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La pandémie de COVID-19 et la riposte de l’Afrique du Sud : entretien avec Salim Abdool Karim.
OFM Edition 99

La pandémie de COVID-19 et la riposte de l’Afrique du Sud : entretien avec Salim Abdool Karim.

Author:

MARK HEYWOOD

Article Type:
Actualite

Article Number: 2

Mark Heywood, militant de longue date en faveur des droits humains, parle de la COVID-19 avec le directeur du « conseil de commandement » en charge de l’épidémie en Afrique du Sud »

RÉSUMÉ Le 8 avril, Mark Heywood, du Daily Maverick, a accueilli à l’occasion d’un webinaire Salim Abdool Karim, Directeur du Centre du programme de recherche sur le sida en Afrique du Sud (CAPRISA), qui en ce moment préside également le Groupe consultatif ministériel sur la COVID-19 de l’Afrique du Sud. Ils ont parlé de la riposte de l’Afrique du Sud à la pandémie, des vulnérabilités propres au personnes vivant avec le VIH et la tuberculose, de la question de savoir si les mesures de confinement fonctionnent, et des prochaines étapes.

L’Afrique du Sud a instauré le confinement pour une période de 21 jours à l’échelle nationale le 26 mars 2020, lorsque le pays recensait moins de 100 cas avérés de COVID-19. Au bout de 14 jours, le Président Cyril Ramaphosa a prorogé le confinement de deux semaines supplémentaires, soit jusqu’à fin avril. Au moment de la publication de cet article dans la version anglaise de l’OFM, l’Afrique du Sud comptait 2 415 cas confirmés de COVID-19 et 27 décès.
Mark Heywood, éditeur de la rubrique Maverick Citizen du Daily Maverick, a animé le 8 avril un webinaire avec Salim Abdool Karim, président du comité consultatif ministériel d’Afrique du Sud (également appelé le « conseil de commandement ») sur la COVID-19, au cours duquel ils ont parlé de l’approche de l’Afrique du Sud face à la pandémie – en particulier en ce qui concerne les millions de personnes qui vivent avec le VIH et la tuberculose dans ce pays. Cet article est une transcription éditée de l’entretien, reproduite avec l’autorisation du Daily Maverick.
Sur la manière dont la COVID-19 se propage et la justification du confinement :
SAK : Le point de départ est que nous sommes tous exposés au risque. Ce virus ne peut pas se déplacer de lui-même – il se déplace parce que nous nous déplaçons. Donc, essentiellement, notre comportement et notre manière d’interagir avec autrui déterminent le comportement du virus. Nous savions que cela allait arriver – nous vivons dans une société hautement mondialisée, où les gens se déplacent sans arrêt. J’ai présidé un conseil gouvernemental consultatif sur l’état de préparation aux pandémies, mais rien de ce dont nous avions parlé nous avait préparés à cette situation. La raison d’être du confinement est de réduire l’interaction humaine qui facilite la propagation du virus d’une personne à l’autre. Donc, si les personnes infectées n’ont pas d’interaction avec d’autres personnes, le taux de reproduction [du virus] baisse – ce qui a pour résultat net d’« aplatir la courbe ».

Sur le débordement des systèmes de santé :
SAK : Lorsque l’on assiste à une telle croissance exponentielle [comme dans de nombreux pays européens et aux États-Unis], le nombre de cas augmentant très rapidement, ce qui se passe est que le nombre de personnes malades et qui nécessitent des soins importants augmente.
Nous savons, à partir de données sur 45 000 patients en Chine, que 81 % environ ont des symptômes très bénins, et une petite proportion est asymptomatique. Ce sont les 19 % qui ont besoin de soins médicaux qui comptent. Cinq pour cent [de tous les patients] ont besoin de soins critiques. Le nombre de lits en soins intensifs et de respirateurs est très limité. Chaque hôpital en a un nombre réduit. Lorsqu’on a une croissance importante des 5 pour cent qui ont besoin de soins médicaux majeurs, le système finit par être débordé.

Sur la COVID-19 et les patients vivant avec le VIH :
« Chez les patients séropositifs au VIH, nous ne savons pas encore comment ce virus va se comporter. Nous avons interrogé [les Chinois] sur la progression de la maladie chez les patients porteurs du VIH. Sur les 76 000 [personnes diagnostiquées positives à la COVID-19 à l’époque], ils avaient un seul patient atteint du VIH, qui était sous antirétroviraux et dont la charge virale était indétectable. Nous obtiendrons des pistes plus intéressantes d’Italie et des États-Unis. Si l’on me demandait de spéculer – c’est-à-dire sans m’appuyer sur des faits probants – je dirais que nous allons constater que les patients porteurs du VIH dont la charge virale est devenue indétectable seront touchés à un niveau de progression de la maladie légèrement plus grave que les séronégatifs. Mais je suis profondément inquiet pour les séropositifs dont la charge virale indique qu’ils sont immunodéprimés – ils peuvent être atteints à un niveau beaucoup plus proche de celui que nous avons observé chez les personnes âgées [en Chine et ailleurs].

Sur le risque pour les personnes vivant avec le VIH en Afrique du Sud, dont 2 millions sont séropositives mais ne sont pas encore sous antirétroviraux, et dont la charge virale n’est donc pas encore devenue négligeable :
S’agissant du VIH, il se passe en moyenne sept ans entre le jour où une personne est infectée et le jour où elle présente un cadre clinique. En ce qui concerne la COVID-19, ce délai est de sept jours. Ce sont là les intervalles en accordéon auxquels nous sommes confrontés. Il convient de souligner que lorsque l’on examine un problème comme la COVID-19, et le nombre de personnes à risque – on estime qu’entre deux millions et deux millions et demi de personnes sont séropositives au VIH mais ne sont pas encore sous traitement antirétroviral – et si l’on part du principe qu’une de ces personnes sur cinq est immunodéprimée (numération des CD4 inférieure à 350), cela donne un demi-million de personnes qui seront touchées – des personnes jeunes qui vivent au sein de nos communautés et qui sont à risque.

Sur la question de savoir si le confinement imposé le 26 mars en Afrique du Sud montre des signes d’aplatissement de la courbe (au 7 avril, l’Afrique du Sud dénombrait 1 749 infections confirmées, et 2 139 le 13 avril) :
C’est difficile à dire – car s’agissant du nombre de cas, il faut savoir que lorsque l’on dit qu’il y a eu un cas aujourd’hui, il représente une infection qui s’est produite environ deux semaines plus tôt – le virus a une période d’incubation de 7 à 10 jours, après quoi on procède au dépistage et on attend le résultat. Donc, entre 12 et 15 jours se sont écoulés entre l’infection et l’obtention du résultat. Si l’on part de ce principe, les cas que nous recensons aujourd’hui reflètent les infections qui sont survenues il y a une quinzaine de jours. Autrement dit, les infections que nous constatons aujourd’hui se sont produites avant le confinement. On ne peut donc pas vraiment se prononcer sur la base des cas observés à ce jour.
Je ne sais pas si ce virus se propage au sein de la communauté. Donc, sur la base des chiffres nous pouvons dire : est-ce que nous voyons une transmission dans les communautés ou non ? Je m’inquiète fortement de ce que, dans ce pays, les conditions font qu’il est difficile pour de larges pans de notre communauté de pratiquer le lavage fréquent des mains et la distanciation sociale – les deux outils disponibles sont donc difficiles à mettre en œuvre pour une bonne partie de notre communauté.
Dans tous les autres pays, le virus a frappé si vite qu’en très peu de temps, l’épidémie était visible aux grands nombres de patients débarquant dans les hôpitaux. L’Afrique du Sud a suivi une autre voie. Nous avons dit que nous n’allions pas attendre d’en arriver là. Que nous allions plutôt nous rendre dans la communauté, sur la piste du virus, avant que les gens aillent à l’hôpital. Nous avons décidé d’être proactifs, de prendre les devants du virus, nous voulions voir comment il se propageait au sein de nos communautés. Vous avez certainement entendu le Président [Cyril Ramaphosa] annoncer que les agents de santé communautaires iraient faire du porte à porte. Selon les dernières estimations, 28 000 agents de santé communautaires examineront les gens à la recherche de symptômes. Les personnes qui présentent des symptômes seront envoyées à une clinique pour un test.

Sur la sortie du confinement :
Si je voulais savoir si nous sommes en position de mettre fin au confinement, il s’agit réellement de savoir dans quelle mesure nous comprenons la transmission au sein de la communauté – et si nous constatons, par l’intermédiaire des agents de santé communautaires déjà sur le terrain que nous recevons suffisamment d’échantillons, que nous les testons et que nous n’observons pas un nombre substantiel de cas positifs, nous pourrons être rassurés – cela voudra dire que le confinement porte ses fruits.
Si nous voyons que [la transmission] est localisée, dans quelques communautés, nous pourrons décider si nous voulons alléger les restrictions – il se peut que nous options pour une décision « partielle ». Si, au bout du compte, nous n’observons pas de transmission communautaire et que nous avons les moyens de poursuivre notre surveillance continue en réalisant un très grand nombre de tests, dans ce cas il serait très logique de sortir du confinement, puisque nous constaterions que le virus ne se propage pas. Si nous reprenons nos comportements d’avant, nous revenons à la case départ. Nous allons devoir changer bon nombre de nos comportements, même après la sortie du confinement.
Il y a également de nombreux modèles qui ont étudié les options qui se présentent à nous. Certains modèles suggèrent de lever le confinement pendant une semaine environ, puis de le réimposer. Cette approche est défendue par de nombreuses entités. En Chine, ils ont choisi un très long confinement – 77 jours – près de trois mois. Ils sont convaincus de ne pas avoir de transmission communautaire. Wuhan montre que l’on peut parvenir à un stade où il n’y a pas de transmission locale – mais il faut réfléchir à la reprise du cycle, lorsque les gens recommencent à voyager et peuvent à nouveau introduire le virus dans l’équation.

Sur le fait que la majorité (80 %) des tests ont été réalisés dans le secteur privé et les difficultés liées au déploiement du dépistage dans le secteur public :
Quatre-vingt-trois pour cent des Sud-Africains dépendent du secteur public [de santé], et nous n’avons réalisé que 55 000 tests [au moment de la publication, l’Afrique du Sud avait réalisé 83 000 tests], donc nous ne savons pas, en fait, où l’épidémie se trouve, parce que nous ne testons tout simplement pas assez (pour une population de 55 millions d’habitants). C’est pourquoi nous avons créé une définition hautement restrictive – nous nous sommes concentrés sur la « première vague » (les voyageurs) et la deuxième vague (les personnes avec lesquelles ils avaient été en contact) – mais nous n’avons pas pris en compte la troisième vague (transmission communautaire), donc sur ce point nous sommes en retard sur la courbe. C’est un aspect sur lequel nous avons échoué. Le résultat net est que nous devons maintenant rattraper notre retard. Nous devrions faire plusieurs milliers de tests par jour. Nous devons faire des dizaines de milliers de tests par jour dans le secteur public. Le secteur privé a joué un rôle important lors de la première vague. Malheureusement, nos critères sont restés bloqués dans un mode qui est devenu obsolète. Nous aurions dû modifier nos critères environ deux semaines plus tôt. Nous les avons modifiés vendredi dernier [3 avril]. Nous espérons qu’à présent, grâce au dépistage communautaire, nous augmenterons substantiellement les statistiques. [M. Karim a également soulevé la question de la pénurie de fournitures pour les tests, notamment des réactifs nécessaires pour les analyses.]

Sur la participation africaine aux essais de médicaments et de vaccins :
Nous ne pouvons pas élaborer de politiques [en nous fondant sur des hypothèses] – nous avons besoin d’éléments probants. Cela démontre l’importance de la participation de l’Afrique et de l’Afrique du Sud, et d’être aux premières lignes des études sur les traitements et les vaccins. Si nous laissons les choses aux mains des États-Unis et de l’Europe, s’ils s’avèrent efficaces [là-bas], nous ne saurons tout simplement pas s’ils fonctionneront en Afrique. La réalité est – et nous savons que cela vaut pour le VIH – que si nous ne sommes pas en première ligne des recherches, nous devrons rejoindre le bout de la file une fois que les traitements et les vaccins seront au point. Nous ne voulons pas nous retrouver dans cette situation – nous devons faire partie intégrante de ces études.

Le 13 avril, lors d’une réunion Zoom diffusée à la télévision nationale pour informer les médias sur la science derrière les décisions du gouvernement sud-africain concernant la COVID-19, dirigée par le ministre de la Santé sud-africain, Zweli Mkhize, M. Karim a réitéré sa préoccupation, partagée dans les hautes sphères, concernant les deux millions à deux millions et demi de Sud-Africains séropositifs qui ne reçoivent pas de traitement antirétroviral (sur les 7,7 millions de séropositifs du pays), dont la numération des CD4 est probablement faible, ce qui les rend potentiellement plus vulnérables face à la COVID-19. M. Karim a également indiqué qu’il est improbable que l’Afrique du Sud puisse échapper à la « courbe exponentielle » d’augmentation rapide des cas, mais que jusqu’à présent le pays avait réussi à « gagner du temps » pour se préparer en vue de mieux gérer l’épidémie. Il a mis en garde contre une sortie abrupte du confinement, expliquant que cela annulerait tous les acquis du confinement en Afrique du Sud.

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