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ETHIQUE ET RECHERCHES SUR LE VIH, UN SUJET EXCEPTIONNELLEMENT FÉCOND
OFM Edition 92

ETHIQUE ET RECHERCHES SUR LE VIH, UN SUJET EXCEPTIONNELLEMENT FÉCOND

Author:

Philippe Msellati, Sandrine Musso

Article Type:
ANALYSE

Article Number: 6

RÉSUMÉ L’épidémie de VIH/sida a vu apparaître de nouvelles façons d’appréhender une épidémie, à la fois d’un point de vue biologique, médical, et social. Elle a été l’occasion de profonds bouleversements, y compris dans la recherche et dans la réflexion éthique qui l’accompagnent. Cette épidémie de la fin du XXe siècle a été l’objet d’une "exceptionnalité" que d’aucuns ont trouvé féconde dans de nombreux domaines.

L’histoire sociale de la lutte contre le sida est celle d’une arène singulière, où se mêlent chercheurs, activistes, soignants et responsables de politiques de santé nationales et/ou internationale. La lutte contre le sida a également eu un impact considérable, à la fois sur la reformulation des rapports entre médecins et patients, chercheurs et profanes, mais aussi du fait de la revendication portée par certains des acteurs de cette lutte d’être des « sujets » et non des « objets » de la recherche. Tout comme le virus de l’immunodéficience humaine ou VIH a été un révélateur et un réformateur social dans nos sociétés, la lutte contre le sida a aussi été traversée de controverses et débats éthiques. Dans ce domaine il a eu pour effet la mise en place de pratiques nouvelles.

Alors qu’initialement les Etats ne manifestaient pas de volonté politique forte de s’engager dans une lutte contre une épidémie qui touchait des populations (homosexuels, usagers de drogue) ou des continents marginalisés, en particulier l’Afrique, c’est la société civile, les populations concernées, les activistes qui ont réussi à mobiliser des forces vives puis des ressources pour lutter contre le VIH. Il s’agit là de ce qui a été qualifié de « nouveau régime » historique dans la gestion d’une épidémie. Car dès le départ, la lutte contre le VIH s’est placée dans une position qui se voulait résolument différente des pratiques usuelles de la santé publique. La tension entre information et volontariat versus injonction (dépistage volontaire et dépistage obligatoire), entre convaincre plutôt que contraindre (information vs quarantaine), entre maladie transmissible (contre laquelle il faut lutter) vs maladie contagieuse (malades dont il faut se protéger) a été présente tout au long de la première décennie de l’épidémie. Ces débats ont débouché sur une « gestion libérale » de l’épidémie, politique de solidarité et de tolérance à l’égard des personnes contaminées, quelle que soit l’origine de la contamination, selon un modèle « contractuel » de prévention, qui a préfiguré celui de la « démocratie sanitaire ».

Ces choix ont également entrainé de nombreux changements et de nombreuses innovations, y compris dans la gestion d’une épidémie, l’avancée de la recherche et la prise en charge des patients. Il est remarquable que du fait de la longue durée de l’infection, on parle de « personnes vivant avec le VIH » (PVVIH) et non de patients ou de malades, ne réservant ce terme qu’aux derniers stades cliniques de l’infection. Il est notable également de voir comment la gestion du VIH a entrainé des comportements différents de la part des médecins, quand on la compare à celle de la syphilis. Les médecins ont on effet été contraints à « dire la vérité ». Il était d’usage, avant le VIH, de laisser croire aux patients porteurs d’une maladie sexuellement transmissible, que l’hygiène des toilettes pouvait expliquer une telle affection. Il s’agissait d’une assertion fausse, mais bien pratique, pour ne pas avoir à révéler une infidélité au sein d’un couple légitime. L’irruption du VIH, son caractère gravissime et sans traitement, ont contraint les médecins à promouvoir une information sur les modalités de transmission, même si l’absence d’annonce a aussi été documentée dans les débuts de l’épidémie dans certains contextes d’Afrique de l’Ouest francophone.

Comme Achmat, militant anti apartheid et activiste anti sida d’Afrique du Sud, a pu le dire en séance plénière à une conférence mondiale sur la tuberculose, à laquelle il était invité pour évoquer l’engagement communautaire dans les deux pandémies, VIH et Tuberculose, « le VIH et la tuberculose représentent des sujets d’importance, traités de façon diamétralement opposés, en termes de diagnostic, de traitement et de recherche dans le domaine de la prévention ». A la grande surprise des organisateurs de cette conférence, il a soulevé le problème du traitement directement observé, pratiqué dans le domaine de la tuberculose, qui implique la présence d’un tiers au moment de la prise des médicaments antituberculeux et qui est issu d’une « approche paternaliste de santé publique », à l’opposé de la démarche d’éducation thérapeutique et d’adhésion qui est sensée accompagner la prise du traitement antirétroviral. Selon lui, l’éducation thérapeutique a été le moteur de l’appropriation des traitements, en particulier dans les pays du Sud.

Dans les pays occidentaux, la mobilisation des personnes vivant avec le VIH et de leurs soutiens a eu un impact majeur sur l’effort de recherche (mais aussi sur la façon de chercher), la relation médecin/malade, les conditions d’accès aux traitements, l’organisation de l’information et de la prévention.

Ethique et essais cliniques

La lutte contre le VIH a tout d’abord bousculé la hiérarchie médicale, en interne, puis de l’extérieur. Les « mandarins » de médecine infectieuse et tropicale, pas toujours conscients initialement de l’ampleur de l’épidémie, ont pu être bousculés par de jeunes cliniciens confrontés aux malades et à leurs pathologies. Dès 1983, ce sont des personnes malades, à un moment où la notion de « séropositivité » n’existait pas en l’absence de test, qui ont revendiqué l’appellation de « Personnes Vivant avec le VIH », et exigé à ce titre leur présence dans les forums sur le sida, dans la réflexion sur les politiques de prévention et de prise en charge à construire, et auprès des chercheurs. Même si certaines associations étaient en première intention très opposées à la recherche, cette position a évolué et les PVVIH activistes sont devenus des « patients-experts » connaissant leur maladie puis les thérapeutiques. Ils sont dès lors intervenus auprès des autorités sanitaires et des agences de recherche pour donner un avis sur les projets de recherche telles une instance consultative en recherche comme le TRT5 3 en France, première instance associative participant aux discussions autour de la construction d’essais thérapeutiques.

Le positionnement des associations de PVVIH au Nord face à la recherche a même entrainé des polémiques, parfois violentes, autour de la méthodologie d’essais de prévention de la transmission mère-enfant du VIH, remettant en cause, par exemple, l’usage du placebo. Ces débats ont même participé à la décision de modifier la déclaration d’Helsinki, base de l’éthique de la recherche depuis 1964, en 2000.

La recherche sur le VIH a entraîné la mise en place de comités d’éthique de recherche sur la santé en Afrique, particulièrement en Afrique francophone, alors que jusque-là les recherches en santé se déroulaient, au mieux et à condition qu’ils existent, avec des avis de comités d’éthique institutionnels. Ce positionnement, et des liens avec les associations de PVVIH des pays où se déroulaient ces essais, comme la Côte d’Ivoire, ont pu entrainer des changements dans le processus de nomination et de fonctionnement du Comité d’Ethique National. Ces débats et discussions sur les comités d’éthique eux-mêmes, qui ont pu être considérés comme de moindre qualité que ceux des pays du Nord, ont entrainé en France l’Agence Nationale de Recherches sur le Sida (ANRS) à élaborer une charte éthique pour les recherches sur le VIH (et les hépatites virales) ayant lieu dans les pays du Sud. Cette charte, rédigée dans le cadre d’un processus participatif en France et dans les pays impliquant associations, chercheurs et institutions nationales, en est à sa troisième édition prenant en compte les évolutions dans le domaine.

Ethique et prévention

Les essais de prévention dans le domaine du VIH sont un peu comme la quadrature du cercle (prophylaxie préexposition, prévention locale – microbicides – vaccins) : une équation particulièrement difficile à résoudre. Il est peu envisageable, du fait des effectifs de personnes impliquées, de pouvoir mener des essais au Nord, même si ceci a pu être fait dans le cadre de groupes spécifiques (Ypergay). Ceux-ci ne peuvent donc être mis en place que dans les pays du Sud, avec les limites en termes de prise en charge et d’état des systèmes de santé que cela implique.

Tout essai de prévention se fait, par définition chez des personnes non infectées par le VIH. Il s’agit d’évaluer une intervention de type médicamenteux, locale ou par voie générale, ou vaccinale. Les personnes participant à l’essai doivent donner leur consentement, mais aussi être les mieux informées possibles et dotées de tous les moyens de prévention existant au moment de l’essai (préservatifs masculins et féminins…). La comparaison se fait entre deux groupes de personnes, l’un avec des personnes recevant le produit à tester (gel microbicide ou médicament antirétroviral comme le tenofovir) et l’autre groupe avec des personnes recevant un placebo (puisqu’il n’existait pas avant la PrEP 4 de traitement considéré comme efficace). Comme les personnes sont supposées se protéger, l’efficacité de l’intervention n’est considérée qu’à partir des « échecs » de la prévention.

L’efficacité de la PrEP rend désormais probablement impossible à évaluer toute autre forme d’intervention préventive, puisqu’il ne peut plus y avoir de groupe recevant un placebo. Le problème se pose de la même manière dans le cadre des essais vaccinaux.

Ethique et populations

Toute recherche identifiant et suivant des PVVIH entraine un risque qu’il est difficile de prévenir, en rapport avec la stigmatisation et l’exclusion des PVVIH. Tout lieu étiqueté comme recevant des PVVIH s’est vu pendant longtemps labellisé comme « centre sida » : toute personne le fréquentant était étiquetée comme sidéenne. Les équipes de recherche ont dû imaginer, avec les PVVIH et leurs associations, des moyens de suivre discrètement les personnes inclues dans les études.

Le dépistage du VIH a fait l’objet aussi de recommandations spécifiques. Même si, jusqu’au début des années 1990, les médecins et les chercheurs avaient tendance à ne pas dire qu’ils recherchaient le VIH pour ne pas faire fuir les patients, et à pratiquer le test à leur insu, il a fallu rapidement passer au test réalisé après consentement du patient. C’est à partir de 2005, en Afrique, que le test à l’initiative du soignant a été à nouveau introduit et que le consentement n’a plus été explicitement demandé.

Conclusion

L’histoire de la lutte contre le VIH a été très originale et basée longtemps sur une exceptionnalité de cette épidémie et du sida, tant par les populations touchées que par l’ampleur de la pandémie (40 millions de morts au moins, depuis 1981). Cette situation particulière a été féconde dans de nombreux aspects de la recherche fondamentale et de la médecine clinique mais aussi, bien au-delà, dans le domaine de la réflexion éthique et de la mobilisation des personnes vivant avec le VIH, et des réflexions à conduire sur les (dys)fonctionnements des systèmes de santé.

L’exceptionnalité tend à diminuer dans le domaine du VIH, même si l’élimination, objectif des Nations Unies pour 2030, reste incertaine ou pour le moins relative.

Les hépatites, qui concernent beaucoup plus de personnes que le VIH, sont le prochain combat à mener et le champ de bataille est déjà jonché de morts.

 

Ressources additionnelles

  • Achmat Z. Science and social justice: the lessons of HIV/AIDS activism in the struggle to eradicate tuberculosis. Intern J Tuberc Lung Dis. 2006.
  • Anglaret X, Msellati P. Ethique contextuelle ou éthique universelle : un faux débat ? Réflexions issues de la pratique d’essais cliniques en Côte d’Ivoire. In: Bonnet D (Eds). L’éthique médicale dans les pays en développement. IRD, Autrepart (Ed) Paris 2003.
  • ANRS. Charte d’éthique de la recherche dans les pays en développement. Texte de 2002, révisé en 2008 et 2017. Juillet 2017.
  • Barbot J. Les malades en mouvement. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Balland Ed, Paris 2002, 307p.
  • Broqua C. Agir pour ne pas mourir. Act up, les homosexuels et le sida en France, Presses sciences po Ed. Paris 2006, 480p.
  • Carricaburu D, Ménoret M. Le sida dans l’espace public. In: Sociologie de la santé. Institutions, professions et maladies. Dunod, Armand Colin Ed, Paris, 2014 .
  • Dodier N. Recomposition de la médecine dans ses rapports avec la science. Les leçons du sida. Santé Publique & Sciences sociales N°8&9, 2002.
  • Héritier F. Convaincre ou contraindre ? In: Textes réunis par S D’Onofrio. Sida. Un défi anthropologique. Médecine & Sciences Humaines. Les belles lettres Ed, Paris 2013.
  • Laborde-Balen G, Taverne B, Ndour CN et al. The fourth HIV epidemic. Lancet Infect Dis. 2018.
  • Raynaut C. Préface. In: Eboko F, Bourdier F, Broqua C Les Suds face au sida. Quand la société civile se mobilise. Collection Objectifs Suds. IRD Ed. Marseille, 2011.

 

 

 

 

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