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QU’EN EST-IL DE LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE RELATIVE AUX CONTEXTES D’INTERVENTION DIFFICILES DU FONDS MONDIAL ?
OFM Edition 87

QU’EN EST-IL DE LA MISE EN ŒUVRE DE LA POLITIQUE RELATIVE AUX CONTEXTES D’INTERVENTION DIFFICILES DU FONDS MONDIAL ?

Author:

Christelle Boulanger

Article Type:
NOUVELLES ET ANALYSE

Article Number: 5

La grande diversité des contextes pays requiert une grande souplesse dans les réponses apportées

RÉSUMÉ Grâce au rapport du BIG sur les subventions en Afrique occidentale et centrale, un document transparent et exhaustif est disponible et pose les bases précieuses d’un débat passionnant et nécessaire sur de nouveaux choix opérationnels. En effet, dans cette région, 11 pays sont classés dans la catégorie des contextes d’intervention difficiles et devraient, dans le cadre de ce processus, bénéficier d’une forme de souplesse dans la mise en œuvre afin de maximiser l'impact. Deux ans après l'adoption de la politique par le Conseil d’Administration, le BIG s'interroge sur sa mise en œuvre et recommande une analyse plus approfondie, pays par pays.

Le nouveau rapport consultatif du Bureau de l’Inspecteur Général sur l’Afrique occidentale et centrale, paru en mai 2019, offre une occasion unique de passer en revue les défis rencontrés par le Fonds mondial et les responsables de la mise en œuvre dans des contextes qualifiés par le Fonds mondial comme contextes d’intervention difficiles (Challenging Operating Environments, COE en anglais). 11 des 22 pays de cette catégorie sont situés en Afrique occidentale et centrale. Sur le plan épidémiologique, les contextes difficiles demeurent essentiels pour le Fonds mondial. En effet, à eux seuls, ils représentent 27% de la charge mondiale de paludisme, reçoivent 30% des investissements totaux du Fonds mondial et possèdent souvent des systèmes de santé fragiles qui ne garantissent pas l’accès aux soins pour les plus vulnérables. Comme l’a déclaré le TERG en 2014 dans sa note conceptuelle sur les États fragiles, « pour atteindre ses objectifs globaux, le Fonds mondial doit réussir dans les États fragiles ».

Bien que ces 11 pays appartiennent à la même catégorie, les contextes qu’elle recouvre sont souvent très différents, de même que les défis relevés, même s’ils répondent tous à des critères soigneusement choisis : gouvernance faible, accès insuffisant aux services de santé, crises d’origine humaine ou naturelle. Il s’avère donc difficile de standardiser les modèles de mise en œuvre dans des pays aussi différents, tels que la RCA et le Sud-Soudan, le Burkina Faso, le Libéria ou la Sierra Leone.

A l’occasion de la revue consultative, l’équipe du BIG a produit une analyse très complète et a croisé de nombreuses sources d’information. Pour la première fois, un document transparent et exhaustif est disponible et pose les bases précieuses pour ouvrir le débat sur de nouveaux choix opérationnels dans les contextes d’intervention difficiles.

L’absence de consensus sur les définitions et les besoins des contextes difficiles

Il n’y a pas de consensus global sur ce qui réunit les contextes d’intervention difficiles et sur leurs besoins spécifiques pour obtenir de meilleurs résultats en matière d’élimination des maladies. La catégorie « COE » comprend à la fois les États défaillants où la mise à disposition de services pour les populations s’effectue sur un mode d’urgence, et les États fragiles qui reposent toujours sur un système politique, parfois faible, mais existant. Lors de la dernière réunion du conseil d’administration à Genève, le secrétariat a convenu de la nécessité de réinventer les interventions dans les situations d’urgence et de nouer des partenariats avec des organisations traditionnellement engagées dans des opérations en contextes instables. Plusieurs expériences ont récemment été menées dans des contextes tels que la Somalie, la République centrafricaine ou le Soudan du Sud. Des accords ont été noués avec des organisations d’urgence telles que Médecins sans frontières, Population Services International et des agences des Nations Unies telles que l’Office international des migrations (OIM) ou l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (OAA). Les procédures du Fonds mondial ont été simplifiées, des accords de sous-traitance ont été passés avec des opérateurs en fonction des besoins, sans passer par un système de bénéficiaire principal ou secondaire.

Dans ces contextes où les partenaires sont rares et bien identifiés, et où le renforcement du système de santé n’est pas une priorité, les interventions sont relativement « faciles » à définir. La compréhension du contexte est, dans une certaine mesure, plus simple et le rôle du Fonds mondial est mieux défini, comme le nexus entre les organisations humanitaires et les acteurs du développement. Les exemples de flexibilités et d’innovations mis en œuvre vont d’un système de distribution de moustiquaires au Tchad à la mise en place d’un système permettant de suivre la consommation des produits de santé en RCA en temps réel.

A l’inverse, les pays qui ne font pas partie de la catégorie des États en faillite ou en conflit n’ont pas été considérés – et traités – par le Secrétariat du Fonds mondial comme des contextes fragiles requérant un traitement différentié. Ils présentent un mélange complexe de puissances politiques parfois faibles et autoritaires, une société civile fragmentée souvent impuissante à jouer un rôle majeur dans la remise en cause du pouvoir en place et la défense des plus vulnréables (en particulier les populations clés), et des investissements nationaux très limités dans le secteur de la santé, lui aussi très affaibli.

Le paysage des acteurs est fragmenté et complexe, mêlant acteurs locaux et acteurs régionaux et internationaux. Dans la région du Sahel par exemple, où le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie sont des contextes d’intervention difficiles, interagissent la Banque mondiale  qui investit dans le projet SWEDD (projet d’autonomisation des femmes et de dividende démographique au Sahel), l’Union africaine, l’Organisation Ouest Africaine pour la Santé (OOAS), toutes les organisations humanitaires telles que Médecins sans frontières, Médecins du Monde , Worldvision, Oxfam, Save the Children, Action contre la faim, le CICR, les agences des Nations Unies (FNUAP, OMS, Unicef, PNUD, HCR), les coopérations bilatérales (Agence française de développement, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), la Coopératino Internationale du Gouvernement de Monaco, Luxembourg, Suisse,… ..), l’Union européenne, la Mission de maintien de la paix des Nations Unies (MINUSMA) et bien sûr les gouvernements locaux. Cela représente un écosystème complexe et vaste dans lequel le Fonds mondial n’est qu’un des acteurs, qui défie tous les efforts d’analyse exhaustive des enjeux et de la manière d’y répondre. Il requiert un dialogue politique bien dosé et constant, et des interventions ambitieuses pour renforcer un système de santé très fragile.

Cela se traduit dans les statistiques sur les mesures de flexibilité appliquées au cours du cycle de subvention 2017-2019 : 60% des demandes de financement ont été formulées sur la base des documents et procédures standards, le nombre de subventions requises était exactement le même que dans les pays non-COE et les indicateurs de couverture ainsi que les mesures de suivi du cadre de performance étaient bien plus nombreuses dans les contexte d’intervention difficiles que dans le reste des pays.

C’est pourquoi l’équipe du BIG a conclu que « le manque d’établissement de priorités en matière d’intervention, l’absence de priorisation dans le cadre de résultats et le suivi fragmenté des multiples livrables entraînent des complications majeures. Celles-ci risquent ensuite d’alourdir la responsabilité des maîtres d’œuvre et limitent les opportunités de concentration sur les domaines prioritaires susceptibles de produire l’impact programmatique le plus fort. Cette situation peut affecter la qualité du suivi stratégique du portefeuille par l’équipe pays, et la capacité de celle-ci à focaliser son attention et les ressources sur les résultats clés et les difficultés les plus grandes ». Il semble par conséquent important que le Secrétariat et le TRP mènent une réflexion sur les priorités afin que les ambitions soient réalistes et ajustées au contexte du pays. Des résultats peu nombreux et bien ciblés associés à un arsenal d’outils limité sont des préalables nécessaires à la mise en œuvre des prochaines subventions. Il se peut que cette politique entre en contradiction avec les stratégies promues par les partenaires tels que l’Organisation Mondiale de la Santé et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/Sida, qui fixent des objectifs ambitieux visant à éliminer les pandémies d’ici 2030, et qui font écho aux Objectifs du Développement Durable (ODD). C’est l’un des termes du débat qui doit avoir lieu dans les mois à venir. Le suivant  suivant concerne l’analyse du risque, et l’appétence des partenaires pour ce dernier.

Définir le risque

Le risque fiduciaire et financier

La mise en œuvre des subventions dans les contextes d’intervention difficiles présente deux risques majeurs : le risque financier, lié à la mauvaise gestion des fonds, et le risque opérationnel. Le Fonds mondial a pris des mesures drastiques pour atténuer les risques financiers et créé une batterie d’outils allant de l’Agent Local du Fonds à la politique de sauvegarde supplémentaire, en passant par la politique de trésorerie zéro. Un cadre d’appétence au risque a été élaboré et adopté par le conseil d’administration en mai 2018. Dans son préambule, il reconnaît  que”les objectifs stratégiques et/ou les résultats ciblés particulièrement ambitieux qui sont plus difficiles à atteindre nécessitent un niveau d’appétence plus élevé. Par exemple, si l’objectif stratégique consiste à obtenir des résultats dans des contextes d’intervention difficiles, l’appétence au risque devrait permettre de prendre des risques opérationnels plus élevés dans ce genre de pays. L’appétence au risque n’a de réelle utilité que si elle est spécifique, pratique et conforme aux attentes des parties prenantes”.

Les outils élaborés par le Secrétariat se sont révélés efficaces pour prévenir l’utilisation abusive des fonds et encouragent une gestion transparente des ressources. Néanmoins, l’utilisation de ces « outils » ne garantit pas toujours la bonne compréhension de l’éligibilité des dépenses, comme cela a été observé dans certains pays qui affichent encore une quantité importante de dépenses non éligibles. En outre, l’efficacité des mesures d’atténuation des risques n’ayant pas été évaluée, leur rentabilité au regard des résultats programmatiques n’est pas claire. Le seuil à partir duquel ces outils de prévention du risque empêcheraient le déploiement des activités, et limiterait la mise à disposition es services pour les bénéficiaires des pays récipiendaires n’a pas été déterminé. Comme le prévoit le cadre d’appétence au risque, c’est aux différents comités et au conseil d’administration de reprendre la réflexion sur l’appétence au risque financier dans les contextes d’intervention difficiles, afin de ne pas faire peser cette responsabilité sur les équipes du Secrétariat.

Le risque opérationnel majeur: ne pas atteindre les populations vulnérables

Comme le TERG le mentionnait dans la note conceptuelle sur les Etats fragiles en 2014 « il faut rechercher et encourager les innovations et les solutions créatives, (…). Le Fonds mondial devrait trouver des moyens d’encourager davantage les approches audacieuses pour atteindre les populations les plus touchées et se fixer des objectifs ambitieux dans des circonstances difficiles ».

Le Secrétariat a récemment entamé un examen des mécanismes de mise en œuvre afin de corriger les situations qui affaiblissent encore plus les systèmes de santé en place : en effet, dans la plupart des contextes d’intervention difficiles, les bénéficiaires principaux sont des ONG internationales ou des agences des Nations Unies déconnectées du ministère de la Santé et des Finances ainsi que de l’ICN. Les relations de travail et la chaîne de communication concernent le bénéficiaire principal et les trois programmes de lutte contre les maladies, sans lien resserré avec l’ICN, les différentes directions du ministère de la Santé (statistiques, laboratoire, produits de santé, services de santé communautaires), le ministère des Finances et leurs niveaux décentralisés. Dans de nombreux contextes, cela a créé un système parallèle sans aucune ligne de responsabilité vis-à-vis du ministère de la santé, ni de l’ICN, le bénéficiaire principal travaillant directement avec l’équipe pays du Fonds mondial et les programmes. Au lieu de les renforcer, ces modus operandi affaiblissent les acteurs locaux et empêchent le renforcement de leurs compétences. Le Secrétariat est conscient de cette situation contre-productive et étudie actuellement le cadre de mise en œuvre pour l’avenir.

Une approche transversale qui combine échange de pratiques et analyses multidisciplinaire est nécessaire

Des approches régionales et multidisciplinaires ont toutes les chances d’être efficaces pour atténuer les effets secondaires de ce « patchwork de pays ». Dans la note de synthèse présentée par le TERG en 2014, ce dernier recommandait de partager les enseignements tirés de la mise en œuvre des subventions dans les COE: «le TERG reconnaît qu’il est difficile de tirer des enseignements généraux d’une expérience adaptée au contexte, en particulier de tirer des enseignements généralisables de l’expérience pratique des acteurs de terrain, (…) mais souligne la nécessité d’y parvenir. Le TERG recommande donc que l’apprentissage continu dans les États fragiles soit intégré plus systématiquement dans les subventions en cours du Fonds mondial ».

L’organisation interne actuelle au Secrétariat favorise les cloisonnements et entrave les discussions et les analyses transversales. Le suivi des contextes d’intervention difficiles est placé sous la responsabilité de quatre gestionnaires de portefeuille régionaux, qui sont également responsables de nombreux autres pays « standards ». Ces derniers sont également abordés par le CCM Hub dans le cadre de la différenciation mise en œuvre par la stratégie d’évolution des ICN et par la division Communauté, Droits et Genre, qui vient de publier un rapport sur les progrès des droits humains et le genre dans les environnements complexes. Deux personnes sont actuellement dédiées spécifiquement aux environnements fragiles pour soutenir les équipes pays dans la mise en œuvre de la politique, et ont largement contribué à la diffusion de la politique sur les contextes difficiles au sein du Secrétariat. Cependant, les nombreux défis relevés par le rapport du BIG vont certainement requérir des ressources supplémentaires ainsi que la création d’”espaces” dédiés invitant au partage des expériences pratiques, la production de documents et de revues thématiques propres aux COE, et des outils pédagogiques visant à promouvoir une plus grande appropriation de la politique COE au sein du Secrétariat et dans les pays concernés.

Assistance technique et renforcement des compétences

Enfin, et le rapport du BIG lui consacre plusieurs chapitres, le partenariat avec les dispositifs d’assistance technique doit se renforcer, car cette assistance technique pourrait agir comme un « partenaire de renforcement des capacités et de transition » pour la mise en œuvre des subventions dans les COE. Curieusement, la validation de la politique sur les environnements difficiles par le Conseil d’Administration n’a pas été associée à une feuille de route d’assistance technique, afin de garantir que la mise en œuvre de subventions dans ces contextes spécifiques bénéficie d’un soutien au système de santé à long terme. Cette assistance technique pourrait changer la donne à bien des égards, en ce qui concerne le renforcement des partenaires locaux et des systèmes de santé fragiles. Ces mesures prennent du temps et ne doivent pas être planifiées sur le même calendrier que le cycle de subvention de 3 ans.

 

Un changement de paradigme dans la manière dont les contextes d’intervention difficiles sont traités au Fonds mondial est nécessaire afin de réaliser de véritables avancées opérationnelles. Les outils permettant une mise en œuvre plus simple et plus flexible des subventions tout au long de leur cycle n’ont pas été suffisamment utilisés, et la recommandation de TERG d’adopter une approche « pays par pays » donne des pistes pour la suite. L’approche fondée sur le statu quo et les changements à la marge dans ces contextes ont montré leurs limites. L’innovation et des décisions audacieuses sont nécessaires pour soutenir les équipes du Secrétariat impliquées dans la mise en œuvre des subventions dans des contextes fragiles. Le récent rapport du BIG et le nouveau cycle à venir, 2021-2023, offrent une nouvelle occasion d’utiliser la politique COE afin de rendre les investissements plus efficaces, mieux adaptés aux contextes fragiles et, au final, d’optimiser l’impact pour les patients.

 

Autres ressources :

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