques enflĆ©s, perte d’appĆ©tit, essoufflements et douleurs thoraciques. Elle se rend Ć  l’hĆ“pital et dĆ©couvre Ć  l’issue des examens mĆ©dicaux qu’elle souffre de tuberculose. Nonobstant la prise en charge mĆ©dicale, elle dĆ©cĆØde quelques jours plus tard. Une premiĆØre lecture, en l’occurrence mĆ©dicale, parle alors d’une complication liĆ©e Ć  une dĆ©tection tardive de la forme active de la maladie. Mais il y a d’autres faƧons (complĆ©mentaires) d’élucider les causes de son dĆ©cĆØs. Une analyse plus large permettrait de dĆ©couvrir que si cette femme de mĆ©nage (profession), veuve et mĆØre de 5 enfants s’est rendue tardivement Ć  l’hĆ“pital, c’est parce qu’elle Ć©tait confrontĆ©e Ć  un problĆØme d’accĆØs aux soins (coĆ»ts, distance, assurance, etc.). Pire encore, elle vivait dans un logement insalubre situĆ© dans un quartier pauvre, polluĆ© et extrĆŖmement propice Ć  l’éclosion des maladies infectieuses. En fait, chez cette dame comme chez plusieurs autres rĆ©sidant(e)s de son quartier, la prĆ©caritĆ© de la vie sociale ou biographique a fini par inscrire son empreinte mortifĆØre dans la vie biologique. En empruntant les mots de l’anthropologue de la santĆ© Didier Fassin, on dira qu’ici comme dans de nombreuses circonstances sociales similaires, la mort correspondĀ Ć  l’inscription dans les corps biologiques des inĆ©galitĆ©s produites par la sociĆ©tĆ©. C’est pour ainsi dire l’aboutissement des processus par lesquels le social passe sous la peau.

 

Toutefois, s’il est vrai que les inĆ©galitĆ©s tuent, les solutions sont cependant Ć  notre portĆ©e. La lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme est fondamentalement un enjeu de justice sociale. En dĆ©pit de l’envergure et de la complexitĆ© de la tĆ¢che, c’est sur les leviers sociaux qu’il faut agir pour mieux prĆ©venir ces maladies.

 

Mieux vaut prƩvenir que guƩrir

Les inĆ©galitĆ©s sociales ne relĆØvent pas du hasard ou de la fatalitĆ©. Elles procĆØdent des choix politiques et Ć©conomiques qui peuvent ĆŖtre corrigĆ©s. Ce qui est construit socialement peut ĆŖtre dĆ©construit socialement. Pour vaincre les maladies, il faut peser sur la cause racinaire du problĆØme, c’est-Ć -dire s’attaquer rĆ©solument aux inĆ©galitĆ©s sociales qui les nourrissent et les aggravent. Pour nous remettre sur les rails et en finir une bonne fois pour toutes avec le VIH, la tuberculose et le paludisme en tant que menaces de santĆ© mondiale, nous avons « par-dessus toutĀ besoin d’un engagement Ć  toute Ć©preuve pour combattre les inĆ©galitĆ©s qui [les] alimentent. C’est un dĆ©fi que nous pouvons et que nous devons releverĀ Ā», affirment fort justement Peter Sands et Winnie Byanyima.

 

Compte tenu du fait qu’une telle perspective implique inĆ©vitablement une rĆ©forme du systĆØme Ć©conomique mondial et une meilleure redistribution de la richesse crƩƩe collectivement, celle-ci n’ira pas sans susciter de nombreux obstacles ou rĆ©ticences. Il faut en tenir compte, mais sans jamais anesthĆ©sier la tension vers un idĆ©al d’équitĆ© sociale. L’effectivitĆ© d’un tel idĆ©al permettrait d’élargir et de dynamiser la palette des dĆ©terminants sociaux de la santĆ©. Car, rĆ©pĆ©tons-le, la rĆ©duction des inĆ©galitĆ©s sociales Ć  l’échelle mondiale constitue le principal viatique contre les vulnĆ©rabilitĆ©s sanitaires et l’inĆ©galitĆ© de vies y affĆ©rentes.

 

L’intĆ©rĆŖt d’une telle approche, vous l’avez sans doute compris, rĆ©side dans le fait qu’elle permet de soigner le mal plutĆ“t que la douleur. Fondamentalement, elle se veut plus prĆ©ventive que curative. Mieux encore, elle suggĆØre de prioriser les solutions systĆ©miques et durables plutĆ“t que le « camionnage humanitaireĀ Ā» de circonstances. Ce n’est pas la charitĆ© qui permet de rĆ©soudre durablement les problĆØmes, mais la justice/Ć©quitĆ© sociale. Il y a en tout cas une prĆ©sĆ©ance pragmatique et Ć©thique de la justice/Ć©quitĆ© sur la charitĆ©. Et comme dit un proverbe Baham (Cameroun)Ā : « Si tu veux venir en aide Ć  ton voisin qui a faim, donne-lui les semences plutĆ“t que le maĆÆs grillé ». Plus les Ɖtats seront divisĆ©s par les inĆ©galitĆ©s sociales, moins ils pourront lutter efficacement contre les maladies et les pandĆ©mies. Une communautĆ© mondiale qui brille par de fortes disparitĆ©s ne peut rester saine.

NBĀ : Cet article a Ć©tĆ© initialement dansĀ le bulletin d’information de l’African Constituency.

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