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Pratiques frauduleuses et abusives dans la campagne de distribution de moustiquaires en Guinée
OFM Edition 148

Pratiques frauduleuses et abusives dans la campagne de distribution de moustiquaires en Guinée

Author:

Oliver Campbell White

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 6

Une attention particulière devrait être accordée à ce rapport de manière générale

Ce rapport d'enquête du Bureau de l'Inspecteur général sur la campagne de distribution de masse de MILDA 2019 en Guinée conclut que deux ensembles de données importantes de la campagne ont été manipulés de manière frauduleuse. Le BIG a également constaté que des contrôles insuffisants et un manque de responsabilité claire en ce qui concerne l'exactitude des données ont contribué à l'utilisation de données frauduleuses dans la campagne; et que la manipulation généralisée des données contribue à créer un environnement dans lequel le détournement des produits devient possible et peut passer inaperçu. Pour le Fonds mondial et ses partenaires dans la lutte contre le paludisme, ces constats très importants - et les actions convenues de la Direction – ne s'appliquent pas seulement à la Guinée, mais également aux campagnes de distribution de masse menées dans d'autres pays.

Contexte

Catholic Relief Services (CRS) est un principal récipiendaire (PR) du Fonds mondial qui met en œuvre les subventions du Fonds mondial en Guinée pour le renforcement des services de lutte contre le paludisme. Environ 27% (15 millions de dollars US) de la subvention de CRS d’un montant de 56 millions de dollars US (montants signés) pour la période de mise en œuvre 2018-2020 ont été alloués à la campagne de distribution de masse de MILDA.

Dans le cadre d’un sous-accord signé entre CRS et le ministère de la Santé publique, le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) a bénéficié d’une subvention du Fonds mondial à hauteur de 7,6 millions de dollars US pendant la période de mise en œuvre et a dirigé l’organisation de la campagne de distribution de masse de moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action (MILDA) de 2019. 4 millions de dollars ont été consacrés aux activités d’organisation de la campagne, y compris la microplanification et le dénombrement des ménages.

Bien que ce ne soit pas mentionné dans le rapport, la Guinée est classée par le Fonds mondial comme opérant dans un contexte d’intervention difficile et est soumise à sa politique de sauvegarde additionnelle.

Le 22 février 2023, le Bureau de l’Inspecteur général (BIG) a publié son rapport d’enquête sur les pratiques frauduleuses et abusives dans le cadre de la campagne de distribution de masse de MILDA en Guinée. L’enquête a été ouverte après la découverte du détournement de 117 500 MILDA de la campagne de distribution de masse de 2019 vers le Mali voisin. Le BIG a confirmé que plus de 10 000 moustiquaires financées par le Fonds mondial figuraient parmi ces MILDA, le reste provenant de la Fondation contre le paludisme (AMF). Bien que la valeur des moustiquaires du Fonds mondial détournées ne soit pas considérée comme importante par le BIG, le rapport indique que la manipulation généralisée des données laisse supposer que le nombre réel pourrait être plus élevé.

L’enquête a porté sur la campagne de distribution de masse de MILDA de 2019, et plus particulièrement sur les activités qui se sont déroulées dans la zone d’intervention de CRS. CRS était responsable des activités de distribution de la campagne dans 20 préfectures (les districts administratifs sous-régionaux en Guinée), et gérait trois entrepôts régionaux (Kankan, Mamou et N’zerekore). Un autre bailleur de fonds international, la US President’s Malaria Initiative, a géré les activités de la campagne sur le reste du territoire guinéen. Les autorités sanitaires guinéennes, y compris le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), avaient une fonction de coordination, tandis que les autorités sanitaires au niveau des préfectures et des sous-préfectures dirigeaient les opérations sur le terrain et la gestion des données.

Avant la distribution, des activités clés, notamment la microplanification (une estimation des populations locales et des besoins de la campagne) et le dénombrement des ménages (une enquête physique complète de chaque ménage), ont été utilisées pour déterminer le nombre exact de bénéficiaires et de MILDA nécessaires. Après chaque vague de distribution, les MILDA restantes étaient renvoyées des points de distribution aux entrepôts régionaux, un processus appelé “logistique inverse”, afin d’être utilisées lors des prochaines vagues de distribution.

Constats

Les principaux constats de ce rapport sont les suivants:

  1. Certaines moustiquaires de la campagne ont été détournées vers Bamako, au Mali, dont plus de 10 000 moustiquaires financées par le Fonds mondial. Les MILDA détournées ont été revendues au gouvernement malien dans le cadre d’un marché public qui présentait des “signaux d’alerte” pour fraude et collusion.
  2. Deux ensembles distincts de données de la campagne ont été manipulés frauduleusement, créant ainsi un environnement dans lequel les détournements de MILDA n’ont pas pu être détectés. Le premier ensemble comportait des données frauduleuses sur le dénombrement des ménages qui faussait la réalité. La seconde concernait les données de distribution qui contenaient des irrégularités et indiquaient un risque potentiel d’allocation excessive et de détournement. Ces problèmes ont créé un risque d’allocation excessive de MILDA, ainsi qu’un environnement dans lequel des détournements effectifs de MILDA n’ont pas été décelés.
  3. La conception et la mise en œuvre de contrôles de données communiquées par les centres de santé étaient inadéquates, ce qui a entraîné un manque de responsabilité concernant l’exactitude des données de la campagne. Cette situation se reflète dans: (i) l’absence de vérification des données de terrain et de consolidation des données; et (ii) l’absence de données servant de dénominateur et faisant autorité, et le risque de surestimation du nombre de personnes bénéficiaires, entraînant de ce fait une utilisation inefficace des ressources.

Une assurance importante fournie par le rapport est que “malgré le détournement des MILDA décrit ci-dessus, le Fonds mondial n’a pas reçu de rapports indiquant que certains bénéficiaires n’avaient pas reçu de MILDA au cours de la campagne”.

 Impact de l’enquête

Cette enquête a mis en évidence le fait que des données exactes sont essentielles non seulement pour garantir l’identification de tous les bénéficiaires éligibles, mais également pour assurer l’efficacité de la campagne et la redevabilité concernant les investissements considérables réalisés dans les campagnes de distribution de masse de MILDA dans l’ensemble. Ce cas a révélé que le vol et le gaspillage peuvent passer inaperçus si les données sous-jacentes ne sont pas fiables. Des données frauduleuses ou inexactes risquent également d’avoir un impact sur les campagnes futures, car la population dénombrée lors d’une campagne précédente constitue souvent la base des projections de la campagne suivante.

Les défis liés à la collecte de données sur les campagnes de masse et l’impact des données inexactes ou manipulées ne se limitent pas à la Guinée. Le BIG a donc recommandé au Fonds mondial d’étudier les répercussions potentielles de la manipulation des données sur les campagnes de masse de manière plus générale et d’examiner les risques similaires dans l’ensemble des portefeuilles.

Les campagnes de distribution de masse de MILDA sont des activités complexes qui sont exposées au risque de détournement de produits. Bien que les stratagèmes de détournement individuels qui sont portés à l’attention du Fonds mondial puissent sembler avoir un impact limité ou circonscrit – étant donné l’ampleur des campagnes de distribution de masse dans l’ensemble des portefeuilles du Fonds mondial – les petits stratagèmes peuvent potentiellement s’additionner pour donner lieu à une utilisation abusive ou à un gaspillage important. Ce point est particulièrement important aujourd’hui (en mars 2023) car le prix moyen actuel d’une MILDA avoisine les 2 dollars –  voir le site web de l’AMF. L’amélioration de la traçabilité des MILDA constitue donc une étape importante dans la prévention et la détection de ces cas de vol, et une action convenue de la Direction permettra de mettre à profit les progrès accomplis en matière de traçabilité afin d’améliorer la capacité du Secrétariat du Fonds mondial à limiter ce type d’actes répréhensibles.

À la suite de cette affaire, le BIG a recommandé le recouvrement de 54 824 dollars US de fonds de subvention pour la campagne de distribution de masse 2019 en Guinée, qui n’ont pas été utilisés pour les objectifs visés.

Actions convenues de la Direction

En réponse à ce rapport d’enquête, le Secrétariat du Fonds mondial a convenu des trois actions de la Direction (AMA) suivantes:

  1. D’ici le 30 septembre 2023, le Fonds mondial déterminera un montant recouvrable approprié et le réclamera à toutes les entités responsables. Ce montant sera fixé par le Secrétariat, en fonction de son évaluation des droits et obligations juridiques applicables et de la détermination de la capacité de recouvrement qui en découle.
  2. D’ici le 31 décembre 2023, le Fonds mondial exploitera les avancées actuelles en matière de traçabilité offertes par les normes GS1 en encourageant les responsables des portefeuilles à se procurer des MILDA auprès de fabricants appliquant les principes GS1. Le Fonds mondial étudiera l’élaboration d’une stratégie de traçabilité visant à saisir les identifiants uniques des produits appliquant les principes GS1, ainsi que les normes auxquelles doivent adhérer les responsables de mise en œuvre, qui seront déployées de manière progressive.
  3. Le Fonds mondial, en collaboration avec les partenaires techniques, passera en revue, d’ici au 31 décembre 2023, les orientations relatives aux estimations de la taille de la population en vue de guider les campagnes de distribution de MILDA. Cela permettra de (i) renforcer les outils utilisés pour le dénombrement des ménages avant la campagne et la qualité de l’exercice par le biais de la supervision, du suivi et de l’analyse des données, et (ii) clarifier les attentes en matière de rôles, de responsabilités et de redevabilité, afin de collecter et de vérifier les données à différents niveaux des systèmes de prestation de soins de santé. Ce travail complétera les orientations de la campagne holistique élaborées et continuellement mises à jour par l’Alliance pour la prévention du paludisme. Cela permettra également de veiller à ce que l’assurance de l’agent local du fonds concernant les opérations de la campagne comprenne des directives relatives à la vérification des données pendant le recensement et la distribution, le cas échéant.

Commentaire

Ce rapport est digne d’intérêt et, comme nous l’avons déjà dit, il pourrait avoir une plus grande portée. Cependant, pour un observateur, la lecture de ce rapport soulève trois questions.

Tout d’abord, et surtout; étant donné que les programmes de lutte contre le paludisme s’appuient essentiellement sur des enregistrements et des rapports manuels, il est surprenant que les AMA 2 et 3 ne mentionnent pas la nécessité de mettre davantage l’accent sur l’introduction/l’extension d’un système standard basé sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour ces programmes. La conception d’une interface centrée sur l’utilisateur, le contrôle intégré de la qualité des données et l’automatisation du flux de travail permettraient à un tel système d’améliorer la gestion et la supervision des processus d’enregistrement, de contrôle et de communication des données.

Deuxièmement, on note une absence surprenante de données récapitulatives sur le nombre de MILDA planifié et distribué à travers le pays; et on ne sait pas si la distribution de MILDA dans les préfectures non gérées par CRS a été affectée par les mêmes pratiques frauduleuses.

Lors d’une conférence en ligne de l’Alliance pour la prévention du paludisme  tenue le 27 mars 2019, la Guinée avait indiqué qu’elle aurait besoin de 8 825 000 MILDA pour sa campagne de distribution de masse de 2019 et qu’elle avait obtenu le soutien des organismes suivants:

Fondation contre le paludisme              4 500 000 (à distribuer par l’intermédiaire de CRS)

Fonds mondial                                        1 884 500 (à distribuer par l’intermédiaire de CRS)

US President’s Malaria Initiative (PMI)    881 218 (à distribuer par l’intermédiaire de RTI-Stop Palu)

Organisme de développement du bassin du fleuve Sénégal (ODSB)  600 000

Gouvernement (pour Conakry)                837 000 (par l’intermédiaire du PNLP)

Total: 8 692 718

 

Aucune information ultérieure n’est disponible en ligne quant au nombre réel de MILDA mises à disposition par les parties listées.

Selon le Plan Opérationnel de lutte contre le paludisme en Guinée de PMI pour 2020,  la campagne de distribution de masse de 2019 a permis de distribuer 8 309 233 MILDA fournies par la PMI, le FMSTP, l’AMF et SRBDO. Il est à noter que le gouvernement n’est pas inclus comme fournisseur; et le nombre de MILDA fournies par chaque bailleur n’est pas non plus indiqué. Selon ce même plan, à cette époque, PMI soutenait les activités de prévention et de lutte contre le paludisme dans 14 des 33 préfectures de Guinée ainsi que dans les cinq communes de Conakry, tandis que le FMSTP soutenait ces activités dans les 19 préfectures restantes.

Enfin, une caractéristique étrange de ce rapport réside dans les nombreuses références à “l’autre partenaire financier”, dont le nom n’est pas divulgué. C’est étrange parce que toute personne connaissant le programme de lutte contre le paludisme en Guinée sait déjà ce qu’il en est; et, pour les personnes non informées, il suffit de deux minutes de recherche sur Internet pour voir que l’autre partenaire est la US President’s Malaria Initiative (PMI) ; d’où sa mention dans le présent article. La réticence à mentionner nommément la PMI dans le rapport a été expliquée par le BIG comme suit:

“Le BIG s’abstient en effet de nommer dans ses rapports d’enquête des entités qui ne sont pas directement liées ou impliquées dans les constats. Nos rapports se concentrent sur les faits et les conclusions qui s’appliquent aux programmes du Fonds mondial et nous ne commentons pas les programmes d’autres bailleurs de fonds et n’y faisons pas référence, à moins qu’ils ne soient déterminants pour le cas en question”.

À mon avis, il est important de mentionner la PMI pour deux raisons. Tout d’abord, les préfectures où les interventions contre le paludisme sont soutenues par le Fonds mondial ont été en partie déterminées par la sélection par la PMI des zones où elle souhaitait travailler.  Deuxièmement, la PMI est un bailleur de fonds majeur pour les programmes de lutte contre le paludisme et un partenaire important du Fonds mondial; les deux organisations devraient donc partager des données sur la fourniture de MILDA et d’autres produits de lutte contre le paludisme.

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