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L’importance des droits humains dans le Cycle de subvention 7 du Fonds mondial
OFM Edition 143

L’importance des droits humains dans le Cycle de subvention 7 du Fonds mondial

Author:

Christian Djoko

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 2

RÉSUMÉ L’objectif de cet article est de mettre en exergue la centralité des droits humains dans le nouveau cycle de financement du Fonds mondial (Cycle de subvention 7).

Contexte

La fin du SIDA en tant que menace de santé publique d’ici 2030 est intimement tributaire de l’élimination des obstacles liés aux droits humains dans l’accès aux services du V.I.H. et autres services de santé. C’est, en tout cas, le constat auquel est arrivé le Fonds mondial. De ce constat est née une orientation stratégique. Comme vous pouvez le constater à la lumière du tableau ci-dessus, les droits humains sont à la fois un objectif contributif et une partie intégrante de l’objectif principal de la Stratégie du Fonds Mondial.

Si cette préoccupation n’est pas nouvelle au sein du Fonds mondial, il n’en demeure pas moins qu’elle a récemment gagné en importance, et ce, à la faveur d’un certain nombre d’évidences produites par différents programmes ou recherches. Nous y reviendrons plus amplement dans la suite de cet article.

Notons déjà que pour le Fonds mondial, il existe globalement trois grandes catégories d’obstacles (voir p. 17) liés aux droits humains dans l’accès aux services du VIH : la stigmatisation et la discrimination ; les inégalités entre les sexes et la violence basée sur le genre ; les pratiques, les politiques et les lois répressives.

La stigmatisation et la discrimination

« La discrimination liée au VIH est un traitement inéquitable et injuste infligé à une personne ou à un groupe de personnes sur la base de leur statut VIH supposé ou réel. ». Elle se manifeste à travers des comportements (explicites ou insidieux) d’évitement/d’exclusion, les rumeurs, la violence verbale ou le rejet social. (Voir mon article). Bien plus grave, cette discrimination sur fond de stigmatisation se manifeste parfois par les sévices physiques, le refus de services de santé ou sociaux, la perte d’emplois voire les arrestations des personnes vivant avec le VIH soupçonnées ou accusées d’en être porteuses.

Source : ONUSIDA 2017, Faire face à la discrimination.

La Déclaration d’engagement – adoptée en juin 2001 lors de la Session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le VIH/SIDA, « stipule que le combat contre la stigmatisation et la discrimination est une condition préalable à l’efficacité de la prévention et de la prise en charge, et réaffirme que la discrimination liée au statut sérologique d’une personne constitue une violation des droits de l’homme. ». Dans la même perspective, la Déclaration politique des Nations Unies sur la lutte contre le SIDA de 2016 notait également avec gravité et inquiétude que l’épidémie de VIH est un défi pour les droits humains. Le texte exprimait alors « sa vive préoccupation face au fait que la stigmatisation et la discrimination continuent d’être rapportées et que des cadres juridiques et politiques restrictifs continuent de décourager et d’empêcher les personnes d’accéder aux services de lutte contre le VIH. » (p. 11).

Les inégalités entre les sexes et la violence basée sur le genre

Face au VIH, nous ne sommes pas toutes et tous logés à la même enseigne. La subordination économique, politique et sociale des femmes si profondément ancrée dans certaines normes culturelles, croyances ancestrales ou religieuses et pratiques patriarcales, ainsi que dans de nombreuses lois rétrogrades, accroît la vulnérabilité des femmes face à la maladie. J’en parlais déjà en septembre dernier dans mon article Femmes et VIH en Afrique subsaharienne. En fait, « dans de nombreuses communautés, les femmes ont peur de révéler leur statut sérologique ou de rechercher un traitement parce qu’elles craignent d’être rejetées, blâmées, de perdre leurs biens et leur droit de garde, et/ou d’être victimes de violence. Si leur statut VIH venait à être connu. Nombreuses sont les femmes et les filles qui ne peuvent pas négocier des relations sexuelles sans risque avec leurs partenaires intimes ni prendre de décisions concernant l’utilisation d’un moyen contraceptif. Dans de nombreux milieux, les femmes n’ont pas accès aux services de santé sexuelle, notamment la planification familiale et une gamme complète de contraceptifs. En outre, le mariage précoce ou forcé constitue une grave violation des droits humains, qui entraîne des risques d’infection à VIH et d’importants problèmes de santé de la reproduction. Dans pratiquement tous les contextes, les femmes et les filles sont confrontées à des taux élevés de VBG et le lien entre la VBG et le VIH est avéré. Une telle violence ou la peur de cette violence peut saper leur capacité à négocier des relations sexuelles sans risque ou à mettre fin à une relation abusive. Non seulement la violence accroît le risque d’infection, mais elle influence négativement aussi l’observance du traitement ainsi que l’accès aux services de santé ».

Les pratiques, les politiques et les lois répressives

Dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et centre, il existe des lois, politiques et pratiques qui affectent les services de santé liés aux VIH. Elles compromettent significativement les efforts de prévention et de traitement de la maladie. Nous pouvons citer à cet égard :

  • Le dépistage obligatoire ;
  • La criminalisation de la non-divulgation de son statut sérologique ;
  • L’absence de consentement éclairé et de confidentialité ;
  • Les lois qui exigent que les prestataires de services de santé signalent certains groupes aux forces de police.

Dans un environnement stigmatisant, discriminant et répressif, les gens hésitent voire refusent de se faire dépister ou d’informer leurs partenaires sexuels de leur statut sérologique VIH. Plus spécifiquement, les politiques et lois punitives qui contribuent au traitement discriminatoire de certains groupes de la société, notamment les LGBTQ+, les personnes usagères des drogues, les professionnel.les du sexe, entravent en même temps le recours aux services de santé liés au VIH. Les membres de ces groupes craignent d’être arrêtés, harcelés ou de subir d’autres réactions négatives de la part des forces de l’ordre. Par ailleurs, les personnes en détention se voient souvent refuser l’accès aux préservatifs, ainsi qu’à d’autres formes de prévention et de traitement du VIH et de la tuberculose. Plus grave encore, le dénuement des conditions carcérales dans de nombreux pays augmente le risque d’infection à VIH ou de décès d’une maladie liée au SIDA.

Vous l’avez sans doute compris, la stigmatisation, la discrimination, les inégalités entre les sexes, la violence basée sur le genre ainsi que les pratiques, les politiques et les lois répressives engendrent et constituent en même temps un circuit de violation des droits humains. Ce circuit déteint négativement sur les résultats de santé en matière de lutte contre le VIH. Car, il entrave la riposte au VIH à chaque étape, limitant l’accès aux :

  • Service de prévention de nouvelles infections ;
  • Service de dépistage, de traitement, de rétention et d’observance ;
  • Service de santé sexuelle et reproductive ;
  • Service de prise en charge de la tuberculose et autres maladies opportunistes.

C’est dans l’optique de supprimer ces obstacles que le Fonds mondial a lancé il y a bientôt 6 ans l’Initiative « Lever les barrières ». Devant la dissémination inégalitaire des risques sanitaires et des conditions d’accès aux soins de santé, la défense des droits humains est un enjeu primordial.

Lever les barrières

Menée initialement dans 20 pays, l’Initiative « Levez les barrières » met en place des programmes complets visant à réduire les obstacles aux services de santé liés aux droits de l’homme, afin que personne ne soit laissé pour compte. L’objectif affiché est de renforcer l’impact des subventions du Fonds mondial. Ainsi, les investissements du Fonds mondial dans les programmes visant à réduire les obstacles liés aux droits humains ont été multipliés par plus de 10 dans les vingt pays bénéficiaires de l’Initiative, avec une augmentation de 10,6 millions à 78,2 millions entre NFM1 et NFM2 et une nouvelle augmentation à environ 130 millions dans NFM3.

 

Source : Fonds mondial.

Les fonds ont été particulièrement investis dans :

  • La sensibilisation des communautés (émissions radio, dialogues communautaires, etc.) aux effets préjudiciables de la stigmatisation et de la discrimination envers les populations clés ;
  • La formation et mobilisation les professionnel(le)s de la santé aux enjeux éthiques et juridiques dans les services de soins pour les personnes vivant avec le VIH et la tuberculose (la confidentialité des dossiers médicaux et du statut sérologique pour le VIH ou du statut bactériologique pour la tuberculose) ;
  • Le plaidoyer en faveur de la réforme ou l’abrogation des lois et politiques qui entravent l’accès aux services de santé, en particulier pour les populations clés ;
  • La facilitation de l’accès aux services juridiques et parajuridiques communautaires ;
  • La sensibilisation des agents de forces de l’ordre, les parlementaires, des professionnels de la santé aux violences basées sur le genre ;
  • La mobilisation des personnes vivant avec le VIH et la tuberculose, des survivants de la tuberculose et d’autres populations clés à titre d’assistants juridiques pairs et pour assurer la surveillance des atteintes aux droits humains ;
  • L’instauration des groupes de soutien pour les personnes atteintes de tuberculose et leurs familles ;
  • Le soutien technique et financier accordé à certaines organisations dirigées par des populations clés ;
  • L’éducation des populations clés à la connaissance de leurs droits.

L’évaluation à mi-parcours du programme a permis de confirmer l’hypothèse de départ selon laquelle il y avait un lien étroit entre la promotion des droits humains et la lutte contre le VIH. En fait, les données recueillies dans les 20 pays ont permis de constater une amélioration entre la base de référence et la mi-parcours dans tous les pays. Les preuves émergentes de l’impact de l’Initiative ont été documentées dans chaque pays. Toutes démontrent, insistons pour le dire, qu’il ne peut y avoir de résultats satisfaisants en matière de lutte contre le VIH sans une élimination des barrières liées aux droits humains. Les deux sont intimement liées. La promotion des droits humains est un facteur déterminant de la lutte contre le VIH et la tuberculose. Elle pave la voie à la maximisation des investissements du Fonds mondial.

Ouvrons rapidement une parenthèse à ce niveau pour indiquer que les évidences produites par ce programme, les résultats de terrain que nous offre l’Initiative Lever les barrières viennent en réalité renforcer un ensemble de textes ou dispositions internationales (opposables à de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et du centre en tant qu’États-parties à ces textes) qui depuis longtemps interdisent toute discrimination fondée sur la séropositivité, l’orientation sexuelle, le genre et l’expression de genre, l’état de santé (y compris la consommation de drogues) ou le travail du sexe constitue une violation des droits humains. En vertu du droit international des droits humains, Les États ont l’obligation de prendre des mesures spécifiques pour éliminer la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes vivant avec le VIH et des populations clés. Certaines de dispositions sont juridiquement (droit dur) opposables aux États de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Et quand bien certaines relèveraient du droit mou (soft law) que cela ne changerait pas à l’obligation morale des États d’observer les recommandations des Nations Unies, notamment celles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’ONUSIDA et de la commission mondiale sur le VIH et le droit (voir l’ensemble des références dans la brochure d’ONUSIDA, p. 6). C’est peut-être l’occasion de rappeler l’article 26 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qui stipule : « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi » (Pacta Sunt servenda). Il y va de la vie des millions de personnes.

En refermant cette parenthèse si importante, plongeons à présent dans la place centrale que devraient occuper les droits humains dans les demandes de financement en lien avec le cycle de subvention 7.

La centralité des droits humains dans les demandes de financement

Lors de l’atelier de Préparation des requêtes de financement pour le cycle 2023-2025 qui s’est tenu du 5 au 9 décembre 2022 à Saly Portudal (Sénégal) et du Forum sous-régional sur l’engagement communautaire du 25 au 27 janvier 2023 à Cotonou (Bénin), les communications des intervenant(e)s du Fonds mondial ont permis de saisir la place centrale que devra occuper la question des droits humains dans les demandes de financement pour le compte du cycle de subvention 7.

Les pays de l’Initiative resteront probablement éligibles aux fonds de contrepartie pour les droits humains, mais avec des montants réduits et assortis de conditions financières et programmatiques plus strictes. Le Fonds mondial devra à l’avenir s’assurer que les fonds seront effectivement pour lever les barrières. Bien plus, l’idée est que les pays continuent à s’approprier ce programme essentiel même si le financement du fonds de contrepartie diminue.

Pour les pays qui bénéficient actuellement des investissements du Fonds mondial au titre de l’Initiative Lever les barrières, un processus participatif d’évaluation des programmes actuels visant à réduire les obstacles liés aux droits humains sera requis dans le cadre du dialogue national. C’est une excellente occasion d’approfondir le dialogue sur les obstacles, les programmes actuels et les besoins. Les demandes de financement devront prendre en compte les conclusions des évaluations et s’engager de façon précise et détaillée à progresser vers une prise en compte globale de tous les obstacles liés aux droits humains.

Pour tous les pays, il y a une nouvelle obligation de joindre à la demande de financement toute évaluation existante des obstacles liés aux droits humains. Des conseils sur la manière de procéder à une évaluation rapide de ces obstacles sont déjà disponibles. Les pays sont encouragés à entreprendre une telle évaluation afin qu’elle puisse alimenter la demande de financement.

De manière générale, il importe de noter la question des droits humains doit être adressée de façon transversale et non plus de façon spécifique. L’objectif est que les obstacles liés aux droits humains soient traités de manière exhaustive par des interventions dans tous les domaines. Cependant, le Fonds mondial s’attend à ce que les programmes nationaux considèrent les droits humains comme étant des éléments essentiels du programme sur le VIH. Rappelons à toutes fins utiles que :

Considérer les droits humains comme éléments essentiels du programme impliquent pour les pays :

  • L’intégration de programmes visant à supprimer les obstacles liés aux droits humains dans les programmes de prévention et de traitement destinés aux populations clés et vulnérables.
  • Activités de réduction de la stigmatisation et de la discrimination à l’intention des personnes vivant avec le VIH et des populations clés dans les établissements de soins de santé et d’autres établissements
  • Activités d’alphabétisation juridique et d’accès à la justice pour les personnes vivant avec le VIH et les populations clés.
  • Soutien aux efforts, y compris ceux menés par les communautés, visant à analyser et à réformer les lois, politiques et pratiques pénales et autres qui entravent les réponses efficaces au VIH.

Le Cadre modulaire est également riche de suggestions d’interventions et d’activités. Il peut nourrir utilement les dialogues nationaux, les plans stratégiques nationaux et partant les demandes de financement.

À ce stade, on peut se demander « comment les éléments essentiels du programme seront-ils utilisés dans le cycle de vie de la subvention 7 ? ». La réponse du Fonds mondial est la suivante :

Au demeurant, on retiendra que l’on ne peut gagner la bataille de la lutte contre le VIH sans lever les barrières qui entravent la possibilité pour certaines catégories de la population de bénéficier des services de santé. Cela dit, les États de l’Afrique de l’Ouest et du Centre de rester honnêtes, lucides et mesurés quant à leur réalité et ce qu’ils sont capables de réaliser dans un temps imparti pour lever les barrières. La sécurité de certaines actrices et acteurs de mise en œuvre, notamment de ceux et celles qui interviennent auprès des populations clés, reste un véritable enjeu qu’il ne faudra pas sous-estimer. Ne rien promettre que l’on ne peut ou souhaite faire. Il n’existe aucune solution universelle. Chaque contexte à ses obstacles, ses défis et ses opportunités spécifiques. Il faut user d’ingéniosité et de créativité pour surmonter les obstacles liés aux droits humains. Le prix à payer est trop lourd pour se contenter d’un statu quo.

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