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Les investissements catalytiques du Fonds mondial promeuvent-ils un système de santé résilient fondé sur des systèmes communautaires en nette progression ?
OFM Edition 125

Les investissements catalytiques du Fonds mondial promeuvent-ils un système de santé résilient fondé sur des systèmes communautaires en nette progression ?

Author:

Aidspan

Article Type:
COMMENTAIRE

Article Number: 1

Décodage de 3 concepts clés vidés de leur sens

RÉSUMÉ ''Après notre analyse du langage du Fonds mondial ou, comme nous l'appelons, le Fundspeak en anglais, nous nous intéressons maintenant à certains concepts couramment utilisés par le Fonds mondial, mais tout aussi déroutants.''

La récente publication de l’article d’Oliver Campbell sur l’utilisation de la langue anglaise dans les documents du Fonds mondial a été largement lue, comme le montre le trafic sur notre site Web. Preuve que nous avons tous le sens de l’humour, Aidspan a reçu des réactions positives et un soutien à notre appel à ” une politique de langage simple, dans laquelle les mots sont utilisés correctement“.

Nous ne pouvons que soutenir cette critique car qui d’entre nous, confronté régulièrement aux écrits du Fonds mondial, ne s’est pas plaint d’un style parfois pompeux, de concepts endogènes difficilement compréhensibles et de schémas simplistes de progression des interventions très éloignés de notre réalité.

Or, notre monde n’est pas simple, et comme l’affirmait l’ancien Président Obama dans un entretien à France Inter en 2021, le pouvoir des mots a été mis entre les mains de millions de personnes qui en font un mauvais usage, créant ainsi ce qu’il nomme « une crise épistémologique ». Et d’appeler à prendre garde de ne pas mêler réalité et fiction dans un monde où tout est potentiellement manipulable.

C’est cette question qui doit être regardée avec attention quand on analyse l’épistémologie du Fonds mondial. S’il est vrai que les tics de langage et le recours abusif à des expressions difficilement compréhensibles est monnaie courant comme l’a décrit notre collègue, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce que ces phénomènes produisent pour la pensée. Le fait d’utiliser des expressions qui sont incorrectes, d’abuser de mots comme « stratégique », d’avoir recours à des néologismes qui n’existent qu’au Fonds mondial ne crée -t-il pas une réalité parallèle qui n’existe qu’à Genève, avec comme corollaire le risque de ne jamais traduire ces concepts en réalité tangibles sur laquelle les investissements du Fonds mondial auront un impact ? Analysons cette fameuse responsabilité des institutions, le Fonds mondial ici, dans la création d’un « univers » propre sans existence, qui mêle fiction et partis pris idéologique.

La novlangue : « catalytique »

De très nombreux documents du Fonds mondial utilisent des expressions proches du néologisme, où dont les contours sont flous : l’un des exemples les plus connus est le mot « catalytiques », utilisé à l’envie pour définir une subvention (« fonds catalytiques »), un effet (des actions à effets catalyseur) ou une action. L’expression est anglophone, elle n’a pas de traduction validée dans le dictionnaire français, bien que nous ayons pris l’habitude de parler de « fonds catalytiques ». Aucun critère ne définit ce qui est catalytique, ce qui pose vraiment la question de sa traduction opérationnelle. L’équipe de consultants externes chargée de l’évaluation des fonds catalytiques s’est heurtée à cette absence de définition, et à l’impossibilité de juger du caractère « catalytique » des subventions accordées, au-delà de l’analyse de la valeur ajoutée. Gênés, ils ont conclu qu’il n’existe pas au sein du Fonds mondial un consensus sur ce qui détermine le caractère « catalytique » d’une action. Pour sa part, le TERG note que « la nature catalytique de ces investissements serait mieux opérationnalisée si le Comité Stratégique facilitait un consensus sur la définition des impacts catalytiques attendus de ces modalités, y compris le risque s’ils ne sont pas mis en œuvre ; et des principes de haut niveau pour guider la sélection des thèmes qui permettraient le plus d’obtenir cet impact ». En d’autres termes, l’absence de définition, et de traduction concrète et opérationnelle de ce concept rend son impact difficilement évaluable, d’autant plus que ces subventions retiennent peu l‘attention. Et pourtant, nous avons un besoin urgent de stratégies qui fassent une différence, et servent de levier pour accélérer la riposte dans des domaines aussi cruciaux que la recherche des patients atteints de TB non détectés.

C’est encore plus étonnant quand ce concept est employé dans des documents stratégiques, tels que le récit de la nouvelle stratégie du Fonds mondial. Ce dernier cite 14 fois le mot, sous plusieurs formes : les investissements à effet catalyseur centrés sur la personne, les catalyseurs de partenariat, l’élaboration de catalyseurs politiques, réglementaires et programmatiques, assurer la confidentialité par l’utilisation d’autres catalyseurs, catalyseur d’achats responsables, éthiques et durables et de chaînes d’approvisionnement résiliente… notre première réaction, l’étonnement et l’impression qu’un usage si répété de ce concept, qui nous le comprenons, doit rester spécifique et apporter un effet exceptionnel, dilue le concept et le « normalise ». Toutes les actions citées dans la nouvelle stratégie semblent être à effet catalyseur, on doit donc comprendre qu’il s’agit simplement de la recherche d’impact et de valeur ajoutée du Fonds mondial. On ne peut pas en dire plus, en l’absence de ce travail de définition et de compréhension commune de ce concept, tel que demandé par le TERG.

La fausse réalité : « systèmes communautaires »

Un autre concept qui nous paraît discutable est celui de « systèmes communautaires » pourtant répandu au Fonds mondial. Il est apparu dans la préparation des demandes de subvention du cycle NFM3. Le document de briefing technique affirme que « les “systèmes communautaires” sont un terme général qui décrit les structures, les mécanismes, les processus et les acteurs nécessaires pour soutenir les réponses communautaires. Les systèmes communautaires comprennent différents types de groupes communautaires formels et informels, organisations et réseaux, ainsi que d’autres organisations de la société civile. Ils constituent une partie essentielle du système global de santé d’un pays, qui s’associe au travail d’autres parties prenantes et secteurs, tels que le gouvernement, et le secteur privé ». Il faut également noter que le Fonds mondial retient pour les demandes de financement la définition opérationnelle de la communauté suivante : « les personnes qui sont affectées par le VIH, la tuberculose et le paludisme. Cela inclut les “populations clés et vulnérables ».

La réalité de l’engagement communautaire ne répond pas à la définition ni à la caractérisation de systèmes, qui donnent l’illusion d’une structuration logique et d’une interface entre différents systèmes. Dans les faits, les subventions couvrent bien les différents acteurs, à savoir les travailleurs communautaires qui dépendent du système de santé (agents de santé communautaire, relais communautaires…), les activistes des organisations de défense des patients, les organisations à base communautaire (groupements féminins, groupements de jeunes, groupes ANJE pour la nutrition des jeunes enfants)… L’identification de toutes ces entités pose de nombreux défis dans les pays, si bien qu’il est difficile d’intégrer de nouveaux acteurs dans la subvention, en particulier pour la TB et le paludisme, qui ont un historique communautaire plus récent ou moins visible que le VIH. Ils sont souvent éloignés des agents communautaires du système de santé, de même que le système de santé est encore relativement imperméable aux acteurs de la société civile, à l’exception des programmes de lutte contre le VIH et parfois de la TB. Nous sommes encore loin d’observer la formalisation de systèmes, encore moins de créer des passerelles ou des interfaces permettant un dialogue communautaire formel, organisé et coordonné, entre différents « corps » qui interagissent. C’est le propre des système, et c’est une idée séduisante pour un bailleur tel que le Fonds mondial. Encore faut-il se poser la question de ce que les populations souhaitent, car les dynamiques communautaires échappent par essence au pouvoir normatif, et évoluent en fonction de caractéristiques propres à la société dans laquelle elles se développent. C’est parfois la tentative des gouvernements ou des bailleurs de les organiser, les financer et les guider dans leurs orientations qui ont pénalisé ces acteurs. La participation active de la société civile à la lutte contre la COVID-19 a montré à quel point les initiatives citoyennes peu coûteuses et enracinées localement ont été utiles, sans l’intervention des ministères ou des bailleurs.

L’erreur conceptuelle : les systèmes de santé résilients

Dernier exemple : le concept de résilience. Le Fonds mondial ambitionne de renforcer un système de santé résilient et pérenne, et le TERG note dès 2020 que « le Fonds mondial a pris le leadership dans une certaine mesure en mettant en avant le concept de systèmes de santé résilients, qui gagne du terrain dans des forums plus larges (…). À ce titre, le Fonds mondial a conclu un certain nombre de partenariats pour promouvoir le RSS et la CSU, y compris la stratégie CSU2030 ». Dans la stratégie 2017-2023, le Fonds mondial décrivait cette résilience comme la capacité du système de santé à résister aux chocs liés à des épidémies, telles que celles d’Ebola, mais également COVID-19. Il s’agit de travailler sur la capacité d’adaptation, dans des contextes de fragilité et de vulnérabilité. Mais là aussi, le concept est multiforme, et c’est bien là sa richesse, puisqu’il existe depuis les années 40. Au départ perçu comme la capacité à survivre à un traumatisme, une sorte de propriété inhérente à certains individus, ce concept a évolué pour prendre la forme d’un processus dynamique, dans lequel le sujet d’étude et son environnement interagissent. Ce dernier est vu comme une entité qui génère des risques mais aussi des ressources. De cette façon, le système et son environnement deviennent objet d’intervention et d’étude, à part égale, car aucun système ne « naît résilient », il le devient par les effets de l’environnement sur son développement et sa survie. Si l’on retient cette définition, on comprend que les investissements du Fonds mondial pour contribuer à rendre les systèmes de santé résilients aux chocs ne sont aujourd’hui pas pensés correctement, et que leur traduction opérationnelle n’est pas juste. Pour appuyer le processus de résilience, il faudrait d’abord étudier très finement l’environnement, les facteurs et l’occurrence des chocs, la nature de ces chocs et la manière dont ils affectent le système de santé, et plus encore, l’accès aux soins pour les patients. Ce n’est pas jusqu’à présent l’orientation stratégique qui est donnée aux investissements pour un système de santé résilient, même si les fonds octroyés dans le cadre de la lutte contre la COVID ont ouvert une brèche. La nouvelle stratégie, qui intègre la préparation aux urgences, permettra peut-être de donner au concept de « système de santé résilient » une traduction opérationnelle.

Cet article n’est qu’une courte démonstration des abus de langage auxquels nous nous sommes habitués dans le milieu du Fonds mondial. Mais il faut reconnaître que la définition des termes est un préalable nécessaire à une compréhension mutuelle de la mission, des résultats attendus, et de leur évaluation. Car le Fonds mondial est un bailleur performant dans l’évaluation des résultats et des acquis. Et des derniers parlent d’eux-mêmes… 40 millions de vies sauvées depuis 2002, plus de 21,9 millions de personnes mises sous traitement par antirétroviraux… il n’est pas nécessaire d’avoir recours à ces tics de langage, ces concepts sexy qui ne traduisent pas la réalité que nous connaissons, et avec laquelle nous interagissons chaque jour.

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